Alternatives citoyennes Numéro 6 - 30 décembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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UGTT : un Conseil national pour rien ?

 

Qu'est- il sorti de ce Conseil national organisé par la Centrale syndicale les 21 et 22 décembre ? Ce conclave réunissait non pas des délégués, mais les responsables se trouvant à la tête de diverses structures syndicales - Unions régionales, Fédérations, Sections fédérales, Syndicats régionaux, Unions locales -, soit un total de plus 400 apparatchiks... Il était clair que le Bureau exécutif actuel de l'UGTT cherchait, à travers la tenue de ce Conseil, à affirmer sa légitimité après l'éviction de Ismaïl Sahbani et son remplacement par Abdessalem Jrad, en septembre 2000. Pour de nombreux syndicalistes, ce Conseil devait, nonobstant les conditions dans lesquelles il a été organisé, permettre de faire le bilan, notamment quant à l'attitude réelle des membres de la direction nationale actuelle.

Voici les faits marquants de ce Conseil national : des mesures de sécurité très renforcées ont été prises à l'hôtel Amilcar où se tenait le Conseil ; Les journalistes n'ont pas été autorisés à suivre les travaux de l'intérieur de la salle de réunion. Ils ont été réduits à faire les couloirs et les coulisses ; le nombre des intervenants a été bien plus élevé que le « plafond  » que le Bureau exécutif voulait fixer. Plus de 110 participants ont pris la parole ; la région de Sfax, réputée être un bastion de l'action et de la contestation syndicales, n'a pas été fidèle à sa réputation ; l'intervention de Mohamed Chaâbane, Secrétaire général de l'Union régionale, n'a guère eu de succès auprès de l'auditoire. Des huées ont même été entendues.

Sghaïer Saïdane, Secrétaire général de l'Union de Kairouan a été un peu la vedette : il a surpris son monde par une critique très radicale de la direction syndicale, reprenant l'essentiel de l'analyse et du constat de la Plate-forme syndicale initiée depuis le mois d'octobre par un groupe de figures du mouvement syndical [cf. Alternatives citoyennes numéro 5]. Les paradoxes sont ainsi dans la situation complexe que traverse l'UGTT : Sghaïer Saïdane est RCD, il est député à l'Assemblée nationale mais il n'hésite pas à dénoncer l'état de délabrement dans lequel se trouve une organisation à laquelle il appartient depuis plus de 20 ans... Soulignons qu'à part Sghaïer Saïdane qui a exprimé des positions très proches de la Plate-forme syndicale, trois membres du Bureau exécutif régional de Kairouan avaient signé la Plate-forme, comme de nombreux autres cadres syndicaux.

Dans son discours d'ouverture du Conseil, Abdessalem Jrad a cru bon de reprendre les calomnies et les mensonges de Mohamed Trabelsi contre Habib Guiza, l'un des animateurs de la Plate-forme syndicale. Jouant sur la légitime et très forte sympathie des syndicalistes pour la cause palestinienne, Abdessalem Jrad a accusé Habib Guiza d'être un « normalisateur » avec Israël, par Histhadrout interposée ! Il est vrai que, selon des indications plus que concordantes, le rapport présenté par Abdessalem Jrad au Conseil national a été élaboré et rédigé par l'incontournable Mohamed Trabelsi...

Le rapport économique et social, censé constituer « le clou » du Conseil, ne semble pas avoir retenu outre mesure l'attention des participants ; le vote sur le rapport a été plutôt formel. Une vingtaine de membres présents a voté contre, et une quinzaine s'est abstenue.

Abdessalem Jrad a fulminé contre le fait que de très nombreux membres du Conseil s'absentaient de la salle de réunion de l'hôtel Amilcar et se retrouvaient dans un café tout proche à Sidi-Bou-Saïd, en compagnie de quelques-uns des animateurs de la Plate-forme syndicale qui ont établi leur Q.G. dans ce café tout au long du Conseil. Ali Romdhane, Habib Guiza, Jouneïdi Abdeljaoued, Mohamed Chakroun, Ali Dhaoui et bien d'autres se sont continuellement relayés en ce point de rencontre permanent avec les membres du Conseil national. Abdessalem Jrad a été tellement désappointé qu'il s'est emporté publiquement contre « l'autre Conseil qui se tient parallèlement » à quelques centaines de mètres de l'hôtel Amilcar.

Mohamed Salah Jdaï est Secrétaire général de l'Union régionale de Sousse, autrefois une région syndicalement très active et très influente. Mohamed Salah Jdaï semble exceller dans le rôle de zélateur. C'est tout naturellement lui qui a été chargé de donner la réplique à Sghaïer Saïdane, le « rebelle » de Kairouan. Et comme à son habitude, Mohamed Salah Jdaï a foncé, dans le style qu'il affectionne : agressif, insultant avec naturellement la dithyrambe pour la direction actuelle. Rappelons qu'au Congrès de l'UGTT tenu en 1993, c'est le même Mohamed Salah Jdaï qui se rua sur le microphone pour réclamer aux congressistes l'élection directe de Ismail Sahbani au poste de Secrétaire général de l'UGTT, pour un deuxième mandat.

À l'occasion du Conseil national, un groupe de syndicalistes - dont on affirme que la plupart serait de la région de Sfax - a publié une déclaration intitulée : « l'UGTT, entre la réhabilitation et la redistribution des cartes : essai de bilan ». Le texte est « signé » anonymement : « un groupe de syndicalistes démocrates ». Les initiateurs de ce texte présentent eux-mêmes leur initiative comme s'intégrant dans l'initiative nationale connue sous le nom de Plate-forme syndicale et qui a rencontré un large écho dans les milieux syndicalistes. Outre les aspects analytiques de leur texte, sur lesquels ils rejoignent largement les thèses de la plate-forme, les « syndicalistes démocrates » proposent que le Congrès extraordinaire ne se tienne pas dans un délai rapproché afin qu'il soit correctement préparé. Ils estiment qu'une Commission spéciale, qui pourrait émaner du Conseil national, doit être associée au Bureau exécutif actuel dans la préparation d'un Congrès démocratique appelé à rendre à l'UGTT son indépendance, sa représentativité et son audience.

La question des relations avec les organisations syndicales européennes -  la Confédération européenne des syndicats (CES) notamment - et internationales - la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) - a été très présente dans les débats, surtout dans les coulisses en fait... Le Bureau exécutif semble incapable d'admettre que la détérioration de ses relations avec la CISL et surtout la CES trouve son origine dans l'état de délabrement dans lequel se trouve l'UGTT depuis de nombreuses années. Comment le syndicalisme mondial pouvait-il continuer des relations fortes avec une UGTT qui, après avoir été celle du 26 janvier 78, celle des luttes sociales des années 80, celle du combat pour les libertés de la fin des années 70 puis des années 81-85, est devenue, après Sousse 89, l'UGTT des compromissions, de l'alignement sur le pouvoir, des campagnes électorales présidentielles, etc. ? Le Bureau exécutif sous la houlette, dans ce domaine plus particulièrement, de Mohamed Trabelsi, auquel Abdessalem Jrad semble quasi-systématiquement emboîter le pas, préfère les explications « faciles » : c'est Habib Guiza, président d'une très active Association Mohamed Ali de la culture ouvrière, créée il y a huit ans, qui est à l'origine de la « froideur » des responsables syndicaux européens et de la distance qu'ils prennent avec la direction de l'UGTT !

 

Salah Zeghidi
Syndicaliste. Membre du Bureau directeur de la LTDH. Tunis.
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