écidément, le SMSI s'annonce plus difficile que prévu pour le gouvernement tunisien.
Rendre visible la situation des droits de l'homme
Tout d'abord, la PrepCom2, qui s'est déroulée du 17 au 25 février à Genève, a été marquée par plusieurs actions de
la part de la société civile tunisienne indépendante, très mobilisée, ainsi que d'organisations de la société
civile internationale, dont certaines ont conduit des missions d'observation en Tunisie. Comme nous le retraçons
dans ce dossier, ces actions ont permis de mettre encore plus en lumière les atteintes flagrantes aux droits de
l'homme et aux libertés dans le pays. Il est vrai que pour certains groupes, en particulier le caucus des droits de
l'homme, la PrepCom2 constituait la phase de constats et d'expression des revendications, dans sa stratégie exposée
au cours d'une conférence de presse à Genève, stratégie qui devrait permettre à chacun de décider ultérieurement de
sa participation ou sa non participation, en un mot de faire de Tunis, selon le cas, un « Sommet de
solutions » ou au contraire un « Sommet de problèmes ».
La bourde Sharon
Comme si cela ne suffisait pas, voilà que le jour même où s'achevait la PrepCom2, un quotidien israélien révèle une
information qui s'avère constituer une véritable bombe : « Le chef du gouvernement [NDLR.
israélien] a reçu une invitation à se rendre en Tunisie dans le cadre d'une conférence sur la coopération
scientifique [NDLR. il s'agit évidemment du SMSI] et a l'intention d'effectuer cette visite ». Tunis
est bien dans l'embarras, car le président tunisien Ben Ali se serait bien passé de cette publicité, alors qu'elle
constitue pain bénit, évidemment, pour le Premier ministre israélien Ariel Sharon, dans le cadre de sa politique de
« normalisation ». Tunis a beau se défendre en précisant, ce qui est la réalité, que le SMSI est un
Sommet de l'ONU, auquel par conséquent tous les États membres des Nations Unies sont légitimes à participer, le mal
est fait : il y a bien eu invitation à Ariel Sharon en personne.
C'est que le président Ben Ali d'une part ne veut pas se contenter d'un Sommet au rabais, un SMSI
hallouzi, où les États ne seraient pas représentés au plus haut niveau mais simplement au niveau
ministériel, voire, pire, au niveau de leurs ambassadeurs, et d'autre part veut jouer les bons élèves de ses amis
américains. Il est peut-être aussi tenté par un « grand destin », par exemple d'artisan d'une
« nouvelle ère dans les relations entre les deux pays », comme s'en félicitait par avance Ariel Sharon
(propos rapportés par Le Monde du 25 février 2005). Le tollé légitime suscité en Tunisie par cette
invitation, et la répression qui s'en est suivie, notamment à l'encontre des étudiants, montre bien l'énorme bourde
qui a été commise. Pour tenter de s'en sortir dignement, les autorités tunisiennes vont devoir faire preuve d'une
intelligence politique et diplomatique inédite... En seront-elles seulement capables ?
Notre amie la France
Les autorités tunisiennes peuvent en tous cas compter sur le soutien de leurs amis français. Après Jacques Chirac
(qui vient de manifester encore son amitié, selon La Presse, à l'occasion du 20 mars), et son fameux
« premier des droits de l'homme », Jean-Pierre Raffarin s'est également illustré par l'un de ces bons
mots dont il est coutumier. En visite d'État en Tunisie, il a cru bon de déclarer, au cours d'une conférence de
presse à Tunis le 31 janvier dernier, qu'« au fond, il n'y a pas de plus grande liberté que celle de la
société de l'information par les voies numériques et de l'Internet », ce qui lui vaut un article dans notre
dossier pour lui rafraîchir quelque peu la mémoire (que nous lui souhaiterions vive). Plus récemment, c'est
l'ancien ministre François Léotard qui est sorti d'une pourtant salutaire hibernation, pour publier une tribune
dans Le Monde du 19 mars, intitulée « Ben Ali et la banquise ». Est-ce le printemps, arabe ou
autre, qui a fait ainsi brusquement surgir François Léotard du néant médiatique et politique dans lequel il se
trouvait jusqu'alors ? Ou alors se sent-il concerné dès qu'il est question de mur érigé, au point de voler au
secours de Sharon et de celui qui l'invite ? Un grand mystère que ce soudain article dont l'argumentaire
semble avoir été puisé dans la documentation de l'Agence tunisienne de communication extérieure.
