Alternatives citoyennes Numéro 5 - 23 novembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Un Sénat, pour quoi faire ?

 

Fidèle à ce qui est désormais une tradition, le président de la République a fêté, le 7 novembre dernier, le quatorzième anniversaire de son accession au pouvoir en prononçant un long discours où il a dressé un bilan exhaustif des activités passées et il a annoncé plusieurs réformes pour l'avenir. Comme à l'accoutumée, les journaux du lendemain ont publié des éditoriaux dithyrambiques et consacré leurs grosses manchettes à mettre en valeur l'importance des promesses faites la veille. On a qualifié les projets annoncés de « Mesures audacieuses », « Mesures avant-gardistes », « Réforme fondamentale », « Saut qualitatif » et même, « Deuxième République ». Les mots gardent-ils leur sens du Larousse ? Il serait utile de le vérifier.

Les plus importantes réformes annoncées, celles qui justifient aux yeux des commentateurs tous ces qualificatifs, portent sur les nouvelles garanties constitutionnelles des libertés publiques et la création d'une deuxième chambre au Parlement. Pour les libertés publiques, les mesures annoncées ne sont pas négligeables en elles-mêmes. Certaines d'entre elles pourraient devenir de très bonnes mesures au prix de quelques détails. C'est le contexte général qui fait douter de leur intérêt. La déclaration du 7 novembre 1987 était bonne ; les lois sur la garde à vue ou sur les partis politiques qui l'ont suivie constituaient un pas positif ; l'adhésion à la Convention internationale contre la torture, sans aucune réserve, a été une très bonne décision, saluée en son temps par les démocrates.

Hélas, ces textes, et beaucoup d'autres du même genre, n'ont pas empêché les arrestations pour des durées interminables, parfois suivies de mort sous la torture comme l'a constaté la Commission des droits de l'homme de l'ONU, ni les pratiques de voies de fait sur des personnes indésirables, ni les déclarations de constitution d'association, de parti politique ou de publication de journaux auxquelles on a refusé le récépissé ou auxquelles on s'est opposé sans raison valable. Les Tunisiens en arrivent à ne plus prêter attention à l'amélioration de la règle de droit, qui ne sert à rien tant qu'elle n'est pas appliquée. Plus que jamais, les faits comptent beaucoup plus que le droit.

La deuxième réforme glorifiée par les hauts parleurs de « l'information propagande » au point qu'ils parlent de deuxième République est le projet de création d'une autre chambre au Parlement qui pourrait s'appeler Sénat.

Ce qui importe pour un Parlement, c'est qu'il soit représentatif ; que ses membres soient élus suite à une bataille électorale digne de ce nom ; que le décompte des voix soit transparent et honnête. Tant que cette réalité fondamentale n'aura pas changé, il ne servira à rien d'ajouter une autre chambre.

Par ailleurs, les constitutionnalistes savent que le bicamérisme est en plein déclin dans le monde entier. La Chambre des Lords en Grande-Bretagne ne s'explique que par des raisons historiques. Elle perd son importance un peu plus chaque jour. Tony Blair, après l'avoir affaiblie en 1999, s'apprête à lui assener un autre coup. Les travaillistes, depuis Attlee en 1946, ne portent pas cette chambre aristocratique dans leur coeur. D'aucuns pensent qu'elle n'a plus sa raison d'être. Elle est condamnée, si elle se maintient, à être réduite à une institution d'apparat.

Dans les États fédéraux, le Sénat se justifie par le fait que les États fédérés de petite taille qui y sont représentés sur un pied d'égalité avec les autres États y trouvent une assurance qu'ils ne seront pas écrasés. Aux États-Unis par exemple, chaque État est représenté par deux sénateurs ; tandis que, à la chambre des représentants, les États envoient un nombre de députés proportionnel à leurs importances démographiques respectives. Ainsi, au Congrès, le peuple américain est représenté à la Chambre des représentants et les États fédérés au Sénat. La Suisse a un système semblable avec une appellation et des détails différents. Il en était de même dans l'ex-URSS.

Ailleurs, les deuxièmes chambres servent à des représentations de collectivités ou de différents secteurs économiques et sociaux. Généralement, ce sont des chambres de réflexion qui invitent à la modération et évitent la précipitation. La plupart du temps, ces chambres n'ont pas un grand pouvoir et leur intérêt est donc réduit.

En Tunisie, nous avons le Conseil économique et social qui joue le rôle de représentation des secteurs économiques et sociaux et qui exprime des avis pour les projets de loi importants. On peut le renforcer, le consulter plus fréquemment et rendre ses débats et ses avis publics. Je ne vois pas l'intérêt de lui ajouter un Sénat qui risque d'introduire une lourdeur gênante tout en grevant le budget de l'État de dépenses inutiles.

 

Mohamed Charfi
Ancien ministre. Tunis.
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