Alternatives citoyennes Numéro 9 - 10 juillet 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Boutef le petit fait main basse sur la grande presse d'Algérie

 

Vendredi 18 juin, sur RFI en milieu de matinée, un certain Selim prend la parole dans un débat général ouvert aux auditeurs. La langue de bois taillée comme une massue, le dénommé Selim débite d'une pièce le discours archétypal de la mauvaise foi quand on veut noyer son chien et qu'on l'accuse de la rage : le directeur du journal Le Matin - dit-il en substance - est traîné en justice pour une infraction à la législation des douanes. On aurait retrouvé par hasard dans ses valises à l'aéroport quelques bons de caisse à tirer en catimini. Ben voyons, dans un pays où le marché parallèle des devises se fait au grand jour entre de petites mains trabendistes et de plus gros « entrepreneurs », Mohamed Benchicou, en journaliste informé qu'il est, prend le risque d'une petite contrebande sous les yeux des douaniers !

Et le Selim, ambassadeur de l'autorité algérienne, de continuer son réquisitoire sur RFI : d'ailleurs, Benchicou est aussi un provocateur et un pêcheur en eaux troubles, ce n'est pas un journaliste.

L'ennuyeux, c'est que la justice immanente qui s'abat sur Le Matin et sur sa trésorerie pour étouffer ce journal indépendant et critique était prévisible. Après son score si convaincant aux élections, Boutef le petit - comme le surnomme le caricaturiste Dilem - n'avait-il pas promis de voler dans les plumes de la grande presse d'Algérie ? Déjà quelques jours plus tôt, le journaliste d'Al-Jazaïr et militant de la Ligue algérienne des droits de l'homme n'était-il pas tombé sous le coup de 37 plaintes pour avoir dénoncé, dans la Wilaya de Djelfa, le scandale de 13 bébés morts mystérieusement à l'hôpital de la ville.

Deux mois de prison ferme pour Hafnaoui Ghoul, deux ans de prison pour Mohamed Benchicou et, ces derniers jours, deux mois de prison aussi pour le directeur de groupe de presse Er-raï, Ahmed Bennaoum, arrêté en plein tribunal d'Oran. Et ce n'est pas tout : Abla Cherif, journaliste au Matin, devait comparaître le 6 juillet en justice pour un article sur des faits de torture qu'auraient subis de jeunes émeutiers des Aurès. Des tracasseries sans fin exaspèrent les journaux El Watan, El Khabar, Le soir d'Algérie et Liberté, 250 plaintes en diffamation s'abattent sur des journalistes et même des correspondants étrangers n'échapperaient pas à « une normalisation à la tunisienne » selon des observateurs. Mais en Tunisie chacun sait que « le combat cessa faute de combattants » !

L'union européenne interpellée au nom de la liberté de presse ne réagit pas jusqu'ici et à Rome en la fin juin, le ministre des affaires étrangères soutenant le Président Bouteflika déclare préférer se ranger « derrière les valeurs positives de l'Algérie », le président algérien manifestant « la volonté de poursuivre dans la voie des réformes » et de « la lutte contre le terrorisme ».

Les valeurs positives de l'Algérie, c'est pourtant une presse libre qui les a portées en payant depuis 1988 un lourd tribut. Devant l'exemplarité des journalistes algériens, un modèle de courage et de verve, de passion pour leur métier, nous nous associons à la solidarité qui leur est manifestée par des comités de citoyens en Algérie, des positions de syndicats internationaux de défense des journalistes et par des pétitions et manifestations d'intellectuels, de créateurs et de communicateurs, protestant contre cette main basse et lourde sur la presse d'Algérie.

 

Nadia Omrane
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