L'air de Davos plus sain que celui de Genève ?
À propos de communication extérieure (et intérieure, d'ailleurs), on nous le clame sur tous les tons :
l'édition 2004-2005 du rapport sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, publié par
le Forum économique mondial de Davos, classe la Tunisie au 31e rang, parmi 104 pays. On se gargarise de ce résultat
comme d'une « nouvelle reconnaissance de la communauté internationale des progrès réalisés par la Tunisie sur
la voie de la maîtrise des NTIC et de la consécration de l'économie du savoir ». À y regarder de plus près, on
se rend compte que le classement NRI du pays apparaît certes comme un résultat intéressant, mais il conviendrait de
se garder d'en tirer des conclusions triomphales car, comme aiment à dire les anglophones, « le diable se
niche dans les détails » !
Et le SMSI dans tout ça ?
Mais on en oublierait presque le SMSI lui-même et ses propres travaux, avec tous ces encombrants à côtés... Comme
prévu, cette deuxième PrepCom a concentré ses travaux sur les questions du financement et de la gouvernance
d'Internet, et n'a fait qu'aborder le texte à rédiger par le « groupe des amis du président » (du
processus préparatoire), devant comporter un volet politique et une partie opérationnelle, qui seraient
respectivement le pendant, pour la phase de Tunis, de la Déclaration de principes et du Plan d'action de Genève.
Les différentes organisations de la société civile ont réagi, par des déclarations et contributions, aux textes
proposés à ce stade. Celles du caucus des droits de l'homme sont disponibles sur le site du caucus
(www.iris.sgdg.org/actions/smsi/hr-wsis), rubrique « documents » : il s'agit d'une part d'une
« déclaration sur les droits de l'homme et la gouvernance d'Internet » (proposée en 4 langues :
Anglais, Arabe, Espagnol, Français) et d'autre part de « commentaires sur le volet politique et la partie
opérationnelle » (disponible en Anglais et Français). On trouvera l'ensemble des contributions sur le site de
l'UIT consacré à cette PrepCom :
www.itu.int/wsis/documents/listing-all.asp?lang=fr&c_event=pc2%7C2&c_type=all%7C.
Adieu Zouhair
Alternatives citoyennes a rendu hommage le 14 mars à Zouhair Yahyaoui, à travers un message reproduit dans
ce numéro. Mais je voudrais ajouter une note très personnelle, à l'occasion de ce dossier consacré à la PrepCom2.
C'est à Genève que j'ai rencontré Zouhair pour la première fois. Il ne ressemblait pas aux photos de lui que
j'avais pu voir. Rencontrant dans les couloirs du Palais des Nations les représentants de RSF, j'ai salué
distraitement quelques personnes qui les accompagnaient, invitées pour témoigner lors d'une conférence de presse.
Parmi eux, un jeune homme que j'ai pris pour un Sud-américain, ne voyant que ses boucles rebelles dépassant d'un
bonnet. Il n'a pas beaucoup réagi non plus à ce moment-là. Puis nous avons compris notre erreur mutuelle.
Finalement, il n'avait pas que les boucles de rebelle... Ce dossier SMSI, ou plutôt SMZY, lui est dédié.
- La situation des droits de l'homme en Tunisie au centre de la PrepCom2 de Genève
- Un « Sommet de solutions » ou un Sommet de problèmes ?
- Ainsi, monsieur Raffarin, la plus grande liberté serait celle de la société de
l'information ?
- Mabrouk Davos, but... the evil is in the details !