Alternatives citoyennes Numéro 13 - 22 décembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Violences contre les femmes
Une synergie maghrébine

 

F in novembre en France, une grande marche mixte protestait contre les violences faites aux femmes. La manifestation était concomitante du meurtre par lapidation à Marseille de la jeune Ghofrane par son « promis » éconduit, qui l'arrachait ainsi pour toujours aux noces avec un autre.

Les agressions contre les femmes sont toujours des histoires d'amour, c'est-à-dire de possession, inversées en histoires de haine quand, à l'appropriation par l'homme, la femme oppose son autonomie. Elles se jouent autour du corps des femmes, matrice reproductrice de l'espèce, autour de la sexualité dont le plaisir reste unilatéral, celui de l'homme, donné par lui et pour lui : affaire de culture matriarcale qu'autour de la Méditerranée, les trois religions monothéistes ont diffusée. Christianisme, judaïsme et islam se partagent cette dimension de violence qui explose lorsque la femme, respectée et choyée dans son statut de jeune fille virginale (de l'étymologie latine où la jeune fille est forcément une vierge), d'épouse complaisante (donnant du plaisir à son partenaire) ou de mère (féconde comme la terre germinatrice), se refuse et s'insurge. Alors cette violence pleut sous formes d'insultes, de coups et blessures, de viols, de meurtre.

Les statistiques sont difficiles à établir, car la parole est lente à émerger. Ainsi dans un pays où, sur ce sujet, elle se libère, le rapport Henrion (du nom du professeur de médecine parisien qui a conduit cette étude en 2001) donne une mort de femme sous les coups masculins tous les 5 jours. D'autres statistiques donnent 400 victimes féminines par an, et montent quelquefois à 600 ou 700 femmes trépassant sous la plus cruelle des violences, le poignard planté dans le coeur comme dans un film des années 50 (30%) ou par étranglement. Qu'importent les fluctuations, trop, c'est toujours trop et quand il n'y en aurait qu'une, cela reste monstrueux.

Du Japon au Guatemala, aucun pays n'est épargné et même si au Proche-Orient et dans une Palestine si chère il ne faut pas taire le crime d'honneur, les pays de haute religion technologique abâtardie par de vielles traditions privilégient le sadisme, la mort par découpage et dépeçage dont nous abreuvent les films à grands frissons. On retiendra un seul pourcentage, valable pour la France, à majorer en allant du grand Nord scandinave ou canadien, au top de l'instruction selon le rapport de l'OCDE, vers la périphérie, le Sud musulman et la secrète Asie : 1 femme sur 10 est victime de violences à des degrés divers, et surtout aucun milieu social, aucune catégorie professionnelle, aucune appartenance culturelle n'est épargnée. Le rapport montre même que les cadres, membres de la police ou de l'armée, dont le métier porte à l'autorité, ont la main particulièrement lourde.

Au Maghreb, les violences contre les femmes sont un fait d'histoire, de culture, de société. Aujourd'hui on en parle, et même depuis une bonne dizaine d'années. Trois centres de femmes ont vu le jour et réuni leurs expériences dans un ouvrage publié en 2001 (Ed. Le Fennec, Casablanca) mais qui, semble-t-il, n'a pas encore reçu le visa commercial en Tunisie. Au centre Tanassof ou maison des femmes de Tunis [NDLR. Voir Alternatives citoyennes numéro 8] parrainé (faute de visa) par l'AFTURD (Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement), un petit débat a eu lieu autour de ce livre, en marge du 10 décembre 2004, anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Tout cela, quoique méritoire, reste en très petit milieu clos. C'est sans doute à la mesure des difficultés de l'action et de l'expression publiques vécues par ces centres d'écoute, du fait des mentalités mais aussi des faibles libertés démocratiques. Chaque expérience a ses particularités, mais on retiendra un fond commun : une prise de conscience de militantes féministes de cette obscénité matriarcale qu'est la condition de femme battue et la nécessité d'apporter écoute, prise en charge juridique, psychologique, quelquefois financière et, si possible, la création de foyers d'hébergement (c'est le cas au Maroc).

Pour cela, il faut de la disponibilité et de l'audace, il faut aussi un financement, qui provint d'une fondation allemande pour l'Algérie et le Maroc, de fonds italiens pour le centre tunisien de l'ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates). Les centres travaillent essentiellement avec l'aide d'« écoutantes » (en général des psychologues) et d'avocates qui assurent le suivi juridique, souvent dans le cadre de procédures de divorces ou de demandes de réparation. Rares sont les médecins qui s'y associent, et pourtant leurs certificats sont indispensables. Peu de médiatisation pour sensibiliser l'opinion. La presse indépendante ou d'opposition relaie quelquefois un débat qui dérange pourtant. À long terme, la pression paie et en Tunisie, par exemple, l'Union nationale des femmes tunisiennes (UNFT, pro-pouvoir) ainsi que les pouvoirs publics se sont saisis du dossier. Une loi contre le harcèlement sexuel a été adoptée en juillet 2004, certes pour beaucoup dans un esprit d'ordre moral, mais le thème est dans l'air. Un tabou est levé.

Certes, au Maghreb on est très loin du plan Zapatero d'Espagne, priorité du gouvernement socialiste, mais la France n'a pas non plus adopté de loi-cadre contre les violences faites aux femmes. La loi espagnole, dans un pays qui aurait presque inventé le machisme, pénalise fortement (amendes et prison) la masculinité coupable. Elle prévoit l'assistance financière, l'octroi d'un nouveau travail, la « délocalisation » et la protection des femmes loin de « l'homme méchant ».

Et même à ce dernier, on fait porter un bracelet électronique qui siffle dès qu'il approche de moins de 500 mètres du domicile de sa victime. Il restera peut-être le traitement médical recommandé d'ores et déjà pour les grands criminels sexuels... Tout de même, il faut espérer que cette question des femmes battues ne divisera pas le monde en deux humanités selon le genre et que l'on saura raison garder.

 

Une militante de la section tunisienne d'Amnesty International
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