près les « liaisons dangereuses » entre les USA, la monarchie saoudienne et la famille Ben Laden, voici les
intérêts troubles entre la France et l'Arabie Saoudite autour d'une affaire de drogue.
Publié aux éditions Flammarion en mai 2004, La coke saoudienne se lit comme un roman d'espionnage au coeur
d'une affaire d'État. Cette enquête de Fabrice Monti, journaliste d'investigation passé par le service des
stupéfiants du ministère français de l'Intérieur, est conduite avec une minutie de détails, comme le ferait un
inspecteur du Quai des Orfèvres. Dans un avertissement aux lecteurs, mis en garde contre « le vertige » que
susciteraient les conclusions de cette « affaire d'État », l'auteur rappelle que les faits remontant à 1999 n'ont
pas encore trouvé leur épilogue judiciaire, en tout cas pas pour les prévenus les plus importants.
Et pour cause, tant de secrets épais n'ont pas été levés ou divulgués, tant d'intérêts économiques et financiers
étant en jeu entre le Royaume d'Arabie et la France.
Car tels sont les deux États impliqués dans cet imbroglio stupéfiant où un prince dans l'environnement très proche
de la monarchie aurait compromis la signature de juteux contrats de défense par un énorme trafic de drogue. En
effet, le 16 mai 1999, un Boeing régulièrement utilisé pour les déplacements officiels de responsables saoudiens,
immatriculé aux Bermudes et exploité par la compagnie Skyways International, « elle-même contrôlée par la
famille royale saoudienne » précise Monti, atterrit sur l'aéroport du Bourget pour y débarquer deux tonnes de
cocaïne pure.
Fabrice Monti annonce d'emblée que cette vaste opération d'écoulement de drogue sur l'Europe a été planifiée et
réalisée par le prince Nayef Al-Shaalan, gendre du vice-ministre de la défense du Royaume d'Arabie Saoudite, le
prince Abderrahman Ben Abdel Aziz Ibn Saoud.
Telle est l'accusation portée par Fabrice Monti au terme de deux années d'enquêtes, d'interviews et de témoignages
recoupant une documentation en provenance des services de renseignements français, américains et suisses.
Le livre raconte l'intrigue où de grands trafiquants appartenant au cartel colombien de Medellin, interceptés et
retournés par la police de Floride, auraient donné leurs acolytes de France et le maître d'oeuvre saoudien
impliqués. Par-delà les péripéties, le dénouement partiel, l'auteur fixe son intérêt sur le prince saoudien resté
jusqu'ici indemne de toute sanction. Deux nations sont en jeu dans la relation d'un échange entre le ministre
saoudien de l'Intérieur, le prince Nayef Ibn Abdel Aziz et l'ambassadeur de France à Ryadh, Bernard Poletti.
L'auteur cerne l'enjeu, à savoir le projet de contrat de sécurité entre les deux pays, assurant par l'entremise des
moyens mis en oeuvre par les grandes sociétés françaises Thalès et Alcatel et le groupe européen EADS
(lesquels viennent de remporter
de gros marchés en Libye au cours de la visite du président Chirac) la sécurité des frontières, la surveillance et
la défense de 5000 kms du périmètre saoudien (SBGDMSA).
Autant le ministre saoudien que l'ambassadeur français considèrent que cette affaire d'un avion soupçonné d'un
trafic de drogue est susceptible d'affecter les relations bilatérales.
Le livre s'achève sur quelques interrogations : que pourraient faire les justices françaises, américaines et suisses
d'un aussi encombrant prévenu que le prince Nayef Al-Shaalan ? Pourquoi est-il au juste mêlé à un trafic ? Les
facilités dont jouit le prince, ses nombreuses « misions » internationales et les protections dont il bénéficie,
proportionnelles à son « intense activité délictueuse mise en cause par le parquet de Floride » ne militent-elles
pas en faveur d'opérations plus régulières que ponctuelles ? L'affaire finira-t-elle par tomber dans l'oubli et le
prince gardé « au frais » en Arabie ne reprendra-t-il pas de prochaines pérégrinations ?
Autant de questions que l'auteur agite pour maintenir l'attention. Mais voici une dernière interrogation : pourquoi
ce livre, sans que le Royaume saoudien ni l'État français ne réagissent, et pourquoi maintenant ?
- Fabrice Monti. « La coke saoudienne - Au coeur d'une affaire d'État ». Ed. Flammarion. Paris, mai 2004.
262 pages.