l'orée de 2005, tandis que s'inaugure une nouvelle mandature, la Banque mondiale tamise de quelques clignotants
rouges l'euphorie d'un nouveau plébiscite que vient de s'accorder, pour cinq autres années, le régime tunisien.
Lestant la croissance, le recul de l'investissement privé, l'aggravation du chômage et le retard mis au
développement des techniques de l'information et de la communication ainsi qu'à l'industrie des réseaux, ont pour
contexte un climat des affaires « malsain » et « douteux » sans « transparence ni vraie règle du jeu », accompagné
de bien d'autres dévoiements qu'en termes convenables la Banque mondiale désigne pourtant fermement.
Aussitôt, des économistes locomotives du mouvement démocratique et quelquefois du mouvement syndical, montent au
créneau et renchérissent sur tous les aspects d'une mauvaise gouvernance. Du coeur de l'université portée par
l'exaspération de la société civile, un véritable cahier des charges est adressé en sommation à l'État-parti.
L'exigence de réformes institutionnelles, la libération de l'information ainsi que l'obligation faite aux autorités
de rendre des comptes sur leur gestion des deniers publics, au programme de l'opposition démocratique, sont
l'expression politique de la bonne gouvernance économique, elle-même condition de l'octroi par la Banque mondiale
de quelques 200 millions de dollars d'aides annuelles.
Sans doute, l'opposition démocratique est-elle plus attachée au compromis social et aux acquis des travailleurs que
ne l'est l'institution de Bretton-Woods privilégiant davantage, dans sa cohérence libérale, la citoyenneté
politique plutôt que les droits sociaux.
Quelquefois pourtant, la détestation de la dictature devient si impérative qu'on finit par trouver de la grâce au
commandement libéral.
À l'est, de la Géorgie à l'Ukraine d'aujourd'hui, c'est ce même air de liberté qui fait vaciller le despotisme.
Désormais, les dynasties tyranniques savent qu'elles sont mortelles.
À Rabat, personne n'était dupe que le Forum de l'avenir ait surtout cherché à intégrer un Grand Moyen-Orient
standardisé dans l'économie de marché.
Chacun sait ce que vaut une démocratisation amenée au pas de charge par les pays nantis, les USA en tête de cette
impériale chefferie.
Et pourtant, dans la pleine conscience de ces enjeux et de ces défis, une société civile anéantie par des décennies
de non droit n'est-elle pas tentée, fût-ce à son corps défendant, de s'abandonner un instant à ces maîtres du
monde en leur demandant : allez, balayez-moi tout cela, un système médiocre, un unanimisme affligeant, la
pensée dévitalisée, l'initiative désactivée, des perspectives ternies, et nos enfants partis parce qu'ils ne
veulent plus de cette vie qu'on leur fait, au ralenti, toute petite, petite...
À l'aube de 2005, faut-il encore s'accommoder de ce temps décalé et consentir, contre la marche du monde, à cet
état malheureux de la nation ?