l est des nouvelles dont on ne peut que se réjouir, d'autant qu'elles sont rares. Ainsi, l'apparition d'un nouveau
titre de la presse tunisienne doit être saluée, avant même de prendre connaissance de son contenu. Seul bémol, mais
on finit par en prendre l'habitude, Le Tunisien paraît en France, et n'a que peu de chances d'être diffusé
en Tunisie, du moins par les canaux usuels.
La couverture de ce magazine format A4 ne laisse en effet percer aucun doute : bien qu'en caractères noirs,
les titres possèdent des excroissances en forme de gouttes qui font plus penser à un mauvais film d'horreur qu'au
journalisme politique, encore que l'un puisse s'apparenter à l'autre dans certains cas.
Paru en novembre 2004, le numéro 1 du Tunisien comprend 52 pages. Il se veut l'héritier, sautant quelques
générations, du titre éponyme fondé par Ali Bach Hamba le 7 février 1907, « premier journal publié en français par
les indigènes de la Régence ». On ne sait si le titre était tombé dans le domaine public, il n'en reste pas moins
que le fondateur de la nouvelle génération, Abdel Wahab Hani, insiste un peu lourdement sur l'héritage revendiqué.
Il est vrai que l'illustre figure redorerait n'importe quel blason.
Serait-ce le constat qu'« une genération nouvelle, instruite dans la langue française et fortement imprégnée des
idées généreuses dont elle est le véhicule, se trouve aujourd'hui en état de prendre sa place dans la rénovation
qui s'[y ]accomplit [en Tunisie] » qui aurait inspiré Abdel Wahab Hani dans le premier éditorial d'Ali Bach Hamba ?
Ou tout simplement l'affirmation que « ce journal, dirigé et rédigé par nous, Tunisiens Musulmans, reflètera nos
idées et nos sentiments propres » qui l'aurait séduit, nonobstant le sens historiquement marqué de ce « Tunisiens
Musulmans » en pays colonisé par la France ? À moins que l'effet diasporique ne conduise à forcer un trait
identitaire au détriment des nombreux autres qui constituent notre héritage culturel... et à lui
conférer le sens d'un combat politique ?
Autour du dossier, consacré pour ce premier numéro aux « Fausses élections en Tunisie », le magazine comprend plusieurs
rubriques : outre l'éditorial et une actualité jouant encore sur les allers-retours avec l'histoire (« hier et
aujourd'hui »), on trouve des brèves (« l'oeil du Tunisien »), une grande interview (d'Alain Gresh
pour ce premier numéro), un entretien de
moindre longueur (« En toute franchise avec... », ce mois-ci Abdallah Zouari, prisonnier d'opinion islamiste
récemment libéré), des pages culture, social et sport (une idée qui plaît toujours), un
document présenté au lecteur (« Le document du mois » est consacré pour novembre à la stratégie de l'OTAN envers
les pays méditerranéens), une
chronique de Jean-Loup Thébaud et Jean-François Poirier (dont on ne sait pas s'ils la tiendront régulièrement ou si
cette rubrique accueillera différentes signatures) et, pour finir, les « Pensées » du fondateur Abdel Wahab Hani.
Le journal ressuscite également des « Bonnes pages de la presse tunisienne ». Le passé y est décidément à l'honneur,
d'autant que ce premier numéro reprend un éditorial fameux que signa l'historien Hichem Jaït dans le numéro 175 de
Réalités - ancienne formule -, dans les dernières semaines de l'année 1988. On se
souvient, même si Le Tunisien semble l'avoir oublié, que la traduction en justice de Hichem Jaït pour
« diffamation du corps judiciaire et diffusion de fausses nouvelles » suscita une très importante
mobilisation des intellectuels, parmi lesquels le sociologue Abdelbaki Hermassi, aujourd'hui ministre tunisien
des Affaires étrangères. On rappellera surtout la mobilisation du journal aujourd'hui disparu Le Maghreb, avec
notamment des articles de Abdelaziz Mzoughi, de Khemaïs Chammari (« Pas toi et pas ça », en réponse
à un éditorial très négatif vis-à-vis de Hichem Jaït signé de Mohamed Mahfoudh, directeur de La Presse)
et bien sūr de Nadia Omrane, aujourd'hui co-animatrice d'Alternatives citoyennes, qui signa
une « Défense et
illustration de la liberté de presse » en soutien à Hichem Jaït. Cette mobilisation porta ses fruits puisque, le 24 décembre
1988, Hichem Jaït sortait triomphalement du Palais de Justice, accompagné de tous ceux qui l'avaient si bien
soutenu.
