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rofesseur d'économie et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques et économiques de Sousse, Hassine
Dimassi est connu pour avoir été très longtemps l'économiste de l'UGTT dont il a principalement piloté le dernier
rapport économique et social (2002). Engagé dans les luttes syndicales, il est aussi chargé par de nombreuses
institutions nationales et internationales de la conduite d'études de grande ampleur. Pour autant, malgré toutes
ses charges, il ne nous a jamais refusé de longues interviews que nous avons publiées dans Alternatives
Citoyennes et dans la revue Ettariq Aljadid qui fut notre partenaire. Nos lecteurs ont donc pu lire
ses analyses sur l'enseignement, l'emploi des jeunes, le tourisme, l'agriculture et tant d'autres sujets à propos
desquels il appréhendait un avenir obscurci.
En marge, voici quelques inquiétudes supplémentaires dessinées en filigrane, de manière impromptue, dont nos
lecteurs pourront prolonger le développement.
La rédaction
Ce qui m'inquiète d'abord pour l'avenir de mon pays, c'est le désintérêt quasi total des jeunes et des moins jeunes
pour la chose publique. Aucune relève ne se dessine à l'horizon pour la gouvernance et la gestion rationnelle des
affaires du pays. Une nation ne peut jamais être gouvernée exclusivement par des bureaucrates et des politicards.
Toute nation a besoin d'une élite de véritables politiciens qui ne tombent pas du ciel mais qui se forment
graduellement dès leur plus jeune âge dans les rangs de la société civile (partis, syndicats, associations). Faute
de ce genre d'élite, le pays risque de revivre les sombres périodes beylicales, lorsqu'il a été livré à des
janissaires qui décident sans réfléchir et agissent sans discerner. On sait la suite...
Ce qui m'inquiète ensuite pour le devenir de mon pays, c'est l'effritement de sa classe moyenne, ossature de la
société. La cohésion sociale ne peut jamais persister sans une classe moyenne vigoureuse. Ce sont ses rêves et ses
ambitions qui poussent constamment la société de l'avant sans verser dans la violence. Une société sans classe
moyenne, c'est une société duale, dont les extrêmes (l'élite aisée et la masse démunie) s'entrechoquent forcément.
C'est donc une société qui vit une perpétuelle alternance entre de longues périodes d'immobilisme et d'inertie
telles une mort lente et de courtes périodes d'extrême violence porteuses de chaos. Remarquons que notre classe
moyenne ne semble encore survivre que grâce aux crédits. Mais jusqu'à quand encore ?
Ce qui m'inquiète enfin pour l'avenir de mon pays, c'est l'étiolement de la tolérance. C'est la haine et la
méfiance des autres qui s'instaurent de façon subreptice et pernicieuse. Est-ce le signe du désespoir et/ou de la
démission ? En tout cas, sans tolérance, rien de valable et d'utile ne peut se créer et perdurer. Ibn Rochd
en a fait la démonstration. En détournant sa philosophie sur l'Europe, les intolérants Mouwahidounes ont
révolutionné l'Occident tout en castrant pour de longs siècles l'Orient.