'est dans son camp retranché du quartier du Passage,
dans un local de petit poucet des droits de
l'homme, que la Ligue tunisienne affectée à la défense
de cette noble cause a fêté la date
emblématique du 10 décembre. Ce n'est pas faute d'avoir
cherché à marquer de manière plus
généreuse l'événement. Mais ni Mohamed Charfi qui
devait donner une conférence sur le thème
de l'amnistie générale, ni le bureau directeur actuel
de la Ligue, ni l'assistance qui, assurément, ne
fait jamais défaut à cette instance considérée comme le
patrimoine de la société civile, n'eurent le
bonheur d'être hébergés par un hôtel central qui, après
avoir donné son accord pour la fête, s'est
dédit en dernière minute. Décidément, l'hôtellerie
tunisienne ne connaît pas encore le bon usage de
la convivialité civile et démocratique.
C'est que le bureau directeur de la Ligue n'est pas,
non plus, un hôte agréé car, rappelons-le, il
n'est - au terme d'un jugement bâtard - reconnu comme
légal que pour préparer un prochain
congrès dont devrait sortir « le véritable comité
directeur » qui enterrera le précédent avec cette
épitaphe : plus élu que moi, tu meurs ! Il y a de ces
bizarreries qui resteront sans doute dans les
annales de l'absurdité tyrannique que n'aurait pas
démentie Alfred Jarry !
Cependant, l'actuel bureau directeur, sinon légal, du
moins égal à lui-même, tente de continuer à
gérer le quotidien de la Ligue. C'est ce que nous
rappelle son Président, Maître Mokhtar Trifi. C'est
que les démocrates continuent à avoir du pain sur la
planche. « Nous persistons à faire notre travail
de Ligue des droits de l'homme » soutient Me Trifi qui
avance comme dossier prioritaire celui de
l'amnistie générale dont la Ligue porte la
revendication avec d'autres associations, partis et
tendances de la société civile. Cependant, jusqu'à
présent la commission qui, pour être efficace
devrait être réduite, n'a pu encore être constituée.
Une seconde priorité est la situation dans les
prisons qui est « catastrophique » d'après Me Trifi :
« Plusieurs personnes y sont mortes, faute de
soins ou sous l'effet de sévices. Dernièrement, un
prisonnier est mort à Gabès et son affaire est
devant le juge d'instruction de Gabès. La Ligue s'en
charge. Il y a eu également l'affaire d'un autre
prisonnier amputé de ses deux jambes à la suite de
mauvais traitements. Quatre mâtons ont été
condamnés pour ce crime à quatre ans de prison. C'est
un geste hautement symbolique, mais ce
n'est pas suffisant ».
Me Trifi appelle à la levée de l'impunité dont
bénéficient certaines personnes dans les prisons. La
Ligue a renouvelé sa demande d'enquête dans les prisons
auprès des pouvoirs publics.
Enfin, autre sujet toujours actuel, le harcèlement des
défenseurs des droits humains. La Ligue a
organisé récemment une journée de sensibilisation sur
ce thème.
« Ce harcèlement devient insoutenable et nous n'avons
pas l'intention de normaliser avec les flics.
Ces contraintes prennent en effet parfois l'allure
d'agressions insoutenables telles la persécution de
Me Menaï, avocat à Jendouba. Je cite encore le cas de
Me Kousri, de M. Marzouki jusqu'à son
départ etc...».
Pourtant, n'y a-t-il pas eu un relâchement de la
pression ces temps derniers ? Ainsi, Moncef
Marzouki, qui était jusqu'à la visite de Jacques Chirac
littéralement assiégé, a vu cette coercition dissipée.
Il a pu gagner Paris où il a commencé ses enseignements
à la Faculté de Médecine de Bobigny.
Le Dr Mustapha Ben Jaâfar a vu son dossier en justice
classé. Jusque là pourtant, ce dossier ne
l'empêchait pas de voyager et particulièrement de
prendre l'attache d'homologues au siège du
Parti Socialiste Français et à l'Internationale
Socialiste.
Il en va de même pour Sihem Ben Sedrine, présidente du
CNLT et de son époux Omar Mestiri,
membre actif de cette structure, lesquels, ayant des
affaires en justice, ne sont pas pour autant
empêchés de voyager et de propager à l'étranger un
message en faveur des luttes démocratiques.
Ainsi, Sihem Ben Sedrine a été reçue récemment par la
présidente du Parlement européen et par
d'autres députés.
