Alternatives citoyennes Numéro 5 - 23 novembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Au fil des jours...

 

Afghanistan

- Le 10 novembre, la chute de Mazar-Ech-Charif, importante ville afghane, est annoncée. Des informations contradictoires ont circulé tout au long des trois jours suivants. « Libérée par les forces de l'Alliance du Nord », puis « reprise par les forces des Taliban » etc. Le 13, une information ne laisse plus de doute : les femmes ont investi les rues de Mazar-Ech-Charif. Là, le doute n'est plus permis : la ville a été libérée de la présence talibane...

Algérie

- Un front démocratique a été (enfin) créé en Algérie. Face à la bipolarisation pouvoir/armée d'un côté et islamisme/intégrisme de l'autre, la division des forces de la démocratie, de la laïcité et du progrès était devenue inacceptable.

Jordanie

- Lu dans les quotidiens : « la presse jordanienne se félicite de la suppression de son ministère de tutelle... ». Que les journalistes jordaniens ne crient pas victoire trop tôt : l'expérience tunisienne est là : le ministère de tutelle a été supprimé, et la presse ne s'en porte guère mieux !

Qatar (Doha)

- Durant six jours, du 9 au 14 novembre, et après une prolongation forcée de deux jours nécessitée par les difficultés de trouver un consensus entre les États-Unis d'un côté, l'Europe et les pays du Tiers-Monde animés par l'Inde de l'autre, la Conférence de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) réunie à Doha a été marquée par la présence quasi-symbolique des représentants des contestataires et adversaires de la mondialisation - Seattle aux USA, Gênes en Italie, c'était la grande mobilisation - le choix de Doha en région arabe, n'était pas innocent. Quelques centaines de personnes seulement ont réussi à avoir leur visa, le Qatar ayant prétexté... le manque de place dans les hôtels pour limiter... et sélectionner les visiteurs peu désirables. Encore faut-il rajouter que la rue était interdite - aux manifestants bien entendu. Les contestataires ont pu se faire entendre, devant les cameras tendues « généreusement » par la télévision Qatari, mais uniquement dans le hall et les couloirs de l'hôtel où se tenait la Conférence. Enfin, c'était « politiquement correct », non ?

Tunisie

- La campagne présidentielle continue. Les quotidiens abreuvent régulièrement leurs lecteurs, tous les jours qui se font, de longues listes de cellules, d'organisations, d'associations, de clubs dans les coins les plus reculés du pays qui appellent Ben Ali à se représenter aux élections présidentielles de 2004. On trouve en vrac tout ce que l'on peut imaginer : « les cadres religieux de la Mosquée Sidi-Zibouni à Médenine-Nord », l'Union locale des aveugles (mais oui !) de Médenine, les « Agents de la bibliothèque pour enfants de Sidi-Alouache », le « Club d'Échecs » de Sakiet, « l'Association locale de conservation du Coran » de Foussaha et jusqu'aux « Participants au 5ème Congrès des chirurgiens en urologie d'Afrique » tenu à Hammam-Sousse ! Les urologues africains font là, en tant que chirurgiens, une belle... opération : il faut dire que leur 5ème Congrès se tenait à Hammam-Sousse, ville natale du Président Ben Ali, où ils ont certainement, comme on dit chez nous, circoncis le problème ! Faut-il ajouter « le Syndicat sectoriel de la culture des pommes de terre » à Ras-Jbel, ou la « cellule des hommes d'affaires » à... Paris (peut-être les Affariet plutôt ?), ou encore la « cellule de l'Ère Nouvelle » à Jazzi... en Italie ! Ou pour revenir chez nous, « l'Union locale de l'Agriculture et de la Pêche » à Testour !! (la pêche à Testour ? Peut-être la pêche en eaux troubles..., ou alors il ne faudrait pas oublier la cellule des gardiens de la plage... à Kairouan !).

- Ettajdid, mal-aimé de la presse ? Après la résolution émanant du Conseil national du Mouvement Ettajdid qui a exprimé un peu le « nouveau cours » de ce Mouvement depuis son dernier Congrès au mois de mai dernier, la réaction ne s'est pas fait attendre. Primo, un boycott total de la presse, si l'on exclut quelques lignes extrêmement générales (notamment dans Le Temps). Secundo, une réaction « officieuse », par les moyens habituels, c'est-à-dire un article tout prêt et non signé, dont on commence à connaître l'origine. Cette fois, c'est dans le quotidien Ech-Chourouk du 17 octobre. Et c'est une véritable déclaration de guerre, sous le couvert d'une très violente diatribe contre Mohamed Harmel, accusé de réagir subjectivement suite... à son éviction de la présidence de la Commission parlementaire sur l'Immunité parlementaire ! C'est en réalité le nouveau cours de Ettajdid que le pouvoir n'arrive pas à admettre : repositionnement du Mouvement sur le terrain d'une opposition plus affirmée, participation plus active contre la répression et pour les libertés, recherche de rapprochement et de coopération avec d'autres forces démocratiques et progressistes etc. Le RCD est ainsi fait : il n'accepte que les « oppositions de sa Majesté », le pluralisme (décor...).

