Alternatives citoyennes Numéro 3 - 10 juillet 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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RAID (Attac-Tunisie) en congrès

 

Au terme de près de deux années d'existence, le Rassemblement pour une alternative internationale de développement (RAID-Attac Tunisie) a tenu, le 1er juillet, son Congrès constitutif avec la participation de plusieurs dizaines de délégués. Moins, cependant, qu'il n'était prévu compte tenu des conditions particulièrement difficiles dans lesquelles se sont déroulés ses travaux : la veille, la police avait assiégé le local de l'association refoulant, parfois avec brutalité, toute personne qui s'en approchait et il y avait fort à craindre une opération policière qui disperse les congressistes. Dans ces conditions de tensions et d'urgence, les débats n'ont pas pu être menés à terme et le Congrès a décidé de tenir une conférence complémentaire dans trois mois.

Photo Fathi ChamkhiUn nouveau Comité de coordination a cependant été élu et Fathi Chamkhi (photo), universitaire et syndicaliste, reste porte-parole de l'association. La composition de la nouvelle direction est symptomatique de certaines des principales faiblesses de l'association : Raid n'arrive pas encore à surmonter les dangers d'un recroquevillement sur l'extrême-gauche alors que sa vocation est de regrouper l'ensemble des sensibilités qu'inquiètent la mondialisation libérale et ses répercussions sur les travailleurs et les couches les plus défavorisées de la population. Par ailleurs, la féminisation de l'association ne progresse pas comme le montre l'absence de femmes au niveau de la direction.

Une forte délégation étrangère a pu exprimer sa solidarité à la séance d'ouverture. Etaient présents : Roselyne Vachetta (eurodéputée, GUE-LCR), Héléne Flautre (eurodéputée, Verts), Mohamed Lazizi (président d'Attac-Maroc), Kadour Chouicha (coordinateur général adjoint du Conseil national de l'enseignement supérieur, Algérie), Jean-Paul Lainé (membre du BE du Snes-Sup.-FSU, responsable des relations extérieures), Jean-Luc Cipière (président d'Attac-Rhône, représentant Attac-France), Jean-Paul Garagnon pour le réseau MedBadil, Tommaso Sodana (Sénateur, Rifondazione Communista, Italie). Attac-Italie et le syndicat français Sud-PTT ont envoyé des messages de solidarité ainsi que le sénateur communiste français Robert Bret qui a été empêché à la dernière minute de faire le voyage à Tunis.

Ce premier Congrès, qui s'est tenu malgré les tentatives d'intimidation et les manoeuvres de la police, est en soi une petite victoire du Raid, bien sur, mais également de l'ensemble du mouvement démocratique. Le pouvoir ne s'y est pas trompé qui a aussitôt convoqué Fathi Chamkhi et deux autres militants du Raid à comparaître en appel, ce lundi 9 juillet devant le tribunal de Nabeul. Ils avaient été condamnés l'année dernière à des peines de prison ferme pour maintien d'une association non-reconnue et diffusion de fausses nouvelles.

La fondation du Raid, le 9 septembre 1999, participe du renouveau du mouvement associatif dont le CNLT a été la première forme organisée. S'inspirant en effet de la démarche du Conseil ­ ne plus se contenter de revendiquer son droit mais l'exercer ­ les initiateurs du projet ont déposé un dossier en bonne et due forme au gouvernorat de Tunis. Devant le refus des autorités de leur délivrer un récépissé, ils ont considéré, au terme des trois mois de patience réglementaires et en l'absence de toute réponse du ministère de l'Intérieur, que leur association était légale : les procédures stipulées par la loi sur les associations avaient été scrupuleusement observées et, de toutes façons, la Constitution et les traités internationaux ratifiés par la Tunisie reconnaissent et garantissent le droit d'association.

Le Raid s'est constitué à partir d'une triple prise de conscience qui situe immédiatement cette association dans la même démarche fondamentale que le mouvement international Attac en cours de construction.

