Alternatives citoyennes Numéro 5 - 23 novembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Sommaire

Éditorial

Actualité

Brèves

Dossier

Démocratie

Syndicalisme

Économie

Société

International
- Afghanistan
- Palestine

Culture

Partager

International
Palestine
Le rapport d'Amnesty International sur l'Intifadha
« Comment expliquer au monde... ? »

 

Bien qu'on ne présente pas les chercheurs d'Amnesty, une mention spéciale fut accordée à Liz Hodgkin, de passage à la section tunisienne d'Amnesty International (AI), par Mahmoud Ben Romdhane qui fut ces dernières années président de cette grande organisation de défense des droits de l'homme. Comment ne pas rappeler, en effet, que c'est à Liz Hodgkin que l'on doit la très belle et réussie campagne d'AI sur les disparus au Maroc qui fut, par le réglement de cette grande blessure, à l'origine d'un amendement de la monarchie marocaine ? Liz Hodgkin pilota également de 1990 à 1994 la campagne sur une sombre répression en Tunisie dont nul n'osait vraiment parler alors, en dehors de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Ces derniers mois, Liz Hodgkin a collecté au péril de sa vie (les militaires israéliens lui ayant tiré dessus 3 fois !) des informations sur les violations des droits de l'homme dans les territoires autonomes, néanmoins réoccupés, et en Israël. Ce rapport, elle l'a présenté en avant-première à Tunis le 3 novembre, mais il a été rendu public au niveau international le 13 novembre.

Nous en donnons ici un bref aperçu. Mais qu'il nous soit permis, en hommage à une femme d'exception par son courage, sa générosité et son intelligence, de rappeler ces quelques informations semi-privées. Liz Hodgkin, universitaire, longtemps professeur d'histoire à Khartoum, est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'islamisme en Afrique Subsaharienne. Arrière-petite fille du médecin qui donna son nom à la maladie de Hodgkin et qui fut enterré en Palestine, elle est la fille d'un haut fonctionnaire britannique en Palestine qui en fut expulsé en 1937 pour s'être rangé aux côtés des grévistes palestiniens. Il a laissé des mémoires sur cette époque. Quant à sa mère, prix Nobel de chimie (la même année où Sartre refusa le sien) elle mit un point d'honneur à exprimer sa solidarité aux Palestiniens, en allant enseigner chez eux chaque fois que les Israéliens s'évertuaient à boucler leurs universités. Comment s'étonner alors qu'elle eut la Palestine au coeur ?

Le rapport de Liz Hodgkin sur l'Intifadha vaut autant pour la somme d'informations précises sur les arrestations, les démolitions de maisons, la torture (légale en Israël), les morts à bout portant et les meurtres ciblés, prémédités, de militants ou de chefs de la résistance, que par un certain nombre de réflexions qui donnent à chaque détail, à chaque moment du conflit, sa densité et sa vérité propre.

Ainsi, Liz Hodgkin devait rapporter son insistance à obtenir des autorités israéliennes qu'à chaque mort, il y ait une enquête et l'inscription d'une identité « pour que la mort ne soit pas banalisée ». Mais, pour la police israélienne il ne saurait y avoir d'enquête que s'il y a plaintes. « Les israéliens considèrent que parce que c'est une situation de guerre, on n'a pas à faire des enquêtes sur les morts » déplore Liz Hodgkin.

Parmi les légitimations irrecevables des actions de la police israélienne, il y a la mobilisation de jeunes enfants, de classes élémentaires, pour des manifestations. Mais, ironise Liz Hodgkin, « on ne peut pas imaginer ces gamins qui jetaient des pierres mettre la vie des soldats israéliens dans leurs tanks en danger ! »

Le témoignage suit, à propos des enfants tués notamment au cours d'un sanglant mois d'octobre 2000. Liz Hodgkin décrit aussi les tirs jusqu'à l'intérieur des maisons, les trous dans les vitres, dans les tapis, les couvre-lits, les habits. « Nous avons noté les cas d'enfants tués tandis qu'ils jouaient, les tirs jusque dans les boutiques sur les commerçants, les maisons qui portaient encore des traces de balles, complètement vidées de leurs habitants qui partaient de nuit ».

Rien n'arrête la répression sécuritaire israélienne, laquelle envoya même des roquettes sur une délégation d'AI et sur des journalistes. « Comment pourraient-ils imaginer que nous les mettions en danger ? Nous regardions une maison et ils se sont mis à tirer au-dessus de nous. C'est-à-dire que le tir des soldats devient de plus en plus banal. Les soldats ne savent pas se demander si deux jeunes qui regardent une maison sont un danger. Les soldats tirent, c'est tout » témoigne encore Liz Hodgkin sur cette routine répétitive du fait sécuritaire militaire.

Et c'est une armée tout à la fois redoutable et à distance, hors de portée du jet de pierre : « dans la bande de Gaza, on ne voit pas les soldats israéliens, ils sont derrière les tanks ou les voitures militaires. On ne voit plus que leurs yeux ». Liz Hodgkin témoigne aussi à propos des exécutions judiciaires des présumés terroristes s'apprêtant à des attentats. « Le gouvernement israélien n'apporte pas de preuves qu'ils vont commettre un attentat. Ceux qui ont été tués auraient pu être simplement arrêtés. Un officier nous a dit qu'autrefois ils arrêtaient ceux qui les menaçaient et que maintenant ils pourraient directement les tuer. Il faut en venir à un code où chaque vie serait importante » affirme Liz Hodgkin, en avançant dans une problématique évidente pour Amnesty, controversée au regard d'une conscience arabe, ici tunisienne. Pour Amnesty, tuer des civils est condamnable, particulièrement lorsqu'on tire à vue sur des voitures à immatriculation israélienne ou, pire encore, sur des enfants, fussent-ils enfants de colons. La question fit objet d'une vive résistance. Pour aucun démocrate tunisien, il ne s'agit de légitimer l'assassinat de civils, mais le fait d'occupation conduit à une résistance laquelle, parfois, est dans l'impossibilité de distinguer.

En fait Amnesty, davantage portée à l'humanitaire et se refusant d'entrer dans des considérations politiques, ne pose pas clairement ce débat. Or, toutes les ignominies et exclusions sur lesquelles Amnesty prend position en dénonçant les assassinats, la torture ou en se prononçant pour le droit au retour, découlent en fait d'un situation abusive, d'une expropriation et pour tout dire du fait colonial.

Aussi, les sympathisants tunisiens de la cause palestinienne considèrent positive l'action d'Amnesty avec laquelle ils font un bout de chemin, mais un bout seulement en attendant qu'Amnesty étende sa prise en considération d'une colonisation éhontée, admise internationalement comme au-dessus des lois et reconduite par un État terroriste, comme la pire des dénégations actuelles d'un droit humain.

Rapport AI : Broken lives. A year of Intifada. MDE-15/083/2001. Novembre 2001.

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
www.alternatives-citoyennes.sgdg.org  ~ redaction@alternatives-citoyennes.sgdg.org