- Réapparition de publications de l'opposition. El Maoukef, organe du « Forum El Maoukef » réapparaît après de nombreuses semaines de repos... et de réflexion. Il reparaît avec un nouveau comité de rédaction désigné par le « Conseil du Forum El Maoukef ». Ce Comité est composé de Mohamed Kilani (indépendant), directeur de la rédaction, Rachid Khechana (PDP), rédacteur en Chef, Salah Zeghidi (indépendant), Belgacem Hassen (PDP), Abdellatif Fourati, Slahedine Jourchi (indépendant) et comme secrétaire de rédaction Amor Majeri (PDP). Attarik El Jadid reparaît après un silence de 5 mois. La parution sera mensuelle, dans un premier temps, dit-on dans les milieux dirigeants de Ettajdid. À retenir dans cette publication une table ronde sur 2004 avec Mahmoud Ben Romdhane, Mohamed Mahfoudh, Abou Yaâreb El Merzougui, Ahmed Brahim, Sadok Belaîd et Abdellatif Fourati. À noter, le choix du bilinguisme (18 pages en Français, 42 en Arabe).

- Deux quotidiens algériens El Watan et Liberté ont publié fin octobre une information selon laquelle un camion de transport de troupes de l'armée tunisienne a sauté le jeudi 26 octobre près de la localité de Om-Alia, en territoire tunisien, sur la route menant à Tebessa en Algérie. Trois soldats ont été tués et plusieurs autres ont été grièvement atteints. Les sources algériennes accusent les terroristes intégristes du GSPC d'être les auteurs de l'attentat. Des sources tunisiennes ont affirmé que le camion militaire a en fait heurté une mine datant de la 2ème guerre mondiale... Ces informations n'ont pas été publiées par la presse tunisienne !

- Le Forum démocratique pour les libertés et le travail de Mustapha Ben Jâafar va-t-il être bientôt légalisé par le gouvernement ? C'est ce que certains observateurs sont enclins à penser après la remise au Dr Ben Jâafar du récépissé de dépôt par les services du ministère de l'Intérieur. L'on se rappelle que, au cours des derniers mois et notamment depuis que Mustapha Ben Jâafar a été reçu à Paris au siège du Parti socialiste français par François Hollande, les interventions françaises auprès des autorités tunisiennes se sont multipliées en faveur de la légalisation du « Forum démocratique ».

- Dans le discours (attendu) du Président Ben Ali le 7 novembre, plusieurs mesures ont été annoncées, notamment une révision de la Constitution, une révision du Code électoral etc. Ben Ali n'a pas soulevé l'article 39 de la Constitution dont la révision est pourtant nécessaire à une nouvelle candidature... qui, cependant, ne fait plus de doute. Est-ce du suspense ? Mais quel intérêt, puisque la fin du film est connue d'ores et déjà...

- Hatem Belhaj est chroniqueur au quotidien Le Temps. Ses chroniques quotidiennes sont souvent pertinentes. Pourquoi donc a-t-il cru bon de « commettre » cette chronique du 4 novembre 2001, « Notes en Bloc », dans laquelle, essayant de tout faire pour rejeter tout lien entre terrorisme et Islam, il croit « plus juste » de ramener le terrorisme à sa véritable origine qui est selon lui... française et plus exactement une création de la Révolution française ! (Dans une ascendance surprenante entre la Terreur de Robespierre et le terrorisme contemporain.)

- L'événement du mois d'octobre, le great event pour certains, c'est « l'affaire Kamel Ltaïef ». Suite à la dégradation de sa voiture, en plein jour, devant témoins, dont lui-même, par deux hommes en moto qui l'auraient proprement « mise en morceaux », Kamel Ltaïef a fait des déclarations fracassantes au quotidien Le Monde. Il s'en est pris à Guenzoui, le puissant responsable de la police et à un de ses adjoints. Il a mis en demeure le président Ben Ali de les sanctionner, autrement, lui, Kamel Ltaïef, considérerait Ben Ali comme complice de l'acte de vandalisme. Par ailleurs, il s'est présenté à travers cette interview comme un partisan de la démocratie... et même un sympathisant de la LTDH, puisqu'il situe sa « rupture avec le régime » en rapport avec la tentative de celui-ci de casser la Ligue en 93. Jean-Pierre Tuquoi, qui a recueilli les déclarations de Kamel Ltaïef, ne craint pas le ridicule en parlant de celui-ci comme « d'un adversaire politique du régime ».

