Alternatives citoyennes Numéro 6 - 30 décembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Sur El-Moustaquila, le grand déballage... et le défi de Hachemi Hamdi

 

LLe président Ben Ali a reçu mercredi 26 décembre le Comité Consultatif des résistants de la première heure et des grands militants. Est-ce une coïncidence de son agenda avec la prétention déclarée par Hachemi Hamdi dimanche 23 décembre de se porter candidat à la présidence de la République en 2004 à la tête d'un parti destourien reconstitué et en continuateur de Bourguiba ?

La rédaction

Le quotidien gouvernemental La Presse de Tunisie aura, ce dimanche 23 décembre, publiquement appris à ses dépens que l'impunité dont il se croyait investi dans ses éditoriaux hargneux et ses soliloques vindicatifs était enfin levée.

D'ordinaire, en effet, certains chiens de garde se croient autorisés à propager - en général contre les défenseurs des droits humains - contre-vérités et diffamations, sans que la sanction attendue de ce type de délits dans un État de droit ne leur soit appliquée. Jusque là les coups fourrés étaient portés par une presse de caniveau oeuvrant elle aussi en toute immunité judiciaire à l'ordinaire de la bassesse, La Presse se réservant aux affaires d'État dans des réquisitoires pompeux et péremptoires. Ce journal s'attelait souvent à relayer une information officielle, puisque émise par l'Agence Tunisienne de Presse TAP, dans ses falsifications et calomnies. On se souvient tout particulièrement de l'affaire Ryadh Ben Fadhel (puisque non éclaircie) qui a valu à l'agence TAP une réplique ulcérée de citoyens se faisant une idée plus déontologique du journalisme et en appelant à une pénalisation de ce genre de forfaits.

Depuis quelques mois c'est la chaîne de télévision El-Moustaquila, émettant le dimanche sur un canal kurde et suivie avec délectation, mais aussi parfois avec quelque agacement, par un public sevré d'une parole contestataire - fût-elle quelques fois excessive ou répétitive - qui fait l'objet d'une charge du quotidien gouvernemental, sans ménagement mais surtout sans grande mémoire.

Sans grande mémoire car les éditorialistes en chef et leurs sombres éminences se semblent pas se souvenir du temps où Hachemi Hamdi officiait en porte-parole (auto ?)-proclamé du chef de l'État, de la confiance duquel il se réclamait pour pourfendre au micro d'Al-Jazira les opposants tunisiens, particulièrement le journaliste tunisien Taoufik Ben Brik qui a aujourd'hui l'heur d'être l'hôte hebdomadaire d'El-Moustaquila dans sa gouaille insolente. L'histoire a de ces retournements... de veste ! C'est ainsi que ce dimanche 23 décembre Hachemi Hamdi s'est chargé d'appliquer un remède de cheval à ce début d'Alzheimer dont sont affligés les éditorialistes de la Presse.

Alors, ce fut le grand déballage, sans doute de ce que l'on savait déjà, mais avec preuves et nominations à l'appui, et en trois langues - pour ratisser plus large et porter son audimat jusque dans l'establishment et la bonne société des diplomates. Voici un ministre et un secrétaire d'État actuel de Ben Ali, émergés d'interviews enregistrées sans doute en une vie antérieure. Voici même un courrier privilégié du président Ben Ali à Hachemi Hamdi, sans parler de tous les conseillers-médiateurs ! Et, confidence pour confidence, voulez-vous savoir de quoi on traite en haut lieu le président (Mokhtar Trifi) et le vice-président (Slah Jourchi) de la Ligue tunisienne des droits de l'homme ? D'« éboueurs » (zebel) et Hachemi Hamdi n'ose même pas traduire en Anglais ces propos orduriers.

