La rédaction
Le caucus des droits de l'homme a été constitué dès la fin de la PrepCom1 de la phase 1 du SMSI, en juillet 2002.
Son objectif est
d'inscrire les droits de l'homme à l'agenda de ce Sommet, s'agissant tant des droits civils et politiques que des
droits économiques et sociaux. Le caucus est composé de plus de 55 organisations internationales et nationales,
couvrant l'ensemble des régions du monde et oeuvrant à la défense des droits de l'homme, dans le processus du SMSI
et dans tous les pays du monde, à commencer par le pays hôte du Sommet.
Préoccupations et stratégie du caucus par rapport à la Tunisie
Le caucus s'est préoccupé très tôt de la tenue de la seconde phase du SMSI en Tunisie, pays connu pour ses
atteintes flagrantes aux droits de l'homme et à la démocratie, y compris dans le contexte de la société de
l'information.
Mais sa stratégie n'a jamais été le boycott du processus du Sommet, qui est une formidable occasion de mettre la
Tunisie sous les projecteurs du monde et de nouer des liens avec la société civile internationale. De plus, nous
avons trouvé bien plus efficace d'agir de l'intérieur du processus, car ce Sommet est très important pour le
gouvernement tunisien.
Le caucus a aussi souhaité agir en concertation avec les ONG tunisiennes indépendantes et en accord avec leurs
demandes et revendications.
L'idée générale est donc d'obtenir le plus d'avancées possibles, des avancées sérieuses, concrètes, durables et
mesurables, sur la situation des droits de l'homme en Tunisie.
Premier moment (Sommet de Genève et PrepCom1) : phase de visibilité
Le caucus a mené des actions dès la première phase du SMSI. Une pétition a été initiée en septembre 2003, demandant
d'une part la libération des journalistes et autres prisonniers d'opinion et d'autre part l'engagement de permettre
à tous les représentants de la société civile tunisienne et internationale de participer librement.
À la même date, nous avons organisé un évènement de lancement d'une publication réalisée par l'un de nos membres,
l'organisation Droits et Démocratie, sur les droits de l'homme dans la société de l'information, qui
dénonçait entre autres le cas de l'emprisonnement d'un webmestre, Zouhayr Yahyaoui. Celui-ci a bénéficié d'une
libération conditionnelle en novembre 2003.
Puis nous avons entamé une série d'actions visant à rendre visible la société civile tunisienne indépendante et ses
revendications, non seulement vis-à-vis de la société civile internationale, mais aussi vis-à-vis de l'ensemble des
gouvernements participant au SMSI. Notre double objectif a ainsi été de construire la solidarité de la société civile
internationale et de faire pression sur les gouvernements.
Ainsi, nous avons organisé pendant le Sommet de Genève en décembre 2003 deux évènements importants :
une rencontre publique « Communication et droits de l'homme : pas de développement sans démocratie,
pas de démocratie sans développement », avec la participation de la Ligue tunisienne des droits de l'homme
(LTDH) ;
une conférence de presse, avec la participation de la LTDH, qui a alors exprimé une demande de mise en place
d'une mission internationale d'observation en Tunisie.
Puis, la PrepCom1 de la seconde phase, à Hammamet, a permis de révéler à tous les pratiques antidémocratiques qui
ont cours en Tunisie : comme le caucus l'a relevé dans son communiqué de presse, les réunions plénières de la
société civile ont tourné au chaos, avec des personnes amenées par bus entiers pour empêcher les voix critiques
vis-à-vis du régime tunisien de s'exprimer. Cela a même entraîné une interruption de 45 mn de la séance officielle
des discussions gouvernementales, frisant l'incident diplomatique. Ces pratiques de personnes acquises aux
autorités tunisiennes ont eu un résultat non escompté : la société civile internationale a pu ainsi
« sentir » la situation vécue au quotidien par la société civile indépendante tunisienne. Le caucus des
droits de l'homme a également obtenu que la représentante de la LTDH s'exprime, en Tunisie et lors d'une réunion
internationale officielle, au nom de l'ensemble de la société civile internationale, pour signifier que le pays
hôte du SMSI doit respecter les droits de l'homme.
Deuxième moment (PrepCom2) : phase de constats et d'expression des revendications
À la suite notamment de la demande publiquement exprimée par la LTDH lors du Sommet de Genève, deux missions
internationales d'observation se sont rendues en Tunisie. Je reviendrai plus tard sur celle organisée par la FIDH,
Droits et Démocratie, et l'OMCT, et soutenue par le caucus.
Il y a eu également une mobilisation très forte des ONG tunisiennes indépendantes pour venir ici à Genève
participer à la PrepCom2, et notamment pour annoncer la formation de leur coordination et énoncer leurs revendications
et attentes, contenues dans la Déclaration de janvier 2005 de la société civile indépendante tunisienne :
- La reconnaissance légale des associations qui en ont fait la demande
- La levée réelle et durable des atteintes à la liberté d'expression et d'accès à l'information
- Des solutions effectives pour améliorer la situation des journalistes
- La libération des internautes emprisonnés et des autres prisonniers d'opinion
Cette PrepCom2 permet donc de poser des dates limites pour la
satisfaction de ces revendications et pour demander à cet égard la solidarité de la société civile internationale.
Situation actuelle, au stade de la PrepCom2
Trois membres du caucus, des ONG internationales de défense des droits de l'homme (FIDH, Droits et Démocratie,
OMCT), soutenues par le caucus, ont mandaté des experts internationaux en matière de techniques de l'information et
de la communication, de droits de l'homme et de médias, pour une mission d'enquête et de dialogue en Tunisie.
