La pratique militaire entretient-elle une culture de la mort ?
Le trait de l'humoriste Dilem vaut tous les commentaires sur la fin
de partie qui se joue en Algérie. Dilem ne nous en voudra pas de
reproduire sans avoir eu le temps de prendre son autorisation une des
caricatures extraites de l'album « Boutef Président, encore plus
explosif que la situation ».
ien que d'inégale ampleur, les tortures, reprochées au général Aussaresses et au général Nizar, toutes conduites au nom du patriotisme, signent la faillite d'un ordre militaire mortifère.
Le livre obscène du général Aussaresses exhume la barbarie immonde à laquelle peut conduire une pratique militaire déguisée sous le patriotisme. La prescription met à l'abri de la justice, mais ne disculpe pas. Les témoignages complémentaires étendent l'horreur de la dénonciation globale d'une colonisation française si mutilante qu'aucune forme de dédouanement, pas plus que de repentance, ne saurait absoudre. Toutefois, poursuivre les tortionnaires d'hier donne plus de légitimité aux plaintes contre les prédateurs d'aujourd'hui.
C'est cette cohérence qui lève l'accusation d'ingérence portée - entre autres publiquement à Tunis par Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre algérien - contre la justice française, amorçant la poursuite du général Nizar. Une plainte venait, en effet, d'être déposée contre lui pour torture alors que lui-même pavoisait à Paris à la sortie de sa philippique « contre une répression programmée ». Car le comble aujourd'hui, c'est que les généraux tortionnaires se promeuvent écrivains !
Mais d'une guerre à l'autre, la généalogie établit une filiation entre les ennemis d'hier. Certaines pages du général Aussaresses, rapportant quelques horreurs attribuées aux Moujahiddines, rappellent, - hélas douloureusement - les stigmates sanglants imputés aux groupes islamistes armés.
Mais voilà que deux livres, Qui a tué Ben Talha de Yous Nasrullah-Mellah Melina et La sale guerre de Habib Souadia, impliquent de hauts officiers de l'armée algérienne dans certains massacres de ces dix dernières années. Les enquêtes d'Amnesty International semblent devoir confirmer que l'uniforme fut aussi commis à de basses oeuvres et même l'écrivain Yasmina Khadra, ancien officier, a beaucoup de mal à rétablir l'honneur d'une armée, où tant de gradés ont les mains sales.
Inaugurée par la force des choses dans la lutte de libération nationale, cette culture de la mort empêche aujourd'hui, selon le sociologue Lahouari Addi, l'émergence d'une culture de la citoyenneté.
Au-dessus des institutions de l'État et, particulièrement, de la présidence de la République, à laquelle elle laisse peu de marge de manoeuvre et peu de transparence dans la gestion du processus de concorde civile, l'armée se trouve de plus en plus discréditée du fait de ses méthodes de reconduction des privilèges de la nomenclatura.
Bien plus, l'uniforme, tous corps de métier confondus, est aujourd'hui cloué au pilori par une société civile aux aspirations citoyennes. Les femmes qui, en dépit d'un code de la famille obsolète, conquièrent l'espace public, les journalistes qu'un code pénal rigoureux voudrait bâillonner, la jeunesse surtout, qui paie de son sang l'explosion d'aspirations individuelles dans une charge contre tous les appareils, élèvent contre un ordre militaire mortifère, hérité du passé colonial et entretenu sous l'indépendance, leurs revendications citoyennes.
Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
|