Puis, la philippique va crescendo. Le directeur d'El-Moustaquila lance plusieurs défis à la Presse : publier un article de Sihem Ben Sedrine, ou une interview de Mohamed Charfi, ou un reportage sur la famille de Mohamed Moadda... tous challenges que El-Moustaquila relève aisément pour sa part. Il n'en a que pour le West, pour les libertés publiques qu'il promeut, le pluralisme, l'alternance et bien sûr la liberté de presse et même la liberté de conscience. Cette ligne rouge des islamistes que ne s'impose pas pour sa part Hachemi Hamdi, l'homme que La Presse traite « d'intégriste intégral » de mèche avec Ben Laden (sous prétexte qu'il aurait reçu un crédit de la banque Ettadhaman, installée au Soudan et qui figure dans l'organigramme de la Ben Laden Financial Connection). Rappelons au passage, à la décharge de Hachemi Hamdi, que les frères Faraoun, dont on se souvient sur la colline de Gammarth, grands investisseurs en leur temps pour des projets de prestige, sont poursuivis dans le cadre d'un mandat d'arrêt international (il s'agit de l'affaire de la Banque de Commerce et de Crédit Islamique, dont le scandale financier a défrayé la chronique ces derniers années et que des experts internationaux lient aux avoirs Ben Laden) !

Mais Hachemi Hamdi ne participe en aucune manière d'une résistance à « l'impérialisme judéo-croisé », plate-forme de la fraternité Ben Laden. D'ailleurs, « son médecin, la gynécologue de sa femme, son avocat et quelques-uns de ses partenaires financiers ne sont-ils pas juifs » ? Mieux - « prenez-le comme il vous plaira » -, selon Hachemi Hamdi « Sharon est un Premier ministre démocratiquement élu et pas à 99% et quelques poussières...». Hachemi Hamdi ose plus : si les citoyens des régimes arabes jouissaient du quart des droits dont bénéficient les Arabes israéliens, ce serait pour les pays arabes une grande avancée ! Enfin, vive la colonisation française qui accordait aux journaux nationalistes tunisiens une liberté et un droit à l'expression, incomparables avec le degré zéro de l'information tunisienne d'aujourd'hui !

Cela, c'est Hachemi Hamdi qui le soutient mais les historiens le confirment aussi. « De l'audace », avait réclamé le président. De l'audace, en veux-tu en voilà, lui rétorque Hachemi Hamdi avec un rappel d'une familiarité évanouie, lui qui déjeuna à la table du chef de l'État autant que Moadda but le thé avec lui. Mais les amitiés qui se défont poussent à bien de trahisons, voire à bien de défis. Car Hachemi Hamdi semble, de sa tribune où l'écoutent tous les dimanches des milliers de Tunisiens, laisser un sursis au président Ben Ali. Pourquoi le Président ne l'écouterait-il pas lui plutôt que les archéos de La Presse, Abdelwaheb Abdallah en tête, qui poussent le pays en marge de l'histoire, celle incontournable d'un Occident que Hachemi Hamdi aimerait bien installer en Tunisie, celle de la démocratie.

La porte est encore ouverte et Hachemi Hamdi a encore la main tendue vers Ben Ali, au nom d'une ancienne sympathie. Sinon, il pourrait bien prendre à Hachemi Hamdi, lui aussi, l'envie d'entrer en concurrence avec lui, en 2004, comme un présidentiable bien créatif, car cet ancien islamiste qui fit en 1985 un séjour dans les prisons de Bourguiba, devenu démocrate, entend bien prendre la suite du Combattant suprême qui fit l'indépendance mais non la démocratie. Hachemi Hamdi pousse même le paradoxe jusqu'à promettre de ramener de ses cendres, tel un Phoenix, le Destour de Bourguiba rebaptisé « démocratique ». Et stupéfait de cette étrange synergie entre un bourguibisme laïc, émancipateur des femmes et un ancien intégriste converti au Bill of rights et à la démocratie anglo-saxonne, il n'y aurait plus que ce recours contre de nouvelles supercheries : « Bourguiba, réveille-toi ! »

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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