L'objectif de cette mission est de produire un outil d'évaluation de la situation en Tunisie en réponse à deux
questions :
- Quelles sont les conditions opérationnelles pour la participation de la société civile au Sommet
de Tunis ?
- Quel est l'état des droits de l'homme dans le contexte de la société de l'information en
Tunisie ?
Les organisateurs de la mission ont précisé aux experts les conditions de leur travail d'observation, qui
sont :
- D'assurer le caractère indépendant et objectif de production de cet outil d'évaluation
- De se conformer à une conception globale des droits de l'homme, respectant leur caractère universel et
indivisible, dans un contexte d'État de droit garantissant leur application effective
La mission s'est déroulée du 25 au 28 janvier 2005. Elle a permis des rencontres avec les acteurs associatifs, sans
exclusive, ainsi qu'avec les autorités tunisiennes. Les experts étaient
Deborah Hurley, directrice du Harvard Information Infrastructure Project de l'université
de Harvard, ancienne responsable pour l'OCDE des questions juridiques, politiques et économiques liées aux
techniques de l'information et de la communication ; Younes Mjahed, secrétaire général du syndicat national de
la presse marocaine, membre du comité exécutif de la Fédération internationale des journalistes ;
et Jean-Louis Roy, président de l'organisation
Droits et Démocratie, ancien directeur du quotidien montréalais Le Devoir et ancien secrétaire général de
l'Agence de la Francophonie. Ils étaient accompagnés d'Antoine Madelin, responsable pour la FIDH
des relations avec les
organisations intergouvernementales, qui assurait le secrétariat de la mission.
Il est encore trop tôt pour diffuser le rapport final de la mission, d'autant qu'il couvre l'ensemble des droits de
l'homme, mais, d'ores et déjà, les experts ont fait part de leurs graves préoccupations quant à la capacité
de la Tunisie, en l'état actuel des choses, de remplir ses engagements internationaux dans le respect des
Conventions internationales sur les droits de l'homme et d'abriter sur son sol une conférence
des Nations Unies.
On peut noter en effet que la Tunisie essaie d'instrumentaliser ses résultats en termes d'infrastructure et
de développement de la société de l'information, au détriment du respect des droits civils et politiques, qui
subissent des atteintes flagrantes.
Mais quand on y regarde de plus près, en se basant sur des chiffres provenant des organisation internationales
(Banque mondiale, Union internationale des télécommunications, Programme des Nations Unies pour le développement)
et de la très officielle Agence tunisienne de l'Internet, on se rend compte que la surveillance, le contrôle et la
censure constamment exercés, ainsi que l'insécurité juridique résultant de la législation et de la réglementation
administrative, ont un impact très fort sur :
- Le développement de l'usage d'Internet et la confiance des utilisateurs. Par exemple,
6 internautes sur 7 en
Tunisie ouvrent leurs comptes de courrier électronique auprès de fournisseurs de services Internet (FSI)
étrangers.
- L'économie des services de la société de l'information. Par exemple, le taux de
pénétration d'Internet en
Tunisie est de 6.4%, et on dénombre seulement 0.05 publinet (cybercafé) pour 100 internautes, alors qu'en Algérie,
où le taux d'internautes n'est que de 1.9%, il y a 0.3 cybercafés pour 100 internautes. De même, la Tunisie compte
un nombre ridiculement bas d'hôtes Internet (sites web) compte tenu du taux d'internautes, et comparativement à des
pays comme l'Algérie, le Maroc et l'Égypte. On pourrait fournir encore bien d'autres signes tangibles, montrant que
les acteurs économiques tunisiens ne s'investissent pas dans le secteur des services de la société de
l'information.
En résumé, la visibilité de l'Internet tunisien est celle d'un pays où il existe un gouvernement et des
administrations, mais ni citoyens ni acteurs économiques. Des trois « parties prenantes » du SMSI (États,
société civile, secteur privé), seul l'une d'elles est donc effectivement présente dans le cas de la Tunisie.
Troisième moment (PrepCom3) : phase de bilan et de décision
La PrepCom3, qui aura lieu deux mois avant la tenue prévue du SMSI en novembre 2005, constituera pour la société
civile internationale le moment du bilan et de la prise de décision, au regard des outils et critères
d'évaluation de la situation tels quel les résultats de missions d'observation.
Si le gouvernement tunisien souhaite la tenue du Sommet dans de bonnes conditions à Tunis, il doit donc
répondre de façon sérieuse, concrète, durable et mesurable à la plate-forme minimale de revendications présentée
par la société civile tunisienne indépendante et dont la nécessité a été constatée par les missions
internationales.
Si les gouvernements représentés au SMSI tiennent à ce Sommet de Tunis, ils doivent exercer une ferme pression sur
les autorités tunisiennes pour la satisfaction de ces revendications.
Si la société civile internationale veut se montrer vraiment solidaire, elle doit faire siennes ces
revendications.
Si Tunis doit être un « Sommet de solutions », selon la formule de l'UIT, et non un « Sommet de
problèmes », selon les craintes qui ont été manifestées, il reste beaucoup d'efforts à faire et de pressions à
exercer, mais nous savons que des résultats tangibles pourraient être facilement exhibés d'ici à septembre 2005 par
les autorités tunisiennes, si elles en manifestent la volonté politique.
Nous nous donnons donc rendez-vous à la PrepCom3 de septembre 2005 pour évaluer ces résultats, et pour que chacun
soit en mesure de prendre sa décision sur sa participation, ou sa non participation, au Sommet de Tunis.