Alternatives citoyennes Numéro 16 - 15 juin 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Un impromptu de Hassine Dimassi
« Ce qui m'inquiète le plus pour l'avenir de mon pays »

 

P rofesseur d'économie et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques et économiques de Sousse, Hassine Dimassi est connu pour avoir été très longtemps l'économiste de l'UGTT dont il a principalement piloté le dernier rapport économique et social (2002). Engagé dans les luttes syndicales, il est aussi chargé par de nombreuses institutions nationales et internationales de la conduite d'études de grande ampleur. Pour autant, malgré toutes ses charges, il ne nous a jamais refusé de longues interviews que nous avons publiées dans Alternatives Citoyennes et dans la revue Ettariq Aljadid qui fut notre partenaire. Nos lecteurs ont donc pu lire ses analyses sur l'enseignement, l'emploi des jeunes, le tourisme, l'agriculture et tant d'autres sujets à propos desquels il appréhendait un avenir obscurci. En marge, voici quelques inquiétudes supplémentaires dessinées en filigrane, de manière impromptue, dont nos lecteurs pourront prolonger le développement.

La rédaction

 

Ce qui m'inquiète d'abord pour l'avenir de mon pays, c'est le désintérêt quasi total des jeunes et des moins jeunes pour la chose publique. Aucune relève ne se dessine à l'horizon pour la gouvernance et la gestion rationnelle des affaires du pays. Une nation ne peut jamais être gouvernée exclusivement par des bureaucrates et des politicards. Toute nation a besoin d'une élite de véritables politiciens qui ne tombent pas du ciel mais qui se forment graduellement dès leur plus jeune âge dans les rangs de la société civile (partis, syndicats, associations). Faute de ce genre d'élite, le pays risque de revivre les sombres périodes beylicales, lorsqu'il a été livré à des janissaires qui décident sans réfléchir et agissent sans discerner. On sait la suite...

Ce qui m'inquiète ensuite pour le devenir de mon pays, c'est l'effritement de sa classe moyenne, ossature de la société. La cohésion sociale ne peut jamais persister sans une classe moyenne vigoureuse. Ce sont ses rêves et ses ambitions qui poussent constamment la société de l'avant sans verser dans la violence. Une société sans classe moyenne, c'est une société duale, dont les extrêmes (l'élite aisée et la masse démunie) s'entrechoquent forcément. C'est donc une société qui vit une perpétuelle alternance entre de longues périodes d'immobilisme et d'inertie telles une mort lente et de courtes périodes d'extrême violence porteuses de chaos. Remarquons que notre classe moyenne ne semble encore survivre que grâce aux crédits. Mais jusqu'à quand encore ?

Ce qui m'inquiète enfin pour l'avenir de mon pays, c'est l'étiolement de la tolérance. C'est la haine et la méfiance des autres qui s'instaurent de façon subreptice et pernicieuse. Est-ce le signe du désespoir et/ou de la démission ? En tout cas, sans tolérance, rien de valable et d'utile ne peut se créer et perdurer. Ibn Rochd en a fait la démonstration. En détournant sa philosophie sur l'Europe, les intolérants Mouwahidounes ont révolutionné l'Occident tout en castrant pour de longs siècles l'Orient.

 

Hassine Dimassi
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