ors de son déplacement à Paris au mois de janvier M. Ben Yahia ministre tunisien des Affaires étrangères semble avoir fait feu de tout bois. Le pouvoir a-t-il décidé de reprendre l'offensive et de ne plus se contenter de se défendre contre les critiques de plus en plus fréquentes des Européens contre sa politique antidémocratique, et les violations des droits de l'homme ?
M. Ben Yahia a en tout cas cru bon d'affirmer : « nous n'avons rien contre l'opposition laïque, mais je ne nie pas qu'il y ait quelques problèmes avec une trentaine de personnes ».
Nous n'entrerons pas en polémique avec M. Ben Yahia sur ce qu'il signifie par « opposition laïque »... Et d'abord, M. Ben Yahia lui-même, ne se considère-t-il pas laïque ? Et son parti, le RCD ne tient-t-il pas quelquefois un discours laïque ? Et des partis comme L'UDU, le PUP, le MDS sont-ils des partis laïques ? Si le PDP de Nejib Chebbi est connu pour son hostilité (presque) maladive à la laïcité, bien que nombre de ses militants et même de ses dirigeants s'affirment laïques, la référence laïque du mouvement Ettajdid, même si elle est rarement mise en avant, est en quelque sorte « historique ». Mais M. Ben Yahia ne sait-il pas que le pouvoir « a des problèmes » avec ces partis laïques ou laïcisants ?
Le pouvoir refuse de reconnaître l'existence du parti de M. Ben Jâafar, parti laïque avec sa culture
politique largement héritée du PSD (actuellement RCD). Il y a là « un problème », non ?
Le pouvoir réprime M. Hammami et ses camarades du POCT. Et ceux-là, ils sont bel et bien laïques.
Quatre de ces militants, laïques, sont aujourd'hui en prison. Il y a là « un problème avec l'opposition
laïque », non ?
Le pouvoir réprime la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme ; il lui a fait intenter un procès pour la faire plier. Il interdit ses activités, à Tunis, à Bizerte, à Sfax, à Ksibat el Madiouni...
L'on sait que la Ligue est presque par nature et par définition une organisation aux références laïques
très fortes... Alors, M. Ben Yahia, n'y a-t-il pas là un « gros problème » ?
L'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) est très certainement l'organisation la plus ouvertement laïque du pays. Ses activités sont en permanence contrôlées, parfois interdites, sa voix est étouffée, ses publications sont censurées. Lorsque l'association soulève le problème de l'égalité entre hommes et femmes au niveau de l'héritage, une campagne de presse est organisée. Une ministre intervient pour, au nom des préceptes islamiques (mais oui, et c'est une femme et une femme RCD !), refuser et mettre fin à tout débat sur cette question. N'y a-t-il pas là, M. Ben yahia, « un gros problème » ?
Et avec l'UGET victime en permanence de la répression policière à l'intérieur même des Facultés, n'avez-vous pas là, M. Ben Yahia, « un gros problème » avec une organisation pour laquelle la laïcité coule de source en quelque sorte ?
Alors, M. Ben Yahia ? N'avez vous pas remarqué que depuis quelques années, la répression sous toutes ses formes (arrestations, procès, torture, interdiction de voyager, exactions et agressions physique, campagnes de presse diffamatoires etc.), cible pour l'essentiel des militants et militantes connu(e)s par leur attachement à la laïcité ?
Allons donc, M. Ben Yahia ! Vous réprimez l'opposition laïque parce que c'est l'opposition laïque qui milite et combat réellement et sans calcul pour la démocratie - vous savez qu'il n'y a pas plus démocrate qu'un laïque ! Ceux qui répriment les laïques, que ce soit au nom de la chariâ ou au nom du despotisme « modernisé », sont les pires adversaires de la démocratie.
Et enfin, M. Ben Yahia, soyons sérieux ! Vous n'avez pas « quelques problèmes avec une trentaine de personnes », vous avez beaucoup de problèmes, de gros problèmes, et avec des centaines, des milliers d'hommes et de femmes : intellectuels, artistes, créateurs, avocats, syndicalistes, militant(e)s associatifs, politiques, qui se battent, à partir de références laïques ou laïcisantes, pour la démocratie, pour les droits de l'homme.