Alternatives citoyennes Numéro 9 - 10 juillet 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Le virus du Nil menacerait-il encore la Tunisie ?

 

Non, il ne s'agit pas des suites de la guéguerre entre l'Egypte et la Tunisie autour du Sommet de la ligue arabe. Non, le virus du Nil ne nous est pas envoyé du Caire. Le Western Nile Virus en provenance du Moyen-Orient qui a affecté des zones humides du pourtour de la Méditerranée, mais aussi de l'Amérique et de l'Asie, fait partie de ces maladies émergentes qui se propagent à la faveur de la mondialisation. Il est connu depuis trois décennies, mais c'est seulement ces dernières années que, ayant infesté des zones tempérées occidentales, on en parle plus couramment.

Le foyer en est les réserves d'oiseaux migrateurs qui convoient donc ce virus en infectant des moustiques, lesquels alors le transmettent eux-mêmes aux hommes. Le virus se développe dans le sang humain et au bout d'une quinzaine de jours d'incubation, l'individu infecté présente un tableau clinique proche de la grippe (fièvre, maux de tête, courbatures) auquel s'ajoutent des troubles neurologiques et des lésions ophtalmologiques, chez les personnes fragiles, enfants en bas âge, personnes âgées ou immunodéficientes.

Dans 15% de ces complications, l'issue en est mortelle. N'est-ce pas ce qui est survenu l'été dernier entre juillet et octobre en Tunisie, dans le Sahel. À l'époque le bruit avait couru, autour de l'hôpital de Monastir, de décès suspects, qu'aucune information officielle en provenance du ministère de la santé n'avait confirmé. Pour en avoir le coeur net, il suffirait pourtant de se référer aux certificats de décès, archivage fondamental à l'exercice d'une recherche médicale normalisée et à l'établissement de l'état de la santé publique d'un pays. Pourtant, le bon peuple parlait déjà, dans un raccourci, du « moustique du Nil ». Bien plus tard, au congrès de la Société nationale des pathologies infectieuses, un professeur de médecine de l'hôpital de Monastir dévoilait la boursouflure du mensonge, en faisant lui-même honnêtement son métier. On l'entendait même vendredi 16 avril, au journal de la mi-journée sur Radio Tunis, évoquer le diagnostic du Western Nile Virus fait au CHU de Monastir, à partir de lésions ophtalmologiques indicatrices d'un mal qui conduisit les patients au service de réanimation : on trouvait ainsi dans sa déclaration confirmation de ces rumeurs.

Pourquoi ces incessants petits mensonges des pouvoirs publics sur des questions de santé qui affectent les citoyens, font grossir et déborder la rumeur, et finissent par être dévoilés ? Sur des questions sanitaires liées à l'hygiène du milieu ou à la pollution environnementale, les petits scandales s'échelonnent. Ainsi, le trouble a été jeté autour du poisson pollué par le phosphogypse au large de Sfax et de Gabès, à propos des pastèques irriguées par les eaux usées dans le Sahel, de la pollution au cadmium à Mahdia, et, plus proche de nous, l'affaire de la vache folle (1999-2000) du SRAS (pneumonie atypique dont à Tunis on avait dit qu'un cadre de banque rentré d'une foire à Hong-Kong était mort), de la Blue Tongue Disease du mouton et jusqu'à nos autruches atteintes de la maladie de New Castle et sur la viande desquelles l'Europe avait imposé un embargo il y a quelques années. De toutes façons, les normes sanitaires strictes du commerce mondial et du tourisme feront cesser chez nous la politique de l'autruche et les retombées négatives que subissent les cadres de la santé ou de l'environnement qui osent braver la loi du silence.

Quant au citoyen consommateur, il est de plus en plus attentif à tous les aspects de la qualité de la vie et de mieux en mieux informé, de plus en plus exigeant. Samedi 26 juin, sur les berges du Lac de Tunis, les promeneurs boursouflés de piqûres de moustiques, tels Coluche dans son film Banzaï, désertaient précipitamment les remblais et les cafés. Un patron d'établissement, furieux, jurait de ne plus payer les taxes municipales jusqu'à ce que désinfestation des larves s'ensuive. Tandis que son garçon, moqueur, commentait : « heureusement qu'il ne s'agit pas de la mouche Tsé-Tsé ». Frappée de sa maladie du sommeil, la municipalité de Tunis se serait-elle assoupie sur ses lauriers de l'avenue Bourguiba ? Saha noum, car c'est après que pharmacies et drogueries eurent été vidées de pastilles, insecticides et autres pommades contre des moustiques mutants vrombissant comme les hélicoptères de la police nationale (il y en a plus d'une centaine d'espèces, de moustiques bien sûr), et n'ayant plus d'horaire de harcèlement, que, le 30 juin, un communiqué de Cheikh el Madina a annoncé, sous les directives du Sommet de l'État, le nettoyage des gîtes larvaires : 500 hectares par-ci, 1000 hectares par-là, et tutti quanti. Quant à la presse officielle, elle affichait à la Une dans son langage inimitable : « Opération coup de poing contre les moustiques ». Même contre les petites bêtes en eaux troubles, une démarche sécuritaire ? Décidément !

 

Nadia Omrane
www.alternatives-citoyennes.sgdg.org  ~ redaction@alternatives-citoyennes.sgdg.org