ne autre information est possible, voilà ce que nous croyons à Alternatives Citoyennes
comme à Porto Alegre on démontre qu'un autre monde est possible. Au-delà du credo et du
rêve, bien davantage nous apparente et nous intègre à ce grand mouvement social. Comme lui,
nous nous construisons sur Internet, havre et refuge des sans domicile fixe, de ceux auxquels se
refusent les espaces classiques de parole et de mouvement et qui, même bâillonnés et
enchaînés, parlent et circulent sur le web, en liberté.
Nous nous inscrivions dans ce mouvement social mondial contre l'exploitation et contre la
tyrannie, en gens du Sud expulsés du siècle, en citoyens évacués de la place publique, en
salariés des investis du rapport productif, en générations dépossédées de leur avenir, en
femmes ombres de leur histoire. Nous avons toutes les raisons d'en être, et nous avons les
mêmes raisons d'agir.
« Raisons d'agir », c'est à celui qui ne fut pas cette année à Porto Alegre que nous
empruntons cette motivation et cette promesse. Pierre Bourdieu, l'intellectuel phare du
mouvement social est en effet parti, mais nous nous inscrivons modestement dans sa
généalogie.
C'est d'une même inspiration que nous en entretiendrons à notre mesure les contre-feux qu'il
alluma contre la mondialisation ultralibérale, contre sa barbarie et ses alliés-nations et contre tous
les pouvoirs mineurs et décatis que, pour la servir, elle produit.
À l'enseigne de sa sociologie engagée, « sport de combat », à l'image de ce penseur militant,
dans le sillage de cet intellectuel critique, nous descendons dans l'arène, en journalistes
engagés pour une information dérangeante, sans complaisance.
Loin des compromissions marchandes et des dégradantes positions de pouvoir, nous prenons
délibérément, comme lui, le parti « des perdants », contre ceux qui avec arrogance se
proclament déjà « gagnants ». Car nous nous donnons un bien plus bel horizon que celui de la
domination.
Dans une correspondance personnelle que nous entretenions avec lui, Pierre Bourdieu à qui
nous avions parlé de l'expérience difficile d'Alternatives Citoyennes, et que notre appel a - en
dépit de « tant de charges de tous ordres ... » - « encouragé beaucoup » à venir en Tunisie,
nous écrivit en substance ceci : « Je vous ai lus... Bravo, tenez bon, votre courage finira
par être récompensé... ».
Pour ce message qui fut le dernier, pour ceux qui précédèrent d'une écriture fine et émouvante,
pour ce que nous savons de sa générosité et de sa sensibilité, pour ce que nous partageons de
sa passion et de sa raison, pour son intelligence solaire qui dans notre grisaille porta sa lumière,
pour cet éclaireur à suivre sans se retourner, nous ferons en sorte qu'aucun de nous à
Alternatives Citoyennes ne démente, en souvenir de Pierre Bourdieu, ce vers d'Éluard :
« Tu rêvais d'être libre et je te continue... ».
Dernière minute - Condoléances à notre ami Kamel Jendoubi
Le père de notre ami Kamel Jendoubi, président de la FTCR et du CRLDHT, vient de décéder à
Tunis et sera inhumé ce mercredi 20 février. Kamel, privé de passeport en raison de ses
prises de position contre les violations des droits de l'homme et des libertés en Tunisie,
n'aura pu jusqu'à la dernière seconde bénéficier, ni de son droit à rentrer dans son pays
(droit que nous continuerons à revendiquer pour lui), ni du moindre geste de compréhension
afin qu'il puisse être présent aux derniers moments de son père. Plus qu'une protestation, nous
voudrions exprimer ici notre profonde répugnance pour ce manque d'humanité. Nous nous
associons à notre ami Kamel et à sa famille dont nous partagerons le chagrin et la dernière
prière pour l'absent.
À l'adresse de nos gouvernants qui s'estiment en droit de s'approprier notre pays en
condamnant à l'exil d'autres tunisiens, nous dirons ceci : en imposant vos diktats et en
décrétant que la terre tunisienne n'est accessible aux nôtres que selon votre bon plaisir,
vous avez cru inventer la solitude entre tunisiens d'ici et tunisiens d'ailleurs alors que
vous ne faites que nous pousser à réinventer la solidarité.