Alternatives citoyennes Numéro 13 - 22 décembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Gégé, la belle Sarah et Bertrand Delanoë
« 40 minutes » pour la famille

 

C ertes, c'est la loi du genre, une signature de livre n'est qu'une opération commerciale saupoudrée de paillettes et de sucre glace mais dans cette librairie de La Marsa, il n'y avait ni thé à la menthe ni baklawa, encore moins de bouteille de champagne à sabrer pour ce qu'un jeune homme à son téléphone portable, rameutant le voisinage, appelait « l'inauguration » du livre de Bertrand Delanoë.

Toutefois, la presse et la radio ayant fait mousser l'événement, ainsi que le téléphone beldi ayant fonctionné entre les aïlett, converties aujourd'hui en une jet set cultivée accompagnant les brillants événements culturels, bref tout le bruit fait autour de l'enfant prodigue du pays, avait attiré une élite raffinée, portant élégamment la marque de sa distinction. Car, à défaut d'hermine le froid n'étant pas si glacial, les femmes délicieusement arboraient Hermès.

Quoi de plus logique pour l'accueil d'un mercure de France !

Il y avait dans l'air aussi les plus originales fragrances, mariant J'adore, Paris, forcément, aux parfums d'encens et vagues embruns d'Atrachya dont on humecte chez nous son hôte à l'entrée de la sqifa.

Et puis il y avait dans la salle beaucoup de tendresse et de sensibilité, une émotion forte que restitua avec beaucoup de finesse Héla Ammar, une femme peintre, déroulant le fil de La vie, passionnément d'un Tunisien de naissance, Bizertin d'adoption, homme de culture et de tolérance, cette vertu suprême que le gouverneur maire de Tunis, Abbès Mohsen avait cru, le matin même, avoir été apprise par Bertrand Delanoë sur les bancs métissés d'une école de Bizerte.

D'ailleurs, « tout Bizerte était là », rappelait à vive voix un natif du vieux Port, interpellant au passage un camarade d'enfance : « Gégé, c'est pas possible, toi aussi tu es là ! ». Et même « Ah ! la belle Sarah ! » reconnut aussi le maire dans l'assistance. Un homme scellait des retrouvailles par-delà la déchirure de 1961 : c'est là le miracle du maire de Paris (en dehors évidemment de quelques conventions urbanistiques signées avec notre Cheikh el Medina).

De fait, le public se recueillait dans une ferveur absolue à laquelle se mêlaient, au premier rang, quelques ténors de la vie politique, Mohamed Harmel, Khemaïs Chammari, quelques autres aussi, et Habib Bourguiba junior auquel Bertrand Delanoë marqua sa déférence. Tous étaient là comme une Francité ancienne attendait autrefois en l'île de la Cité, le prince thaumaturge guérissant ses écrouelles.

La demande était d'ailleurs si forte qu'à l'évocation du sens « de la spiritualité de l'art » reconnu à notre hôte, un tableau au mur en tomba de saisissement sur l'assistance.

Moi-même venue dans l'espoir de capter chez ce héraut des droits de l'homme quelques paroles de réconfort, je me faisais l'effet d'une Somalienne kouchnerisable attendant un sac de riz.

Mais non, traversant notre histoire douloureuse comme un éclair, Bertrand Delanoë ne pouvait officier en médecin sans frontières, pansant nos plaies à l'âme. Il déclina le débat auquel le conviait l'oratrice n'ayant, en sus de quelques mots gentils, que « 40 minutes pour les signatures » sans autre échange avec sa famille qui méritait mieux que cela, Bertrand Delanoë lui-même valant mieux que ces regrets.

 

Nadia Omrane
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