F
in novembre en France, une grande marche mixte protestait contre les violences faites aux femmes. La manifestation
était concomitante du meurtre par lapidation à Marseille de la jeune Ghofrane par son « promis » éconduit, qui
l'arrachait ainsi pour toujours aux noces avec un autre.
Les agressions contre les femmes sont toujours des histoires d'amour, c'est-à-dire de possession, inversées en
histoires de haine quand, à l'appropriation par l'homme, la femme oppose son autonomie. Elles se jouent autour du
corps des femmes, matrice reproductrice de l'espèce, autour de la sexualité dont le plaisir reste unilatéral, celui
de l'homme, donné par lui et pour lui : affaire de culture matriarcale qu'autour de la Méditerranée, les trois
religions monothéistes ont diffusée. Christianisme, judaïsme et islam se partagent cette dimension de violence qui
explose lorsque la femme, respectée et choyée dans son statut de jeune fille virginale (de l'étymologie latine où
la jeune fille est forcément une vierge), d'épouse complaisante (donnant du plaisir à son partenaire) ou de mère
(féconde comme la terre germinatrice), se refuse et s'insurge. Alors cette violence pleut sous formes d'insultes,
de coups et blessures, de viols, de meurtre.
Les statistiques sont difficiles à établir, car la parole est lente à émerger. Ainsi dans un pays où, sur ce sujet,
elle se libère, le rapport Henrion (du nom du professeur de médecine parisien qui a conduit cette étude en 2001) donne
une mort de femme sous les coups masculins tous les 5 jours. D'autres statistiques donnent 400 victimes féminines
par an, et montent quelquefois à 600 ou 700 femmes trépassant sous la plus cruelle des violences, le poignard
planté dans le coeur comme dans un film des années 50 (30%) ou par étranglement. Qu'importent les fluctuations, trop,
c'est toujours trop et quand il n'y en aurait qu'une, cela reste monstrueux.
Du Japon au Guatemala, aucun pays n'est épargné et même si au Proche-Orient et dans une Palestine si chère il ne
faut pas taire le crime d'honneur, les pays de haute religion technologique abâtardie par de vielles traditions
privilégient le sadisme, la mort par découpage et dépeçage dont nous abreuvent les films à grands frissons. On
retiendra un seul pourcentage, valable pour la France, à majorer en allant du grand Nord scandinave ou canadien, au
top de l'instruction selon le rapport de l'OCDE, vers la périphérie, le Sud musulman et la secrète Asie : 1 femme
sur 10 est victime de violences à des degrés divers, et surtout aucun milieu social, aucune catégorie
professionnelle, aucune appartenance culturelle n'est épargnée. Le rapport montre même que les cadres, membres de
la police ou de l'armée, dont le métier porte à l'autorité, ont la main particulièrement lourde.
Au Maghreb, les violences contre les femmes sont un fait d'histoire, de culture, de société. Aujourd'hui on en
parle, et même depuis une bonne dizaine d'années. Trois centres de femmes ont vu le jour et réuni leurs expériences
dans un ouvrage publié en 2001 (Ed. Le Fennec, Casablanca) mais qui, semble-t-il, n'a pas encore reçu le visa
commercial en Tunisie. Au centre Tanassof ou maison des femmes de Tunis [NDLR. Voir Alternatives
citoyennes numéro 8]
parrainé (faute de visa) par l'AFTURD (Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement),
un petit débat a eu lieu autour de ce livre, en marge du 10 décembre 2004, anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l'homme.
Tout cela, quoique méritoire, reste en très petit milieu clos. C'est sans doute à la mesure des difficultés de
l'action et de l'expression publiques vécues par ces centres d'écoute, du fait des mentalités mais aussi des
faibles libertés démocratiques. Chaque expérience a ses particularités, mais on retiendra un fond commun : une
prise de conscience de militantes féministes de cette obscénité matriarcale qu'est la condition de femme battue et
la nécessité d'apporter écoute, prise en charge juridique, psychologique, quelquefois financière et, si possible,
la création de foyers d'hébergement (c'est le cas au Maroc).
Pour cela, il faut de la disponibilité et de l'audace, il faut aussi un financement, qui provint d'une fondation
allemande pour l'Algérie et le Maroc, de fonds italiens pour le centre tunisien de l'ATFD (Association tunisienne
des femmes démocrates). Les centres travaillent essentiellement avec l'aide d'« écoutantes » (en général des
psychologues) et d'avocates qui assurent le suivi juridique, souvent dans le cadre de procédures de divorces ou
de demandes de réparation. Rares sont les médecins qui s'y associent, et pourtant leurs certificats sont
indispensables. Peu de médiatisation pour sensibiliser l'opinion. La presse indépendante ou d'opposition relaie
quelquefois un débat qui dérange pourtant. À long terme, la pression paie et en Tunisie, par exemple, l'Union
nationale des femmes tunisiennes (UNFT, pro-pouvoir) ainsi que les pouvoirs publics se sont saisis du dossier. Une
loi contre le harcèlement sexuel a été adoptée en juillet 2004, certes pour beaucoup dans un esprit d'ordre moral,
mais le thème est dans l'air. Un tabou est levé.
Certes, au Maghreb on est très loin du plan Zapatero d'Espagne, priorité du gouvernement socialiste, mais
la France n'a pas non plus adopté de loi-cadre contre les violences faites aux femmes. La loi espagnole, dans un
pays qui aurait presque inventé le machisme, pénalise fortement (amendes et prison) la masculinité coupable. Elle
prévoit l'assistance financière, l'octroi d'un nouveau travail, la « délocalisation » et la protection des femmes
loin de « l'homme méchant ».
Et même à ce dernier, on fait porter un bracelet électronique qui siffle dès qu'il
approche de moins de 500 mètres du domicile de sa victime. Il restera peut-être le traitement médical recommandé
d'ores et déjà pour les grands criminels sexuels...
Tout de même, il faut espérer que cette question des femmes battues ne divisera pas le monde en deux humanités
selon le genre et que l'on saura raison garder.