e quotidien gouvernemental La Presse de Tunisie aura,
ce dimanche 23 décembre, publiquement appris à ses
dépens que l'impunité dont il se croyait investi dans
ses éditoriaux hargneux et ses soliloques
vindicatifs était enfin levée.
D'ordinaire, en effet, certains chiens de garde se
croient autorisés à propager - en général contre les
défenseurs des droits humains - contre-vérités et
diffamations, sans que la sanction attendue de ce type
de délits dans un État de droit ne leur soit appliquée.
Jusque là les coups fourrés étaient portés par une
presse de caniveau oeuvrant elle aussi en toute
immunité judiciaire à l'ordinaire de la bassesse, La
Presse se réservant aux affaires d'État dans des
réquisitoires pompeux et péremptoires. Ce journal
s'attelait souvent à relayer une information
officielle, puisque émise par l'Agence Tunisienne de
Presse TAP, dans ses falsifications et calomnies. On
se souvient tout particulièrement de l'affaire Ryadh
Ben Fadhel (puisque non éclaircie) qui a valu à
l'agence TAP une réplique ulcérée de citoyens se
faisant une idée plus déontologique du journalisme et
en appelant à une pénalisation de ce genre de
forfaits.
Depuis quelques mois c'est la chaîne de télévision
El-Moustaquila, émettant le dimanche sur un canal kurde
et suivie avec délectation, mais aussi parfois avec
quelque agacement, par un public sevré d'une parole
contestataire - fût-elle quelques fois excessive ou
répétitive - qui fait l'objet d'une charge du quotidien
gouvernemental, sans ménagement mais surtout sans
grande mémoire.
Sans grande mémoire car les éditorialistes en chef et
leurs sombres éminences se semblent pas se souvenir du
temps où Hachemi Hamdi officiait en porte-parole
(auto ?)-proclamé du chef de l'État, de la confiance
duquel il se réclamait pour pourfendre au micro
d'Al-Jazira les opposants tunisiens, particulièrement
le journaliste tunisien Taoufik Ben Brik qui a
aujourd'hui l'heur d'être l'hôte hebdomadaire
d'El-Moustaquila dans sa gouaille insolente.
L'histoire a de ces retournements... de veste ! C'est
ainsi que ce dimanche 23 décembre Hachemi Hamdi s'est chargé
d'appliquer un remède de cheval à ce début d'Alzheimer
dont sont affligés les éditorialistes de la Presse.
Alors, ce fut le grand déballage, sans doute de ce que
l'on savait déjà, mais avec preuves et nominations à
l'appui, et en trois langues - pour ratisser plus
large et porter son audimat jusque dans
l'establishment et la bonne société des diplomates.
Voici un ministre et un secrétaire d'État actuel de
Ben Ali, émergés d'interviews enregistrées sans
doute en une vie antérieure. Voici même un courrier
privilégié du président Ben Ali à Hachemi Hamdi, sans
parler de tous les conseillers-médiateurs !
Et, confidence pour confidence, voulez-vous savoir de
quoi on traite en haut lieu le président (Mokhtar
Trifi) et le vice-président (Slah Jourchi) de la Ligue
tunisienne des droits de l'homme ? D'« éboueurs » (zebel) et
Hachemi Hamdi n'ose même pas traduire en Anglais ces
propos orduriers.
Puis, la philippique va crescendo. Le directeur
d'El-Moustaquila lance plusieurs défis à la Presse :
publier un article de Sihem Ben Sedrine, ou une
interview de Mohamed Charfi, ou un reportage sur la
famille de Mohamed Moadda... tous challenges que
El-Moustaquila relève aisément pour sa part. Il n'en a
que pour le West, pour les libertés publiques qu'il
promeut, le pluralisme, l'alternance et bien sûr la
liberté de presse et même la liberté de conscience.
Cette ligne rouge des islamistes que ne s'impose pas
pour sa part Hachemi Hamdi, l'homme que La Presse
traite « d'intégriste intégral » de mèche avec Ben
Laden (sous prétexte qu'il aurait reçu un crédit de la
banque Ettadhaman, installée au Soudan et qui figure
dans l'organigramme de la Ben Laden Financial
Connection).
Rappelons au passage, à la décharge de Hachemi Hamdi,
que les frères Faraoun, dont on se souvient sur la
colline de Gammarth, grands investisseurs en leur temps
pour des projets de prestige, sont poursuivis dans le
cadre d'un mandat d'arrêt international (il s'agit de
l'affaire de la Banque de Commerce et de Crédit
Islamique, dont le scandale financier a défrayé la
chronique ces derniers années et que des experts
internationaux lient aux avoirs Ben Laden) !
Mais Hachemi Hamdi ne participe en aucune manière
d'une résistance à « l'impérialisme judéo-croisé »,
plate-forme de la fraternité Ben Laden. D'ailleurs,
« son médecin, la gynécologue de sa femme, son avocat et
quelques-uns de ses partenaires financiers ne sont-ils
pas juifs » ? Mieux - « prenez-le comme il vous
plaira » -, selon Hachemi Hamdi « Sharon est un Premier
ministre démocratiquement élu et pas à 99% et quelques
poussières...».
Hachemi Hamdi ose plus : si les citoyens des régimes
arabes jouissaient du quart des droits dont bénéficient
les Arabes israéliens, ce serait pour les pays arabes
une grande avancée ! Enfin, vive la colonisation
française qui accordait aux journaux nationalistes
tunisiens une liberté et un droit à l'expression,
incomparables avec le degré zéro de l'information
tunisienne d'aujourd'hui !
Cela, c'est Hachemi Hamdi qui le soutient mais les
historiens le confirment aussi. « De l'audace », avait
réclamé le président. De l'audace, en veux-tu en
voilà, lui rétorque Hachemi Hamdi avec un rappel d'une
familiarité évanouie, lui qui déjeuna à la table du
chef de l'État autant que Moadda but le thé avec lui.
Mais les amitiés qui se défont poussent à bien de
trahisons, voire à bien de défis.
Car Hachemi Hamdi semble, de sa tribune où l'écoutent
tous les dimanches des milliers de Tunisiens, laisser
un sursis au président Ben Ali.
Pourquoi le Président ne l'écouterait-il pas lui
plutôt que les archéos de La Presse, Abdelwaheb
Abdallah en tête, qui poussent le pays en marge de
l'histoire, celle incontournable d'un Occident que
Hachemi Hamdi aimerait bien installer en Tunisie,
celle de la démocratie.
La porte est encore ouverte et Hachemi Hamdi a encore
la main tendue vers Ben Ali, au nom d'une ancienne
sympathie. Sinon, il pourrait bien prendre à Hachemi
Hamdi, lui aussi, l'envie d'entrer en concurrence avec
lui, en 2004, comme un présidentiable bien créatif,
car cet ancien islamiste qui fit en 1985 un séjour
dans les prisons de Bourguiba, devenu démocrate,
entend bien prendre la suite du Combattant suprême
qui fit l'indépendance mais non la démocratie.
Hachemi Hamdi pousse même le paradoxe jusqu'à
promettre de ramener de ses cendres, tel un Phoenix, le
Destour de Bourguiba rebaptisé « démocratique ».
Et stupéfait de cette étrange synergie entre un
bourguibisme laïc, émancipateur des femmes et un
ancien intégriste converti au Bill of rights et à la
démocratie anglo-saxonne, il n'y aurait plus que ce
recours contre de nouvelles supercheries : « Bourguiba, réveille-toi ! »