De la même mouvance des démocrates, seuls Me Nejib
Hosni (qui n'a pas de passeport) et Sadri
Khiari (qui aurait deux affaires en justice dont nul ne
connaît la teneur) ne peuvent circuler librement
hors des frontières. Il y a aussi tous les anonymes...
Me Trifi ne considère pas ces facilitations des
déplacements comme une embellie mais comme l'exercice
d'un droit naturel.
Cela ne peut être considéré comme une grande avancée,
« bien que la Ligue salue les petits gestes
faits par le pouvoir ici et là. Nous continuons à
être l'objet de poursuites judiciaires, moi-même et
Slah Jourchi, vice-président de la Ligue et d'autres...
alors que ceux qui devraient être poursuivis ne
le sont pas, tels les agresseurs de Mmes Souhayr
Belhassen ou Khédija Cherif... ».
De la même manière, en dépit des plaintes, la
diffamation des défenseurs des droits humains dans les
journaux à scandale n'est jamais condamnée.
« En fait, en dépit de petites embellies apparentes,
les grands dossiers restent les mêmes. Nous
attendons que les mesures annoncées par le président de
la République le 7 novembre 2001 soient
suivies d'effet et particulièrement celles qui ont
trait aux libertés individuelles, notamment la
protection
des données personnelles et l'inviolabilité des
communications.
Car, ce qui se passe sur Internet, le degré de censure
et de blocage est un scandale... ».
« La seule avancée que nous ayons faite en matière de
technologie, c'est avec la censure sur
Internet. Nous sommes imbattables » ironise Me Trifi.
« Quant aux filatures, regardez par la fenêtre, il
y a une escouade de flics. Pourtant les jours « normaux »
un seul flic suffirait ! »
Et la Ligue, pour l'exercice où elle est « tolérée »,
a-t-elle avancé dans la préparation de son
congrès ? En fait, précise Me Trifi, nous avons été
retardés dans le renouvellement de nos sections
par l'affaire qui a été montée contre nous. Cependant,
nous nous attelons à cette tâche qui est notre
affaire, indépendamment des injonctions diverses ».
Du reste, il y aura un congrès de la Ligue, mais au
moment opportun sans que quiconque d'étranger
s'en mêle. En attendant, ce comité directeur, bien
qu'il ne reçoive aucun écho de ses interlocuteurs
normaux dans le gouvernement, tente d'assurer la
gestion de l'ordinaire des préoccupations de la
Ligue. Il le fait, curieusement, sans la cheville
ouvrière de ce travail quotidien, le secrétaire
général.
Ce dernier, en l'occurrence M. Khemaïes Ksila, sous le
coup d'une procédure judiciaire pour
harcèlement sexuel et tentative de viol - telle est la
teneur de la plainte déposée contre lui par la
secrétaire de la LTDH - se trouve en effet à Paris où
il semblerait en voie de résidence prolongée et,
dit-on, de l'organisation d'une association. Ces
dispositions de M. Ksila n'ont pourtant pas conduit
le comité directeur à désigner un nouveau secrétaire
général, M. Ksila ne pouvant assurer ses
fonctions à distance. En dépit de suggestions venues de
membres de la Ligue, le gel de ses activités
n'a pas, non plus, été prononcé.
Me Trifi considère que la justice doit se prononcer sur
cette affaire en toute sérénité et avec une
indépendance que le juge Yahyaoui a revendiquée à grand
bruit.
Avocat de son métier, Me Trifi fait de cette même
revendication un pivot de la lutte démocratique,
pivot qui soutient la constitution d'un centre de
défense d'une justice et d'une magistrature
indépendantes dont le juge Yahyaoui a été désigné
président par un collectif.
Engluée dans ces difficultés de travail au jour le jour
avec un fonctionnement bancal et tiraillée entre
des tendances pas toujours en harmonie, sans section
active et par dessus tout sans possibilité de
rencontre public de grande portée, comment la Ligue
pourrait-elle animer des débats sur ce thème
qui fut à l'ordre du jour le 10 décembre au plan
international et que le président de la Fédération
Internationale des Droits de l'Homme lance comme un cri
de ralliements : non à la démocratie
sécuritaire que certains gendarmes du monde donnent
comme une panacée contre le terrorisme, car
ce terrorisme est précisément le produit de l'injustice
à l'échelle mondiale et de l'inégal
développement. C'est donc en terre de tyrannie comme en
terre de démocratie à une réflexion sur les
droits de l'homme qu'il faut en appeler, pour les
crédibiliser en y intégrant aux côtés d'un idéal de
liberté, les valeurs de solidarité, de partage et de
dignité.