on, il ne s'agit pas des suites de la guéguerre entre l'Egypte et la Tunisie autour du Sommet de la
ligue arabe.
Non, le virus du Nil ne nous est pas envoyé du Caire. Le Western Nile Virus en provenance du Moyen-Orient
qui a
affecté des zones humides du pourtour de la Méditerranée, mais aussi de l'Amérique et de l'Asie, fait partie de ces
maladies émergentes qui se propagent à la faveur de la mondialisation. Il est connu depuis trois décennies, mais
c'est seulement ces dernières années que, ayant infesté des zones tempérées occidentales, on en parle plus
couramment.
Le foyer en est les réserves d'oiseaux migrateurs qui convoient donc ce virus en infectant des moustiques, lesquels
alors le transmettent eux-mêmes aux hommes. Le virus se développe dans le sang humain et au bout d'une quinzaine de
jours d'incubation, l'individu infecté présente un tableau clinique proche de la grippe (fièvre, maux de tête,
courbatures) auquel s'ajoutent des troubles neurologiques et des lésions ophtalmologiques, chez les personnes
fragiles, enfants en bas âge, personnes âgées ou immunodéficientes.
Dans 15% de ces complications, l'issue en est mortelle. N'est-ce pas ce qui est survenu l'été dernier entre juillet
et octobre en Tunisie, dans le Sahel. À l'époque le bruit avait couru, autour de l'hôpital de Monastir, de décès
suspects, qu'aucune information officielle en provenance du ministère de la santé n'avait confirmé. Pour en avoir
le coeur net, il suffirait pourtant de se référer aux certificats de décès, archivage fondamental à l'exercice
d'une recherche médicale normalisée et à l'établissement de l'état de la santé publique d'un pays. Pourtant, le bon
peuple parlait déjà, dans un raccourci, du « moustique du Nil ». Bien plus tard, au congrès de la Société nationale
des pathologies infectieuses, un professeur de médecine de l'hôpital de Monastir dévoilait la boursouflure du
mensonge, en faisant lui-même honnêtement son métier. On l'entendait même vendredi 16 avril, au journal de la
mi-journée sur Radio Tunis, évoquer le diagnostic du Western Nile Virus fait au CHU de Monastir, à partir de
lésions ophtalmologiques indicatrices d'un mal qui conduisit les patients au service de réanimation : on trouvait
ainsi dans sa déclaration confirmation de ces rumeurs.
Pourquoi ces incessants petits mensonges des pouvoirs publics sur des questions de santé qui affectent les
citoyens, font grossir et déborder la rumeur, et finissent par être dévoilés ? Sur des questions sanitaires liées à
l'hygiène du milieu ou à la pollution environnementale, les petits scandales s'échelonnent. Ainsi, le trouble a été
jeté autour du poisson pollué par le phosphogypse au large de Sfax et de Gabès, à propos des pastèques irriguées
par les eaux usées dans le Sahel, de la pollution au cadmium à Mahdia, et, plus proche de nous, l'affaire de la
vache folle (1999-2000) du SRAS (pneumonie atypique dont à Tunis on avait dit qu'un cadre de banque rentré d'une
foire à Hong-Kong était mort), de la Blue Tongue Disease du mouton et jusqu'à nos autruches atteintes
de la maladie
de New Castle et sur la viande desquelles l'Europe avait imposé un embargo il y a quelques années. De toutes
façons, les normes sanitaires strictes du commerce mondial et du tourisme feront cesser chez nous la politique de
l'autruche et les retombées négatives que subissent les cadres de la santé ou de l'environnement qui osent braver
la loi du silence.
Quant au citoyen consommateur, il est de plus en plus attentif à tous les aspects de la qualité de la vie et de
mieux en mieux informé, de plus en plus exigeant. Samedi 26 juin, sur les berges du Lac de Tunis, les promeneurs
boursouflés de piqûres de moustiques, tels Coluche dans son film Banzaï, désertaient précipitamment
les remblais
et les cafés. Un patron d'établissement, furieux, jurait de ne plus payer les taxes municipales jusqu'à ce que
désinfestation des larves s'ensuive. Tandis que son garçon, moqueur, commentait : « heureusement qu'il
ne s'agit
pas de la mouche Tsé-Tsé ». Frappée de sa maladie du sommeil, la municipalité de Tunis se serait-elle assoupie
sur
ses lauriers de l'avenue Bourguiba ? Saha noum, car c'est après que pharmacies et drogueries eurent
été vidées de
pastilles, insecticides et autres pommades contre des moustiques mutants vrombissant comme les hélicoptères de la
police nationale (il y en a plus d'une centaine d'espèces, de moustiques bien sûr), et n'ayant plus d'horaire de
harcèlement, que, le 30 juin, un communiqué de Cheikh el Madina a annoncé, sous les directives du Sommet de
l'État, le nettoyage des gîtes larvaires : 500 hectares par-ci, 1000 hectares par-là, et tutti quanti. Quant à
la
presse officielle, elle affichait à la Une dans son langage inimitable : « Opération coup de poing contre
les
moustiques ». Même contre les petites bêtes en eaux troubles, une démarche sécuritaire ? Décidément !