ous voilà, à travers ces trois mots, tendances, tensions, tentations, confrontés à la réalité
globale de la Tunisie d'aujourd'hui, et au-delà, à celle des pays du tiers-monde. Je préfère
pour ma part aborder cette réalité par la voie des tensions. Le climat de tension est instauré
lorsque la souveraineté populaire, imposée par des luttes collectives, est confisquée par un
seul homme qui décide de gouverner seul en n'hésitant pas à semer le silence, la répression, la
torture, la corruption, le népotisme, la désolation.
Les tensions se sont manifestées avec la crise générale du « nationalisme » et la désillusion de
larges couches sociales qui accusent les pouvoirs nationalistes de détruire la société
politiquement et économiquement. Les tensions s'aggravent quand, face à la montée de l'exclusion
d'une grande partie de la population, face à l'extension du chômage, notamment des jeunes et
des diplômés, face à la fragilisation des acquis sociaux, face à la restriction du droit de
grève et des garanties de la législation du travail, l'État abolit la discussion démocratique et
gère les institutions sociales et notamment les conflits qui y naissent par la voie de la
répression et par la dissolution. Les tensions s'exacerbent lorsque l'État nie l'existence même
de toute différence, de toute autonomie et rejette la règle de solution de tout conflit par la
discussion.
Devant une telle situation, les tentations sont multiples, il suffit d'en mentionner rapidement
quelques exemples.
Remarquons tout d'abord qu'on ne peut indéfiniment gouverner un peuple
malgré lui et en recourant systématiquement à la violence physique, morale ou symbolique. Tôt
ou tard, l'explosion finit malheureusement par se produire.
Examinons plutôt notre propre expérience et notre passé récent pour en tirer les conclusions qui
s'imposent. Depuis des décennies, les oppositions démocratiques, laïques, politiques avaient été
laminées par nos régimes absolutistes et policiers qui ont fait le vide autour d'eux. La
tentation des masses, désespérées et livrées à elles-mêmes, s'étaient tournées vers des solutions
aussi absolutistes que l'absolutisme des pouvoirs en place. L'intégrisme a prétendu opposer à
l'a-moralité en place, à la corruption du pouvoir, une nouvelle moralité, mais ce mouvement est
porteur d'une conception du pouvoir tout aussi autoritaire, despotique et sanglante que celles
des dictatures qui nous gouvernent. Ce n'est toutefois pas en les réprimant d'une façon aussi barbare
que l'on peut espérer les éradiquer.
Dernière tentation, disons à nos politiciens que l'histoire
de ce vingtième siècle nous a démontré que le terrorisme aveugle, d'extrême-gauche ou d'extrême-droite, s'est développé et épanoui dans des pays qui ont connu des dictatures sanguinaires aussi
bien en Europe que dans le tiers-monde : Allemagne, Italie, Espagne, pays latino-américains,
arabes ou africains... Souhaitons que nous soyons préservés de tous ces types de tentations.
Lorsque l'on examine les tendances majoritaires qui se manifestent au sein des oppositions
démocratiques tunisiennes, nous nous rendons compte que ce souhait n'est pas un voeux pieux. Le
peuple tunisien, précocement politisé, pacifique et disposant d'une classe moyenne importante et
d'élites nombreuses et diversifiées, a fait la preuve de sa maturité. Les élites et les
oppositions démocratiques, attentives à notre environnement euroméditerranéen, ont elles-mêmes
mûri pour rejeter la démagogie et l'aventurisme. L'expérience du système répressif tunisien
les a vaccinées contre les manipulations et les récupérations.
Certains ont accepté dans le passé d'être instrumentalisés pour écarter puis réprimer des
opposants et même pour marginaliser des institutions comme la
Ligue des droits de l'homme et se
voir, à leur tour, victimes de la répression et de l'incarcération. Les opposants démocrates
sont désormais vigilants face au double discours et aux promesses, désormais non crédibles, qui
parlent de démocratie, de société civile et de l'État de droit alors que la répression s'abat
sur les contestataires et les défenseurs des droits de l'homme, qui sont dénoncés par le pouvoir
comme des traîtres au service de l'étranger.
Dans ses tendances majoritaires, les oppositions démocratiques ne veulent pas risquer de troquer
une dictature certes molle pour une autre dictature fondamentaliste plus dure.
L'opposition a compris que la démocratie est l'oeuvre de tous les citoyens, qu'elle ne se
construit pas sur la revanche et la violence, qui ne peuvent générer que la dictature, mais une
réconciliation nationale, bâtie sur le dialogue pacifique.