ien qu'on ne présente pas les chercheurs
d'Amnesty, une mention spéciale fut accordée à Liz
Hodgkin, de passage à la section tunisienne d'Amnesty
International (AI), par Mahmoud Ben Romdhane qui fut
ces dernières années président de cette grande
organisation de défense des droits de l'homme. Comment
ne pas rappeler, en effet, que c'est à Liz Hodgkin que
l'on doit la très belle et réussie campagne d'AI sur
les disparus au Maroc qui fut, par le réglement de
cette grande blessure, à l'origine d'un amendement de
la monarchie marocaine ? Liz Hodgkin pilota
également de 1990 à 1994 la campagne sur une sombre
répression en Tunisie dont nul n'osait vraiment parler
alors, en dehors de la Ligue tunisienne des droits de
l'homme. Ces derniers mois, Liz Hodgkin a collecté au
péril de sa vie (les militaires israéliens lui ayant
tiré dessus 3 fois !) des informations sur les
violations des droits de l'homme dans les territoires
autonomes, néanmoins réoccupés, et en Israël. Ce rapport, elle l'a présenté en avant-première à Tunis le 3 novembre, mais il a été rendu public au niveau international le 13 novembre.
Nous en donnons ici un bref aperçu.
Mais qu'il nous soit permis, en hommage à une femme
d'exception par son courage, sa générosité et son
intelligence, de rappeler ces quelques informations
semi-privées. Liz Hodgkin, universitaire, longtemps
professeur d'histoire à Khartoum, est l'auteur d'une
thèse sur les origines de l'islamisme en Afrique
Subsaharienne. Arrière-petite fille du médecin qui
donna son nom à la maladie de Hodgkin et qui fut
enterré en Palestine, elle est la fille d'un haut
fonctionnaire britannique en Palestine qui en fut
expulsé en 1937 pour s'être rangé aux côtés des
grévistes palestiniens. Il a laissé des mémoires sur
cette époque. Quant à sa mère, prix Nobel de chimie (la
même année où Sartre refusa le sien) elle mit un point
d'honneur à exprimer sa solidarité aux Palestiniens, en
allant enseigner chez eux chaque fois que les
Israéliens s'évertuaient à boucler leurs universités.
Comment s'étonner alors qu'elle eut la Palestine au
coeur ?
e rapport de Liz Hodgkin sur l'Intifadha
vaut autant pour la somme d'informations précises sur
les arrestations, les démolitions de maisons, la
torture (légale en Israël), les morts à bout portant
et les meurtres ciblés, prémédités, de militants ou de
chefs de la résistance, que par un certain nombre de
réflexions qui donnent à chaque détail, à chaque moment
du conflit, sa densité et sa vérité propre.
Ainsi, Liz Hodgkin devait rapporter son insistance à
obtenir des autorités israéliennes qu'à chaque mort, il
y ait une
enquête et l'inscription d'une identité « pour
que la mort ne soit pas banalisée ». Mais, pour la
police israélienne il ne saurait y avoir d'enquête que
s'il y a plaintes. « Les israéliens considèrent
que parce que c'est une situation de guerre, on n'a pas
à faire des enquêtes sur les morts » déplore Liz
Hodgkin.
Parmi les légitimations irrecevables des actions de la
police israélienne, il y a la mobilisation de
jeunes enfants, de classes élémentaires, pour des
manifestations. Mais, ironise Liz Hodgkin, « on ne
peut pas imaginer ces gamins qui jetaient des pierres
mettre la vie des soldats israéliens dans leurs tanks
en danger ! »
Le témoignage suit, à propos des enfants tués notamment
au cours d'un sanglant mois d'octobre 2000. Liz Hodgkin
décrit aussi les tirs jusqu'à l'intérieur des maisons,
les trous dans les vitres, dans les tapis, les
couvre-lits, les habits. « Nous avons noté les cas
d'enfants tués tandis qu'ils jouaient, les tirs jusque
dans les boutiques sur les commerçants, les maisons qui
portaient encore des traces de balles, complètement
vidées de leurs habitants qui partaient de
nuit ».
Rien n'arrête la répression sécuritaire israélienne,
laquelle envoya même des roquettes sur une délégation
d'AI et sur des journalistes. « Comment
pourraient-ils imaginer que nous les mettions en
danger ? Nous regardions une maison et ils se sont
mis à tirer au-dessus de nous. C'est-à-dire que le tir
des soldats devient de plus en plus banal. Les soldats
ne savent pas se demander si deux jeunes qui regardent
une maison sont un danger. Les soldats tirent, c'est
tout » témoigne encore Liz Hodgkin sur cette
routine répétitive du fait sécuritaire militaire.
Et c'est une armée tout à la fois redoutable et à
distance, hors de portée du jet de pierre :
« dans la bande de Gaza, on ne voit pas les
soldats israéliens, ils sont derrière les tanks ou les
voitures militaires. On ne voit plus que leurs
yeux ». Liz Hodgkin témoigne aussi à propos des
exécutions judiciaires des présumés terroristes
s'apprêtant à des attentats. « Le gouvernement
israélien n'apporte pas de preuves qu'ils vont
commettre un attentat. Ceux qui ont été tués auraient
pu être simplement arrêtés. Un officier nous a dit
qu'autrefois ils arrêtaient ceux qui les menaçaient et
que maintenant ils pourraient directement les tuer. Il
faut en venir à un code où chaque vie serait
importante » affirme Liz Hodgkin, en avançant dans
une problématique évidente pour Amnesty, controversée
au regard d'une conscience arabe, ici tunisienne. Pour
Amnesty, tuer des civils est condamnable,
particulièrement lorsqu'on tire à vue sur des voitures
à immatriculation israélienne ou, pire encore, sur des
enfants, fussent-ils enfants de colons. La question fit
objet d'une vive résistance. Pour aucun démocrate
tunisien, il ne
s'agit de légitimer l'assassinat de civils, mais le
fait d'occupation conduit à une résistance laquelle,
parfois, est dans l'impossibilité de distinguer.
En fait Amnesty, davantage portée à l'humanitaire et se
refusant d'entrer dans des considérations politiques,
ne pose pas clairement ce débat. Or, toutes les
ignominies et exclusions sur lesquelles Amnesty prend
position en dénonçant les assassinats, la torture ou en
se prononçant pour le droit au retour, découlent en
fait d'un situation abusive, d'une expropriation et
pour tout dire du fait colonial.
Aussi, les sympathisants tunisiens de la cause
palestinienne
considèrent positive
l'action d'Amnesty avec laquelle ils font un bout de
chemin, mais un bout seulement en attendant qu'Amnesty
étende sa prise en considération d'une colonisation
éhontée, admise internationalement comme au-dessus des
lois et reconduite par un État terroriste, comme la
pire des dénégations actuelles d'un droit humain.
Rapport AI : Broken lives. A year of Intifada. MDE-15/083/2001. Novembre 2001.