e départ de la régence
américaine sur l'Irak s'est fait de manière précipitée, comme si la panique d'une
recrudescence du terrorisme ainsi que la déconvenue subie au Sommet de l'OTAN par G. W. Bush avaient conduit
Washington à une restitution hâtive de la souveraineté aux Irakiens. Restitution formelle d'ailleurs, puisque
l'armée américaine est loin de plier bagages et que les mécanismes réels du contrôle politique, social, économique
demeurent aux mains de Washington.
Pourtant, l'administration américaine ne se retrouve pas au chômage de ses nouvelles compétences
démocratico-humanitaires. La voilà déjà soucieuse du développement de l'Afrique dont le Sahel offre une nouvelle
manne pétrolifère, en dehors du Nigeria et du golfe de Guinée. Le pétrole du Soudan jusqu'ici exploité par la
compagnie française Total est-il étranger aux préoccupations américaines concernant le Darfour ? Car voilà que
Colin Powell en personne débarque au Soudan, dans la première visite officielle d'un responsable américain depuis
Cyrus Vance en 1978. Mais les gisements d'or noir ne représentent que le background de ce qui pourrait être la
nouvelle épopée africaine de G. W. Bush.
Chacun connaît désormais l'immense générosité avec laquelle le président Bush endosse toute la souffrance du monde.
Or il se trouve que le conflit du Darfour, venu se superposer à la résistance du sud Soudan, a déjà fait 10 000
morts, 100 000 réfugiés au Tchad voisin et 700 000 déplacés à l'intérieur du Soudan. Il s'agit d'un très vieux
conflit ethnique et politique où se mêlent aussi des intérêts agraires. Depuis des années, des tribus s'affrontent
autour d'enjeux de cueillette, d'élevage et de chasse dans cette région aride du Soudan, anciennement autonome mais
intégrée au Soudan en 1916. Une fois de plus on notera que la genèse de ces sanglants contentieux est à retrouver
dans les frontières arbitraires imposées par l'impérialisme au XIXe siècle, aux mépris des identités et des
appartenances ethnico-confessionnelles.
Le Soudan est déchiré entre un sud chrétien ou animiste - où depuis deux décennies John Gareng tente de faire
sécession - et un nord musulman où un régime militaro-islamiste n'en finit pas d'imposer son totalitarisme. D'abord
désordonnée et informelle, l'insurrection du Darfour s'est organisée politiquement en deux forces militaires,
l'Armée de Libération du Soudan (ALS), un temps liée au niveau de son commandement au président tchadien, et le
Mouvement pour la Justice et l'Égalité (MJE), militant pour une indépendance du Darfour recomposé en un Soudan
central étendu jusqu'à la Mer rouge.
En dehors de l'ingérence du Tchad, la Libye, par de fréquentes incursions militaires, a contribué à envenimer les
antagonismes. Enfin, la présence de Ben Laden et du réseau Al Quaïda au Soudan jusqu'au départ pour l'Afghanistan,
a surdimensionné ce conflit et attiré l'attention des USA, car le génocide de la population du Darfour martyrisée
par les « cavaliers du diable » janjawides appelle une intervention au plus haut niveau et
suffisamment résolue pour éviter que ne se répète le génocide rwandais.
Aussi le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, et M. Colin Powell se sont-ils rendus au Soudan au même moment en
cette fin juin, tandis qu'en marge de l'ouverture d'un bureau américain de liaison en Libye, Condoleezza Rice
annonce sur une chaîne américaine l'ouverture d'une voie humanitaire de Tripoli au Darfour pour acheminer des
secours jusqu'à des ONG dont Washington réimpose à Khartoum le libre exercice de leur mission. Washington et l'ONU
donnent à Khartoum 90 jours pour désarmer les milices janjawides et pour pacifier le Darfour.
Présence militaire américaine
Un nettoyage autre qu'ethnique s'improvise. En effet, cette région qui frange le désert du Maghreb jusqu'au Niger
d'un côté et de l'autre jusqu'au Soudan, et même jusqu'à la Corne de l'Afrique, serait un repaire du terrorisme
islamiste. Selon des observateurs, des patrouilles américaines supervisent des chasses à l'homme avec quelques
prises de taille comme des chefs du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Une enquête spéciale
de RFI vient de mettre en évidence une collusion entre des rebelles du Tchad et des groupes du GSPC qui
viendraient porter des coups sur des postes frontières maghrébins, particulièrement libyens. D'autres
investigations journalistiques identifient des tentatives d'assaut de groupes armés en provenance du Darfour
contre les franges maghrébines. On mesure donc tout l'intérêt d'une présence militaire américaine relayée par des
unités autochtones dans l'extrême sud du Maghreb.
Aussi la réconciliation de l'Amérique avec la Libye de Kadhafi puis avec le Soudan d'Omar El Béchir, fondée sur
une profession de foi démocratico-humanitaire, est-elle resignifiée, légitimée par la lutte contre le
terrorisme.
Enfin, l'Amérique prend de plus en plus ses marques en Afrique d'où elle mène une sourde compétition avec la
France sur qui elle gagne du terrain. Celle-ci envoie ministre et ancien ministre, mais trop tard.
L'Afrique deviendra-t-elle un nouveau joyau à s'approprier plus qu'à pacifier (après que les marchands d'armes
l'eurent bien ensanglantée), en tout cas elle est un continent à intégrer au marché libéral mondial une fois
normalisée.
Voici le nouveau projet de la Maison Blanche, mais l'opinion publique américaine suivra-t-elle son conquistador de
président jusque dans ce haut lieu de la préhistoire de l'humanité ?