u'est- il sorti de ce Conseil national organisé par
la Centrale syndicale les 21 et 22 décembre ? Ce
conclave réunissait non pas des délégués, mais les
responsables se trouvant à la tête de diverses
structures syndicales - Unions régionales,
Fédérations, Sections fédérales, Syndicats régionaux,
Unions locales -, soit un total de plus 400
apparatchiks...
Il était clair que le Bureau exécutif actuel de
l'UGTT cherchait, à travers la tenue de ce Conseil, à
affirmer sa légitimité après l'éviction de Ismaïl
Sahbani et son remplacement par Abdessalem Jrad, en
septembre 2000. Pour de nombreux syndicalistes, ce
Conseil devait, nonobstant les conditions dans
lesquelles il a été organisé, permettre de faire le
bilan, notamment quant à l'attitude réelle des membres
de la direction nationale actuelle.
Voici les faits marquants de ce Conseil national :
des mesures de sécurité très renforcées ont été prises
à l'hôtel Amilcar où se tenait le Conseil ;
Les journalistes n'ont pas été autorisés à suivre les
travaux de l'intérieur de la salle de réunion. Ils ont
été réduits à faire les couloirs et les coulisses ;
le nombre des intervenants a été bien plus élevé que
le « plafond » que le Bureau exécutif voulait fixer.
Plus de 110 participants ont pris la parole ;
la région de Sfax, réputée être un bastion de l'action
et de la contestation syndicales, n'a pas été fidèle à
sa réputation ; l'intervention de Mohamed Chaâbane,
Secrétaire général de l'Union régionale, n'a guère eu
de succès auprès de l'auditoire. Des huées ont même
été entendues.
Sghaïer Saïdane, Secrétaire général de l'Union de
Kairouan a été un peu la vedette : il a surpris son
monde par une critique très radicale de la direction
syndicale, reprenant l'essentiel de l'analyse et du
constat de la Plate-forme syndicale initiée depuis
le mois d'octobre par un groupe de figures du
mouvement syndical [cf. Alternatives citoyennes numéro 5]. Les paradoxes sont ainsi dans la
situation complexe que traverse l'UGTT : Sghaïer
Saïdane est RCD, il est député à l'Assemblée nationale
mais il n'hésite pas à dénoncer l'état de délabrement
dans lequel se trouve une organisation à laquelle il
appartient depuis plus de 20 ans... Soulignons qu'à
part Sghaïer Saïdane qui a exprimé des positions très
proches de la Plate-forme syndicale, trois membres du
Bureau exécutif régional de Kairouan avaient signé la
Plate-forme, comme de nombreux autres cadres
syndicaux.
Dans son discours d'ouverture du Conseil, Abdessalem
Jrad a cru bon de reprendre les calomnies et les
mensonges de Mohamed Trabelsi contre Habib Guiza, l'un
des animateurs de la Plate-forme syndicale. Jouant
sur la légitime et très forte sympathie des
syndicalistes pour la cause palestinienne, Abdessalem
Jrad a accusé Habib Guiza d'être un « normalisateur » avec
Israël, par Histhadrout interposée ! Il est vrai
que, selon des indications plus que concordantes, le
rapport présenté par Abdessalem Jrad au Conseil national a été
élaboré et rédigé par l'incontournable Mohamed
Trabelsi...
Le rapport économique et social, censé constituer « le
clou » du Conseil, ne semble pas avoir retenu outre
mesure l'attention des participants ; le vote sur le
rapport a été plutôt formel. Une vingtaine de membres
présents a voté contre, et une quinzaine s'est
abstenue.
Abdessalem Jrad a fulminé contre le fait que de très
nombreux membres du Conseil s'absentaient de la salle
de réunion de l'hôtel Amilcar et se retrouvaient dans
un café tout proche à Sidi-Bou-Saïd, en
compagnie de quelques-uns des animateurs de la Plate-forme syndicale qui ont établi leur Q.G. dans ce café
tout au long du Conseil. Ali Romdhane, Habib Guiza,
Jouneïdi Abdeljaoued, Mohamed Chakroun, Ali Dhaoui et
bien d'autres se sont continuellement relayés en ce
point de rencontre permanent avec les membres du
Conseil national. Abdessalem Jrad a été tellement désappointé
qu'il s'est emporté publiquement contre « l'autre
Conseil qui se tient parallèlement » à quelques
centaines de mètres de l'hôtel Amilcar.
Mohamed Salah Jdaï est Secrétaire général de l'Union
régionale de Sousse, autrefois une région
syndicalement très active et très influente. Mohamed Salah Jdaï
semble exceller dans le rôle de zélateur. C'est tout
naturellement lui qui a été chargé de donner la
réplique à Sghaïer Saïdane, le « rebelle » de Kairouan. Et
comme à son habitude, Mohamed Salah Jdaï a foncé, dans le style
qu'il affectionne : agressif, insultant avec
naturellement la dithyrambe pour la direction
actuelle. Rappelons qu'au Congrès de l'UGTT tenu en
1993, c'est le même Mohamed Salah Jdaï qui se rua sur le microphone
pour réclamer aux congressistes l'élection directe de
Ismail Sahbani au poste de Secrétaire général de
l'UGTT, pour un deuxième mandat.
À l'occasion du Conseil national, un groupe de
syndicalistes - dont on affirme que la plupart serait
de la région de Sfax - a publié une déclaration
intitulée : « l'UGTT, entre la réhabilitation et
la redistribution des cartes : essai de bilan ». Le
texte est « signé » anonymement : « un groupe de
syndicalistes démocrates ». Les initiateurs de ce
texte présentent eux-mêmes leur initiative comme
s'intégrant dans l'initiative nationale connue sous le
nom de Plate-forme syndicale et qui a rencontré un
large écho dans les milieux syndicalistes. Outre
les aspects analytiques de leur texte, sur lesquels
ils rejoignent largement les thèses de la
plate-forme, les « syndicalistes démocrates » proposent
que le Congrès extraordinaire ne se tienne pas dans un
délai rapproché afin qu'il soit correctement préparé.
Ils estiment qu'une Commission spéciale, qui pourrait
émaner du Conseil national, doit être associée au
Bureau exécutif actuel dans la préparation d'un
Congrès démocratique appelé à rendre à l'UGTT son
indépendance, sa représentativité et son audience.
La question des relations avec les organisations
syndicales européennes - la Confédération européenne des syndicats (CES) notamment - et
internationales - la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) - a été très présente dans les
débats, surtout dans les coulisses en fait... Le Bureau
exécutif semble incapable d'admettre que la
détérioration de ses relations avec la CISL et surtout
la CES trouve son origine dans l'état de délabrement
dans lequel se trouve l'UGTT depuis de nombreuses
années. Comment le syndicalisme mondial pouvait-il
continuer des relations fortes avec une UGTT qui,
après avoir été celle du 26 janvier 78, celle des
luttes sociales des années 80, celle du combat pour
les libertés de la fin des années 70 puis des années
81-85, est devenue, après Sousse 89, l'UGTT des
compromissions, de l'alignement sur le pouvoir, des
campagnes électorales présidentielles, etc. ? Le
Bureau exécutif sous la houlette, dans ce domaine plus
particulièrement, de Mohamed Trabelsi, auquel Abdessalem Jrad semble
quasi-systématiquement emboîter le pas, préfère les
explications « faciles » : c'est Habib Guiza, président
d'une très active Association Mohamed Ali de la culture
ouvrière, créée il y a huit ans, qui est à l'origine de
la « froideur » des responsables syndicaux européens
et de la distance qu'ils prennent avec la direction de
l'UGTT !