L'Ours du Tunisien renseigne peu : Abdel Wahab Hani y apparaît comme fondateur, directeur de la publication et rédacteur en
chef. Les collaborateurs listés pour ce numéro sont : Hédi Yahmed, dont on se souvient qu'il avait été forcé à
la démission de l'hebdomadaire Réalités à la suite de son enquête sur les prisons en Tunisie,
Khemaïs Chammari, Néjib Baccouchi, Jean-Loup Thébaud, Tahar Labidi, Jean-François Poirier, Mondher Sfar,
Ferjani Saadani, ainsi que quatre noms qui apparaissent ostensiblement comme des pseudonymes.
En particulier, cet
Ours ne renseigne absolument pas sur la ou les personnes ou sociétés qui financent ce journal, qui nécessite, à
supposer que tout le monde soit bénévole - ce qui n'est pas certain - au moins des frais de conception,
d'impression et de diffusion, sans doute non négligeables, même si le magazine n'est pas luxueux. La répression est
certes une raison recevable pour en dire le moins possible, mais la transparence des financements - à tout le
moins de leur montant - demeure une nécessité.
On ne sait pas très bien non plus, pour plusieurs articles, si les collaborateurs le sont « malgré eux » ou en
toute connaissance et acceptation de cause. En effet, nombreuses sont les contributions qui ont déjà été publiées
ailleurs, sur papier ou sur la toile. Certaines, comme celle de Khemaïs Chammari, ont déjà largement circulé sur de
nombreux supports : on peut alors se demander, sans aucunement mettre en cause leur intérêt, s'il est bien nécessaire de
les reproduire une fois encore.
Car les articles originaux ne sont pas légion : entre reproduction pure et simple et traduction, ce sont, sans
nécessiter de recherche rigoureuse et de simple mémoire de choses lues ici ou là, près de 20 pages,
presque la moitié du magazine, déjà vues et largement diffusées qui sont republiées, sans - on le
regrette car c'est le minimum de déontologie que le lecteur est en droit d'attendre - aucune précision de la
source, ni même du fait que le contenu a déjà été publié. Quant à l'accord des « reproduits », on doit se contenter
d'espérer qu'il a été obtenu.
C'est d'ailleurs là des manières que l'on peut observer sur plusieurs sites Internet tunisiens, qui étoffent leur
contenu sans grand effort, et sans grand respect des sources, à la notable exception de TunisNews, sans doute le
premier à avoir proposé quotidiennement et par courrier électronique (archivé sur son site) le panorama le plus
complet, sans exclusive, de ce qui se publie par et sur les Tunisiens et la Tunisie, avec un scrupuleux respect
de ses sources, toujours intégralement citées avec l'indication du moyen de lire ce qui, de la même provenance,
n'a pas été retenu dans le choix éditorial du jour. C'est l'occasion pour nous ici de saluer ce travail,
entrepris depuis cinq ans par l'équipe de TunisNews, qui en sera, le jour de la mise en ligne de cet article,
à sa 1677e édition !
Soyons positifs, il reste tout de même une bonne trentaine de pages originales à lire dans Le Tunisien de
novembre 2004, dont une très intéressante interview d'Alain Gresh, longue de six pages, à propos de son
ouvrage L'islam, la République et le monde.
Comme tous les autres, ce Tunisien-là reste perfectible, et la longue vie qu'on lui
souhaite s'accompagne, en cette veille d'année nouvelle, de tous nos voeux, y compris celui de voir son siège
transporté de Paris à Tunis.