Alternatives citoyennes Numéro 7 - 18 février 2002
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Lettre du docteur Hélène Jaffé au président Ben Ali

 

La lettre que nous reproduisons ci-dessous a été adressée au président Ben Ali le 14 février dernier par le docteur Hélène Jaffé, présidente de l'AVRE et membre du Conseil consultatif pour les Droits de l'homme auprès du premier Ministre français. Cette lettre a été diffusée sur la liste gérée par les responsables du site Le Maghreb des droits de l'homme : http://www.maghreb-ddh.org.

La rédaction

 

Monsieur le Président,

Vous avez déclaré à la presse que votre pays se mettait au service de la lutte contre le terrorisme international. Si je comprends bien, cela signifie que votre police est attentive à tout ce qui pourrait faire soupçonner la présence sur le sol tunisien de personnes susceptibles d'avoir fomenté, ou de vouloir fomenter des attaques terroristes contre les intérêts de pays que vous souhaitez soutenir. On ne peut que se réjouir de ces intentions, et vous en remercier.

Mais une question vient immédiatement à l'esprit : comment une police, et semble-t-il, une des plus nombreuses du monde rapportée au nombre d'habitants, a-t-elle pu échouer dans sa recherche de trois opposants politiques, cachés sur le sol tunisien, pendant aussi longtemps ?
C'est une mauvaise police.
Et on est alors en droit de se demander de quelle efficacité elle pourrait faire preuve dans le cas de bandes organisées et soutenues de l'extérieur : ce n'est guère rassurant... Vous en conviendrez vous-même.
C'est aussi une mauvaise police, car, en face de fugitifs, venus d'eux-mêmes se livrer à leurs juges, elle ne sait que taper et user de sa force physique. Devant une foule d'observateurs étrangers, et pas des moindres, elle a concourru à donner la plus mauvaise image possible d'une justice galvaudée, de juges si peu présents qu'il vaudrait mieux dire qu'ils étaient absents, sous la coupe de cette police qui se targue de son impunité.
Celle que vous lui garantissez ?
Les avocats, unanimement, ont montré leur désaccord : c'est tout à l'honneur de votre pays, et je suis sûre que, peut-être par devers vous, vous leur en savez gré.

Madame Mary Robinson, Haut Commissaire aux Droits de l'homme, disait tout récemment : « La communauté internationale ne peut se contenter de réprimer uniquement le terrorisme, elle doit aussi s'intéresser à ses causes profondes ». Et si c'était la recherche que mènent et ont mené ceux que vous avez laissés traiter et condamner comme des malfaiteurs ?
On peut ne pas être d'accord avec leurs analyses ou propositions, mais ils ont le mérite de réfléchir, ce qui manque cruellement à ceux qui les ont agressés le jour du procès. Ils savent, eux, utiliser les armes du débat politique par leurs écrits, leurs prises de position, et non par la violence.

Madame Robinson, toujours elle, ajoutait : « Les Chefs d'État, qu'ils soient en exercice ou non, ne sont plus à l'abri de poursuites judiciaires s'ils ont commis de graves violations des Droits de l'homme ».

Sans doute est-il urgent de revoir le statut de la police, de stigmatiser les actes de torture physique ou mentale, et d'en juger leurs auteurs. Au cours d'un vrai procès, où leurs avocats comme les prévenus, auront droit à la parole, et les juges à la leur.
Sans cette volonté expresse de votre part, vous pourriez alors être inculpé de complicité, sans pouvoir y échapper, un jour ou l'autre...

Les réformes que vous annoncez tiendront-elles compte de ces faits ? Tous les vrais amis de la Tunisie le souhaitent, vous le souhaitent.

C'est sur ces voeux que je vous prie d'accepter, Monsieur le Président, l'expression de mes salutations déférentes.

le 14 février 2002

Docteur Hélène Jaffé, présidente de l'AVRE
Membre du Conseil consultatif pour les Droits de l'homme auprès du Premier Ministre.

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