Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Numéro 13 - 22 décembre 2004
Éditorial
 
L'état de la nation

 

À l'orée de 2005, tandis que s'inaugure une nouvelle mandature, la Banque mondiale tamise de quelques clignotants rouges l'euphorie d'un nouveau plébiscite que vient de s'accorder, pour cinq autres années, le régime tunisien. Lestant la croissance, le recul de l'investissement privé, l'aggravation du chômage et le retard mis au développement des techniques de l'information et de la communication ainsi qu'à l'industrie des réseaux, ont pour contexte un climat des affaires « malsain » et « douteux » sans « transparence ni vraie règle du jeu », accompagné de bien d'autres dévoiements qu'en termes convenables la Banque mondiale désigne pourtant fermement.

Aussitôt, des économistes locomotives du mouvement démocratique et quelquefois du mouvement syndical, montent au créneau et renchérissent sur tous les aspects d'une mauvaise gouvernance. Du coeur de l'université portée par l'exaspération de la société civile, un véritable cahier des charges est adressé en sommation à l'État-parti. L'exigence de réformes institutionnelles, la libération de l'information ainsi que l'obligation faite aux autorités de rendre des comptes sur leur gestion des deniers publics, au programme de l'opposition démocratique, sont l'expression politique de la bonne gouvernance économique, elle-même condition de l'octroi par la Banque mondiale de quelques 200 millions de dollars d'aides annuelles.

Sans doute, l'opposition démocratique est-elle plus attachée au compromis social et aux acquis des travailleurs que ne l'est l'institution de Bretton-Woods privilégiant davantage, dans sa cohérence libérale, la citoyenneté politique plutôt que les droits sociaux.

Quelquefois pourtant, la détestation de la dictature devient si impérative qu'on finit par trouver de la grâce au commandement libéral.

À l'est, de la Géorgie à l'Ukraine d'aujourd'hui, c'est ce même air de liberté qui fait vaciller le despotisme. Désormais, les dynasties tyranniques savent qu'elles sont mortelles.

À Rabat, personne n'était dupe que le Forum de l'avenir ait surtout cherché à intégrer un Grand Moyen-Orient standardisé dans l'économie de marché.

Chacun sait ce que vaut une démocratisation amenée au pas de charge par les pays nantis, les USA en tête de cette impériale chefferie.

Et pourtant, dans la pleine conscience de ces enjeux et de ces défis, une société civile anéantie par des décennies de non droit n'est-elle pas tentée, fût-ce à son corps défendant, de s'abandonner un instant à ces maîtres du monde en leur demandant : allez, balayez-moi tout cela, un système médiocre, un unanimisme affligeant, la pensée dévitalisée, l'initiative désactivée, des perspectives ternies, et nos enfants partis parce qu'ils ne veulent plus de cette vie qu'on leur fait, au ralenti, toute petite, petite...

À l'aube de 2005, faut-il encore s'accommoder de ce temps décalé et consentir, contre la marche du monde, à cet état malheureux de la nation ?

 

La rédaction
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