e Dr Mustapha Ben Jaafar rentre d'une tournée dans plusieurs villes européennes, notamment Paris
et Berlin, où il a pris part à la rencontre des chefs des partis socialistes européens. Pour ces
derniers, auprès de qui il est loin d'être inconnu - ayant tissé avec eux quelques amitiés depuis
qu'il était au MDS -, cette reconnaissance jointe à l'exaspération de ces partenaires européens de
ne pas voir s'affirmer en Tunisie le processus démocratique, en dépit de promesses récurrentes,
mais sans grande suite, prépare, selon son président, le Forum démocratique à être admis comme
membre de l'Internationale socialiste.
« Le processus est déjà engagé avec le Parti socialiste français et va s'étendre aux autres
partis socialistes européens », nous précise-t-il. Qu'adviendra-t-il alors du RCD qui siège à
l'Internationale socialiste ? « Je pense que l'Internationale socialiste va se pencher sur le
cas de la Tunisie et du parti au pouvoir qui ne répond pas aux normes de cette institution
internationale en termes de démocratisation, de respect du citoyen, des libertés etc. »
Sans doute, des pressions seront-elles faites sur le RCD, afin qu'il revoie sa modalité de
gestion des affaires publiques et il sera interpellé dans ce sens par ses partenaires. Mais il
n'est pas question d' « exclusion ». La balle est désormais dans le camp du RCD qui ne peut pas s'enfermer plus longtemps dans l'attitude qui a été la sienne jusqu'ici.
Ce serait, en tout état de cause, et c'est déjà, un avantage politique important pour le Forum,
dont la légalisation se fait attendre depuis plusieurs années, en dépit de la multiplicité des
démarches entreprises auprès des autorités compétentes pour qu'elles admettent le dépôt du
dossier de demande de reconnaissance. C'est dire donc à quel point peut être surprenante
l'invitation de Slaheddine Maaoui (Le Monde du 26 avril) au Forum à se déclarer et à demander
une autorisation ! Du reste, Mustapha Ben Jaafar ne la relève que comme une de ces déclarations
creuses, dont les pouvoirs publics ont la bouche pleine, sans qu'elles soient suivies du moindre
effet ; « cependant, s'il y a une volonté politique de régulariser la situation, alors on peut
envisager les modalités de négociation formelle et informelle de le faire », concède-t-il.
De toutes façons, la question de la reconnaissance du Forum ne peut pas être isolée de l'ensemble
des revendications politiques et citoyennes sur lesquelles les autorités sont interpellées.
« Nous demeurons vigilants sur tout ce qui sera mis en pratique d'une manière concrète, car
depuis 12 ans, nous avons l'habitude du décalage entre les discours et les faits, et cela date de
la Déclaration du 7 novembre ! »
« Il y a des décisions prioritaires : vider les prisons des prisonniers d'opinion ; libérer
réellement la presse, c'est-à-dire laisser paraître les journaux qui en ont fait la demande, car
ceux qui existent ont pris un mauvais pli et leurs directeurs ne croient même pas à une réalité
du changement : des journaux neufs auraient un effet d'entraînement.
Enfin, il faut reconnaître les formations non reconnues en attendant que les lois actuelles
soient modifiées, car elles freinent l'exercice des libertés. Alors, un débat national pourrait
vraiment s'engager sur l'organisation politique du pays avec probablement une réforme de la
Constitution et puis, il faudra s'interroger sur la construction maghrébine, sur nos relations
avec l'Union européenne etc., sur tout notre devenir, mais il faut que cela se fasse avec une
société qui reprenne la parole. »
Et si, quelquefois, se manifestent des signes de détente, ils ne traduisent pas de volonté politique
dans la durée. Celle-ci doit être amenée à s'exprimer par la construction d'une alternative
suffisamment structurée, autour de revendications fortes et fédératrices. Un noyau actif y
travaille depuis quelques années - Mustapha Ben Jaafar rappelle quelques étapes cruciales depuis
1991 - et ce qu'il y a de neuf, c'est l'implication de nouvelles franges de la société civile dans
le processus.
Parmi les forces qui ont resurgi, les islamistes, dont l'existence a jusqu'ici servi d'alibi à
une politique sécuritaire et d'exclusion de tout partage du pouvoir, politique tout à fait
discréditée aujourd'hui.
Face aux appréhensions devant un processus enclenché qui n'est jamais parfaitement maîtrisable et
dont certains acteurs démocratiques redoutent qu'il leur échappe au profit des islamistes, le Dr Ben
Jaafar manifeste plus de confiance à aller de l'avant : « Nous avons intérêt à nous mobiliser
pour construire une alternative. Nous y gagnerons, parce que cela nous aidera à relativiser un
danger amplifié par certains, amoindri par d'autres. Mais je refuse, pour ma part, à ce qu'on
agite à nouveau, comme il y a 10 ans, un épouvantail qui n'a servi qu'à cimenter un pouvoir
autoritaire et dont les démocrates ont fait les frais. Et puis, notre pays a des atouts, c'est un
pays ouvert, avec des acquis. Je ne m'inquiète pas, si nous nous entendons pour définir et
défendre des règles du jeu démocratique qui mettraient sur la touche tous ceux qui ne le
respecteraient pas et évolueraient en décalage avec nos acquis. Mais, l'essentiel, c'est de nous
construire une identité forte et suffisamment mobilisatrice autour de ces nouveaux rapports
politiques qu'impose la démocratie. Enfin, même si on ne peut pas faire de démocratie sans risque, la seule question qui se pose
aujourd'hui à nous est celle de la liberté ».