la mi-avril 1998, Interpol lance depuis son siège de
Lyon un mandat d'arrêt contre Oussama Ben Laden. Cet
appel est destiné à toutes les polices du monde, mais
Interpol met également sur Internet, sur son site,
cet avis de recherches de celui qui deviendra l'ennemi
public n°1 de l'occident auquel se liguent tous les
pays qui, pour des raisons éthiques ou moins avouables,
s'associent à cette mobilisation, alors essentiellement
policière, contre le terrorisme.
Dans leur livre1 devenu en trois semaines un
best-seller traduit dans plusieurs langues,
Jean-Charles Brisard, expert international en
investigations policières et Guillaume Dasquié,
rédacteur en chef d'Intelligence online2, s'arrêtent,
le temps d'un chapitre, sur cet épisode intriguant.
D'où vient leur trouble ? Ils s'avisent, en effet, de
comparer les références du mandat d'arrêt original
réservé aux commissariats de police avec le texte
public sur internet. Le « terroriste » recherché est
bien le même homme, bien que sa photo, le montrant tout
jeune, le révèle aussi moins anguleux qu'aujourd'hui,
le visage moins creusé par la maladie (dont on dit
qu'elle pourrait être un redoutable cancer des glandes
surrénales) et la barbe plus épaisse d'un homme très
loin encore du soir de sa vie.
Mais la différence n'est pas là. Sur la pièce
confidentielle en effet, la date d'émission du mandat
d'arrêt et les faits reprochés sont mentionnés à
l'inverse du texte public. L'État demandeur n'est pas
non plus identifié au regard de tous. Mais la police
le sait désormais. C'est la Libye qui veut donner la
chasse à Ben Laden.
Un certain nombre de pays arabes sont, on le sait,
dans le collimateur de Ben Laden. En premier lieu, son
pays de la nationalité duquel il est déchu depuis
1994, l'Arabie Saoudite qu'il poursuit de sa vindicte
depuis que la tempête du désert a profané les
lieux saints, avec la bénédiction de la monarchie.
Bien entendu, on peut imaginer que d'autres pays du
Golfe sont dans l'aire de sa haine, ainsi que l'Égypte
dont se chargent d'autres mouvements islamistes où
lui-même puise ses théoriciens (Aymen Al-Zawahiri) ou
ses stratèges (Mohamed Atef), l'Algérie enfin où le
réseau Hassan Hattab ainsi que quelques éléments du
GIA sont alimentés par les recrues afghanes et l'argent
de la trésorerie Ben Laden.
Pourquoi la Libye est-elle aussi dans son point de
mire ? Certes, Moamar Khaddafi n'est pas suspect de
sympathie pour « l'alliance judéo-croisée » que combat
Ben Laden et il est - à cette époque - beaucoup plus
que Ben Laden la bête noire des puissances
occidentales. Mais il est aussi ce colonel prétendant réunir, les
décennies passées, tous les Arabes à l'oriflamme de
son nationalisme. Voilà une dangereuse concurrence
fédératrice pour un émirat islamique à l'échelle
mondiale ou du moins du Machrek au Maghreb. Pire, les
mouvements radicaux islamistes considèrent que le chef
de l'État libyen prend des libertés avec les
obligations de sa foi, qu'il prône un Islam très
relâché.
Depuis les années 80, un certain nombre de libyens qui
ont en horreur les deux modèles mondiaux de société de
cette époque, le modèle capitaliste américain et le
modèle marxiste soviétique, vont combattre ce dernier
en Afghanistan et se refaire une pureté musulmane dans
ce jihad. C'est alors qu'ils vont graviter autour du
sponsor et du chef charismatique entre tous, Oussama
Ben Laden. Au départ soldats soviétiques, ils sont
près de 2500 à avoir rejoint la fraternité Ben Laden,
mais dans leur élan conquérant, ils rêvent de
restaurer un Islam intégral en Libye. Sous la férule
avisée et à longue vue du stratège Ben Laden, ils se
sont organisés en mouvement terroriste armé,
Al-Jemaa-al Islamya-al-Mouqatila, groupe inscrit sous
le nom de Leven Islamic Fighting Group dans la liste
des 25 organisations terroristes, après les attentats
du 11 septembre, et que les USA ont promis de décimer.
Il fut un temps, pourtant, où ce réseau trouvait grâce
auprès des Anglo-saxons, du moins auprès des
Britanniques : ce sont eux en effet qui dans leur
soutien à la monarchie libyenne, poursuivent alors une
guerre d'usure contre le colonel Khaddafi depuis la
révolution du 1er septembre. Aussi, « tous les ennemis
du régime libyen sont dorénavant les amis de Londres »,
soutiennent les auteurs dérangeants de La Vérité
Interdite. C'est le chef d'Al-Mouqatila connu sous le
nom de Anes le Libyen qui est chargé de préparer un
attentat contre le colonel Khaddafi.
Quant à Oussama
Ben Laden qui, un temps, après son départ d'Arabie,
aurait séjourné à quelques kilomètres de Benghazi, il
n'aurait pas vu d'un mauvais oeil un ancrage de
l'islamisme radical, entre le Caire et Alger, avec - qui sait ? - un crochet par la petite Tunisie. Dès 1993
Ben Laden aurait « jeté son dévolu sur la Libye qui
représentait la zone la plus naturelle pour abriter le
centre névralgique d'Al-Qaïda ». Les soldats de Dieu
libyens sont prêts, ils poursuivent leur entraînement
dans une base arrière du Soudan.
Dans le courant du mois de novembre 1996, un attentat
est préparé contre Moamar Khaddafi. C'est, du moins,
un ancien agent secret britannique, chargé des
questions d'Afrique du Nord, qui, selon Interpol,
aurait trahi ce complot top confidentiel que les
Britanniques auraient fomenté avec leurs ennemis
terroristes d'aujourd'hui. L'opération qui consistait
à attaquer le cortège officiel lors d'un de ses
déplacements a échoué. Les auteurs de l'ouvrage
concluent pourtant « ...à cette période et au moins
jusqu'en 1996, les services secrets britanniques
dépendant du Foreign Office et placés sous la tutelle
du Premier ministre, travaillaient en coopération avec
les principaux alliés d'Oussama Ben Laden ».
C'est seulement en 1998 qu'Interpol enregistra la
demande de poursuite d'Oussama Ben Laden, demande
émanant des services judiciaires libyens. Cependant,
Ben Laden n'est cité qu'au titre de l'assassinat en
Libye d'un couple de ressortissants allemands, les
Backer, en fait des agents secrets relevant d'un
service allemand de « défense de la Constitution ».
L'assassinat de ce couple survenu en 1994 fut imputé
par la Libye à Oussama Ben Laden. Jusqu'à cette date,
Ben Laden, pourtant auteur désigné de l'attentat de
Dahran et plus anciennement commanditaire suspecté du
premier attentat du World Trade Center, n'était
pourtant pas poursuivi par les USA contre lesquels il
avait lancé sa punitive fatwa.
De cet épisode maghrébin, il ne resterait à Ben Laden,
intimement lié à lui dans sa garde rapprochée,
qu'Anes Le Libyen.
Notes :
1 Guillaume Dasquié et Jean-Charles Brisard, Ben Laden - La vérité interdite. Éditions Denoël, Paris. Novembre 2001.
2 Voir Intelligence Online, le site du Monde du Renseignement.