Ceci dit, Kamel Ltaïef, un baron du régime qui dénonce la mafia - mais lui-même ne sait-il pas de quoi il parle - a été arrêté et se trouve actuellement en prison. Des poursuites judiciaires ont été engagées contre lui. Les accusations sont : atteinte à l'honneur d'un fonctionnaire, injures, insultes etc. Rappelons que la famille Ltaïef a toujours été très liée à Zine El Abidine Ben Ali, avant et après qu'il devienne chef de l'État en novembre 87. Des relations proches (ils sont originaires de Hammam-Sousse), amicales et d'affaires (commerciales et politiques) ont toujours lié les deux familles... Il fut un temps, pas très lointain, où on disait que nul ne pouvait être ministrable, puis ministre, s'il ne passait pas d'abord par la rue de Beyrouth, dans la zone du Belvédère à Tunis, où se trouve le siège d'une des (très nombreuses) sociétés des frères Ltaïef... Voilà donc Kamel Ltaïef en prison. Qui l'eût cru ? Voilà Kamel Ltaïef s'adressant à la Ligue des Droits de l'Homme ! Celle-ci a décidé de suivre l'affaire, comme une affaire parmi d'autres, mais sans enthousiasme particulier. Kamel Ltaïef n'est rien d'autre aux yeux de la Ligue qu'un citoyen parmi d'autres. Il a droit, à ce titre, à la protection de la loi. Ni plus, ni moins.

- Une première ? Les quotidiens tunisiens ont reproduit un éditorial de l'Express, hebdomadaire français, intitulé « Ben Ali contre Ben Laden ». Ce qui retient l'attention et qui constitue une première, c'est que l'éditorial a été reproduit intégralement. Lisez donc : « Certes, les libertés politiques n'ont pas eu le temps de naître en Tunisie et l'intégrisme y est sévèrement réprimé, mais le régime autoritaire de Ben Ali a besoin de la durée pour créer une véritable assise démocratique, à travers notamment l'éducation... » Il s'agit d'une première : rapporter le jugement de journaux traitant le régime de Ben Ali de régime autoritaire... Aussi, ne comprend-on pas pourquoi sur un site Internet il est affirmé que la phrase « critique » a été tout simplement supprimée. Non, elle est parue intégralement dans les quotidiens tunisiens !

- Mounir El Béji, leader du Parti Social Libéral (PSL) l'un des partis légaux de Tunisie, ne fait pas beaucoup parler de lui. Mais quand il le fait, il y va fort, très fort même. Il a ainsi annoncé il y a plusieurs semaines sa candidature aux élections présidentielles de 2004, tout en soutenant l'amendement de l'Article 39 de la Constitution pour permettre au président Ben Ali de se représenter. Mounir El Béji a publié un numéro spécial de son journal El Oufok en octobre. Sur quatre pages, une est consacrée entièrement à une biographie de Mounir El Béji. On apprend ainsi qu'il a déclaré lui-même, de lui-même : « J'ai commencé à faire des discours dans les lycées et les écoles quand j'avais cinq ans... ». Nous avons bien lu : à l'âge de cinq ans, Mounir El Béji faisait des discours dans les lycées !!!

- Abderrahmane Tlili, Secrétaire général de l'Union démocratique (UDU) l'un des six partis de l'opposition légale en Tunisie, a exprimé sa satisfaction quant aux décisions annoncées par le chef de l'État le 7 novembre 2001. « Ces mesures portent également la confirmation de la volonté du chef de l'État de consolider le changement et la réforme et de conduire le pays vers la démocratie pluraliste... » a-t-il déclaré dans une interview à l'hebdomadaire Réalités. À partir de là, Abderrahmane Tlili propose curieusement un « Front Républicain », dans lequel figurerait bien entendu le RCD et le gouvernement comme partenaires essentiels... Généralement, le « Front Républicain » constitue une réponse de mobilisation des républicains face à des forces qui mettent en danger la République. Alors, en Tunisie aujourd'hui un « Front Républicain » contre quels adversaires de la République ?

 

Salah Zeghidi
Syndicaliste. Tunis.
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