La conviction, tout d'abord, que le combat démocratique exige la multiplication d'initiatives citoyennes d'occupation de l'espace public et la multiplication des champs d'intervention. En Tunisie, il s'agit en premier lieu d'imposer le respect du droit élémentaire d'association mais, avec les autres composantes du mouvement Attac, le Raid aspire à développer l'initiative et le contrôle citoyen « à la base » ; il se veut un mouvement d'éducation et d'action populaire dans une perspective d'auto-émancipation. Dans ce cadre, le Raid veut rompre avec la tradition centralisatrice du mouvement associatif tunisien (produit de la double tradition destourienne et léniniste) et privilégie l'action et les formes d'organisations décentralisées et sectorielles.

Deuxième fondement constitutif de l'identité du Raid, la conviction que la question des droits humains et des libertés ne recouvre qu'une partie ­ essentielle, certes ­ des préoccupations de la société. Délaissée par l'UGTT, sous-estimée par la majorité du mouvement démocratique renaissant, la question économique et sociale est pourtant d'une actualité brûlante, le complément indispensable des droits humains de nature politique. Il ne s'agit pas de diluer le politique dans le social et le social dans le caritatif comme le fait démagogiquement le pouvoir mais d'articuler droits humains politiques et droits sociaux, citoyenneté politique et citoyenneté sociale. Le Raid repousse ainsi la tentation, très forte dans le mouvement démocratique, de hiérarchiser les combats : « d'abord occupons-nous des libertés et ensuite nous verrons pour le social ». Un discours qui trouve souvent ses justifications dans les thèmes mêmes de la propagande gouvernementale : « de toutes façons, le taux de croissance est bon et le social progresse ... ». Ou plus grave : « le libéralisme économique s'impose à tous ; il constitue l'ordre naturel du monde, le complément nécessaire de la démocratique politique ! »

L'action du Raid est justement de proposer une critique de ce discours, de dévoiler les effets dévastateurs des programmes de libéralisation sur le tissu économique tunisien et sur les conditions de vie et de travail de la majorité de nos concitoyens ; l'action du Raid consiste de ce point de vue à montrer qu'il peut exister d'autres voies et de réfléchir à des alternatives dont le critère ne serait ni le taux de croissance ni le taux de profit mais la satisfaction des besoins sociaux.

À l'heure de la mondialisation, une telle alternative ne saurait, il est vrai, résider dans une quelconque perspective de développement autarcique. La réponse adéquate au libéralisme ne peut, par conséquent, qu'articuler le local au mondial, la résistance locale à la globalisation des résistances. Dans la même optique, Raid considère que les Accords d'associations avec l'Union européenne et le projet d'une Zone de libre-échange euro-méditerranéenne constituent le cadre privilégié de l'intégration de la Tunisie à la mondialisation libérale (voir notre dossier « International » [NDLR]).

C'est là le troisième axe qui fonde l'identité du Raid. La spécificité de cette association réside ainsi dans ce nouvel internationalisme qui ne se conçoit pas comme la juxtaposition arithmétique de luttes et de projets nationaux mais comme leur intégration dans une dynamique commune. Toute la logique d'organisation, de lutte et de recherches d'alternatives, qui caractérise les différentes facettes de l'action du Raid, découle de cette démarche qui s'affirme ainsi aux antipodes des tendances souverainistes et nationalistes chauvines de la gauche traditionnelle tunisienne. À l'illusoire « indépendance » économique (qu'elle soit conduite par une fantômatique « bourgeoisie nationale » ou par le peuple), le Raid oppose plutôt la perspective d'une dépendance, consciemment assumée, à une mondialisation sociale à construire avec les autres peuples de la planète.

Cette orientation globale s'enracine, bien évidemment, dans une action de résistance locale aux répercussions immédiates de la mondialisation libérale (le programme d'ajustement structurel, l'endettement, les privatisations, la remise en cause des acquis sociaux, etc.).

 

Sadri Khiari
Doctorant en Sciences politiques, membre du RAID. Tunis.
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