Alternatives citoyennes
Numéro 6 - 30 décembre 2001
Champ libre
International
Ben Laden a-t-il voulu tuer Khaddafi ?

 

À la mi-avril 1998, Interpol lance depuis son siège de Lyon un mandat d'arrêt contre Oussama Ben Laden. Cet appel est destiné à toutes les polices du monde, mais Interpol met également sur Internet, sur son site, cet avis de recherches de celui qui deviendra l'ennemi public n°1 de l'occident auquel se liguent tous les pays qui, pour des raisons éthiques ou moins avouables, s'associent à cette mobilisation, alors essentiellement policière, contre le terrorisme.

Dans leur livre1 devenu en trois semaines un best-seller traduit dans plusieurs langues, Jean-Charles Brisard, expert international en investigations policières et Guillaume Dasquié, rédacteur en chef d'Intelligence online2, s'arrêtent, le temps d'un chapitre, sur cet épisode intriguant. D'où vient leur trouble ? Ils s'avisent, en effet, de comparer les références du mandat d'arrêt original réservé aux commissariats de police avec le texte public sur internet. Le « terroriste » recherché est bien le même homme, bien que sa photo, le montrant tout jeune, le révèle aussi moins anguleux qu'aujourd'hui, le visage moins creusé par la maladie (dont on dit qu'elle pourrait être un redoutable cancer des glandes surrénales) et la barbe plus épaisse d'un homme très loin encore du soir de sa vie.

Mais la différence n'est pas là. Sur la pièce confidentielle en effet, la date d'émission du mandat d'arrêt et les faits reprochés sont mentionnés à l'inverse du texte public. L'État demandeur n'est pas non plus identifié au regard de tous. Mais la police le sait désormais. C'est la Libye qui veut donner la chasse à Ben Laden.

Un certain nombre de pays arabes sont, on le sait, dans le collimateur de Ben Laden. En premier lieu, son pays de la nationalité duquel il est déchu depuis 1994, l'Arabie Saoudite qu'il poursuit de sa vindicte depuis que la tempête du désert a profané les lieux saints, avec la bénédiction de la monarchie. Bien entendu, on peut imaginer que d'autres pays du Golfe sont dans l'aire de sa haine, ainsi que l'Égypte dont se chargent d'autres mouvements islamistes où lui-même puise ses théoriciens (Aymen Al-Zawahiri) ou ses stratèges (Mohamed Atef), l'Algérie enfin où le réseau Hassan Hattab ainsi que quelques éléments du GIA sont alimentés par les recrues afghanes et l'argent de la trésorerie Ben Laden.

Pourquoi la Libye est-elle aussi dans son point de mire ? Certes, Moamar Khaddafi n'est pas suspect de sympathie pour « l'alliance judéo-croisée » que combat Ben Laden et il est - à cette époque - beaucoup plus que Ben Laden la bête noire des puissances occidentales. Mais il est aussi ce colonel prétendant réunir, les décennies passées, tous les Arabes à l'oriflamme de son nationalisme. Voilà une dangereuse concurrence fédératrice pour un émirat islamique à l'échelle mondiale ou du moins du Machrek au Maghreb. Pire, les mouvements radicaux islamistes considèrent que le chef de l'État libyen prend des libertés avec les obligations de sa foi, qu'il prône un Islam très relâché.

Depuis les années 80, un certain nombre de libyens qui ont en horreur les deux modèles mondiaux de société de cette époque, le modèle capitaliste américain et le modèle marxiste soviétique, vont combattre ce dernier en Afghanistan et se refaire une pureté musulmane dans ce jihad. C'est alors qu'ils vont graviter autour du sponsor et du chef charismatique entre tous, Oussama Ben Laden. Au départ soldats soviétiques, ils sont près de 2500 à avoir rejoint la fraternité Ben Laden, mais dans leur élan conquérant, ils rêvent de restaurer un Islam intégral en Libye. Sous la férule avisée et à longue vue du stratège Ben Laden, ils se sont organisés en mouvement terroriste armé, Al-Jemaa-al Islamya-al-Mouqatila, groupe inscrit sous le nom de Leven Islamic Fighting Group dans la liste des 25 organisations terroristes, après les attentats du 11 septembre, et que les USA ont promis de décimer.

Il fut un temps, pourtant, où ce réseau trouvait grâce auprès des Anglo-saxons, du moins auprès des Britanniques : ce sont eux en effet qui dans leur soutien à la monarchie libyenne, poursuivent alors une guerre d'usure contre le colonel Khaddafi depuis la révolution du 1er septembre. Aussi, « tous les ennemis du régime libyen sont dorénavant les amis de Londres », soutiennent les auteurs dérangeants de La Vérité Interdite. C'est le chef d'Al-Mouqatila connu sous le nom de Anes le Libyen qui est chargé de préparer un attentat contre le colonel Khaddafi.

Quant à Oussama Ben Laden qui, un temps, après son départ d'Arabie, aurait séjourné à quelques kilomètres de Benghazi, il n'aurait pas vu d'un mauvais oeil un ancrage de l'islamisme radical, entre le Caire et Alger, avec - qui sait ? - un crochet par la petite Tunisie. Dès 1993 Ben Laden aurait « jeté son dévolu sur la Libye qui représentait la zone la plus naturelle pour abriter le centre névralgique d'Al-Qaïda ». Les soldats de Dieu libyens sont prêts, ils poursuivent leur entraînement dans une base arrière du Soudan. Dans le courant du mois de novembre 1996, un attentat est préparé contre Moamar Khaddafi. C'est, du moins, un ancien agent secret britannique, chargé des questions d'Afrique du Nord, qui, selon Interpol, aurait trahi ce complot top confidentiel que les Britanniques auraient fomenté avec leurs ennemis terroristes d'aujourd'hui. L'opération qui consistait à attaquer le cortège officiel lors d'un de ses déplacements a échoué. Les auteurs de l'ouvrage concluent pourtant «  ...à cette période et au moins jusqu'en 1996, les services secrets britanniques dépendant du Foreign Office et placés sous la tutelle du Premier ministre, travaillaient en coopération avec les principaux alliés d'Oussama Ben Laden ».

C'est seulement en 1998 qu'Interpol enregistra la demande de poursuite d'Oussama Ben Laden, demande émanant des services judiciaires libyens. Cependant, Ben Laden n'est cité qu'au titre de l'assassinat en Libye d'un couple de ressortissants allemands, les Backer, en fait des agents secrets relevant d'un service allemand de « défense de la Constitution ». L'assassinat de ce couple survenu en 1994 fut imputé par la Libye à Oussama Ben Laden. Jusqu'à cette date, Ben Laden, pourtant auteur désigné de l'attentat de Dahran et plus anciennement commanditaire suspecté du premier attentat du World Trade Center, n'était pourtant pas poursuivi par les USA contre lesquels il avait lancé sa punitive fatwa. De cet épisode maghrébin, il ne resterait à Ben Laden, intimement lié à lui dans sa garde rapprochée, qu'Anes Le Libyen.

Notes :

1 Guillaume Dasquié et Jean-Charles Brisard, Ben Laden - La vérité interdite. Éditions Denoël, Paris. Novembre 2001.
2 Voir Intelligence Online, le site du Monde du Renseignement.

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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