Alternatives citoyennes
Numéro 2 - 31 mai 2001
Dossier
Démocratie
Mustapha Ben Jaafar : « la seule question aujourd'hui est celle de la liberté »

 

Le Dr Mustapha Ben Jaafar rentre d'une tournée dans plusieurs villes européennes, notamment Paris et Berlin, où il a pris part à la rencontre des chefs des partis socialistes européens. Pour ces derniers, auprès de qui il est loin d'être inconnu - ayant tissé avec eux quelques amitiés depuis qu'il était au MDS -, cette reconnaissance jointe à l'exaspération de ces partenaires européens de ne pas voir s'affirmer en Tunisie le processus démocratique, en dépit de promesses récurrentes, mais sans grande suite, prépare, selon son président, le Forum démocratique à être admis comme membre de l'Internationale socialiste.

« Le processus est déjà engagé avec le Parti socialiste français et va s'étendre aux autres partis socialistes européens », nous précise-t-il. Qu'adviendra-t-il alors du RCD qui siège à l'Internationale socialiste ? «  Je pense que l'Internationale socialiste va se pencher sur le cas de la Tunisie et du parti au pouvoir qui ne répond pas aux normes de cette institution internationale en termes de démocratisation, de respect du citoyen, des libertés etc. » Sans doute, des pressions seront-elles faites sur le RCD, afin qu'il revoie sa modalité de gestion des affaires publiques et il sera interpellé dans ce sens par ses partenaires. Mais il n'est pas question d' « exclusion ». La balle est désormais dans le camp du RCD qui ne peut pas s'enfermer plus longtemps dans l'attitude qui a été la sienne jusqu'ici.

Ce serait, en tout état de cause, et c'est déjà, un avantage politique important pour le Forum, dont la légalisation se fait attendre depuis plusieurs années, en dépit de la multiplicité des démarches entreprises auprès des autorités compétentes pour qu'elles admettent le dépôt du dossier de demande de reconnaissance. C'est dire donc à quel point peut être surprenante l'invitation de Slaheddine Maaoui (Le Monde du 26 avril) au Forum à se déclarer et à demander une autorisation ! Du reste, Mustapha Ben Jaafar ne la relève que comme une de ces déclarations creuses, dont les pouvoirs publics ont la bouche pleine, sans qu'elles soient suivies du moindre effet ; « cependant, s'il y a une volonté politique de régulariser la situation, alors on peut envisager les modalités de négociation formelle et informelle de le faire », concède-t-il. De toutes façons, la question de la reconnaissance du Forum ne peut pas être isolée de l'ensemble des revendications politiques et citoyennes sur lesquelles les autorités sont interpellées. « Nous demeurons vigilants sur tout ce qui sera mis en pratique d'une manière concrète, car depuis 12 ans, nous avons l'habitude du décalage entre les discours et les faits, et cela date de la Déclaration du 7 novembre ! »

« Il y a des décisions prioritaires : vider les prisons des prisonniers d'opinion ; libérer réellement la presse, c'est-à-dire laisser paraître les journaux qui en ont fait la demande, car ceux qui existent ont pris un mauvais pli et leurs directeurs ne croient même pas à une réalité du changement : des journaux neufs auraient un effet d'entraînement. Enfin, il faut reconnaître les formations non reconnues en attendant que les lois actuelles soient modifiées, car elles freinent l'exercice des libertés. Alors, un débat national pourrait vraiment s'engager sur l'organisation politique du pays avec probablement une réforme de la Constitution et puis, il faudra s'interroger sur la construction maghrébine, sur nos relations avec l'Union européenne etc., sur tout notre devenir, mais il faut que cela se fasse avec une société qui reprenne la parole. »

Et si, quelquefois, se manifestent des signes de détente, ils ne traduisent pas de volonté politique dans la durée. Celle-ci doit être amenée à s'exprimer par la construction d'une alternative suffisamment structurée, autour de revendications fortes et fédératrices. Un noyau actif y travaille depuis quelques années - Mustapha Ben Jaafar rappelle quelques étapes cruciales depuis 1991 - et ce qu'il y a de neuf, c'est l'implication de nouvelles franges de la société civile dans le processus.

Parmi les forces qui ont resurgi, les islamistes, dont l'existence a jusqu'ici servi d'alibi à une politique sécuritaire et d'exclusion de tout partage du pouvoir, politique tout à fait discréditée aujourd'hui. Face aux appréhensions devant un processus enclenché qui n'est jamais parfaitement maîtrisable et dont certains acteurs démocratiques redoutent qu'il leur échappe au profit des islamistes, le Dr Ben Jaafar manifeste plus de confiance à aller de l'avant : « Nous avons intérêt à nous mobiliser pour construire une alternative. Nous y gagnerons, parce que cela nous aidera à relativiser un danger amplifié par certains, amoindri par d'autres. Mais je refuse, pour ma part, à ce qu'on agite à nouveau, comme il y a 10 ans, un épouvantail qui n'a servi qu'à cimenter un pouvoir autoritaire et dont les démocrates ont fait les frais. Et puis, notre pays a des atouts, c'est un pays ouvert, avec des acquis. Je ne m'inquiète pas, si nous nous entendons pour définir et défendre des règles du jeu démocratique qui mettraient sur la touche tous ceux qui ne le respecteraient pas et évolueraient en décalage avec nos acquis. Mais, l'essentiel, c'est de nous construire une identité forte et suffisamment mobilisatrice autour de ces nouveaux rapports politiques qu'impose la démocratie. Enfin, même si on ne peut pas faire de démocratie sans risque, la seule question qui se pose aujourd'hui à nous est celle de la liberté ».

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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