u soir de la clôture du SMSI, vendredi 18 novembre, sur la chaîne de télévision Arte, le ministre
tunisien des affaires étrangères, Abdelwaheb Abdallah, grand censeur devant l'éternel et maître es propagande de
l'État parti, dénonçait en Français facile « une toute petite minorité hostile », dépeinte comme une coalition
d'extrémistes de droite et de gauche, « ainsi qu'il s'en voit ailleurs ».
Hostile ? À qui, à quoi ? Voilà bien un langage qui témoigne d'une conception infra politique de la gestion des
affaires publiques. Car la chefferie clanique et l'oligarchie prébendière, qui s'approprient la direction de
l'État, parasitent la vie publique, thésaurisent le bien de la nation et se donnent comme les parangons du
patriotisme, appréhendent comme une guerre contre elles l'ensemble des initiatives républicaines questionnant la
gouvernance et se posant en alternance.
Ainsi l'opposition qui, en tout autre État de droit serait traitée avec la civilité des usages démocratiques, se
trouve assignée en Tunisie à un régime sécuritaire, le pays étant bouclé comme en état de siège. Derrière le côté
jardin de notre pays, les hôtes du SMSI invités aux grands frais des contribuables, accueillis et raccompagnés avec
des fleurs, ont découvert un sinistre et stupide côté cour : l'organisation d'un sommet citoyen déjoué comme un
complot contre l'État ; son lieu de préparation, l'Institut Goethe, évacué manu militari ; son médiateur,
l'ambassadeur d'Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, surpris au café avec les « insurgés », sommé par la
police de produire ses papiers d'identités !
Dans le registre insensé et contre-productif, pouvait-on faire mieux ?
Eh bien, on le fit : repéré, suivi, escorté, dans un pays quadrillé au millimètre par la police et l'armée, le
journaliste de Libération, Christophe Boltanski - auquel notre journal adresse ici toute sa
sympathie - fut sauvagement agressé. Dans la foulée, d'autres journalistes étrangers ainsi que Robert Ménard,
secrétaire général de RSF, furent victimes eux-mêmes des différentes modalités d'une « expression sous la
répression », thématique d'un panel d'ONG européennes, dans le cadre du SMSI, qui fut menacé d'interdiction...
Quel lamentable fiasco d'une opération de prestige pour le régime du président Ben Ali, qui eût pu être, avec un peu
plus de sens politique, une vraie chance pour la Tunisie !
Car outre la démonstration que notre pays pouvait être une destination technologique compétitive, riche de
compétences et de savoir-faire, ce Sommet aurait pu associer dans une trêve, voire une forme de consensus, nos
gouvernants, nos élites et notre société civile autour des valeurs de progrès et de démocratie, dans un débat
international pour la réduction de la fracture numérique et pour le rééquilibrage de la gouvernance d'Internet.
À l'inverse, nous avons exposé notre déchirure aux gouvernements, aux ONG et aux médias étrangers qui prirent la
mesure de l'imposture, du scandale et de la honte s'abattant, par la responsabilité d'une autorité sans partage,
sur un petit pays pourtant à l'avant-garde du monde arabo-musulman.
Y a-t-il d'ailleurs meilleure illustration de cette décadence que des leaders politiques et associatifs réduits à
entreprendre une grève de la faim, l'arme des désespérés, se mutilant eux-mêmes dans un ultime appel à l'aide ?
C'est alors qu'enfin, les gouvernants américains, européens et finalement français prêtent l'oreille, disent leur
déception, leur inquiétude, leur protestation !
Pauvres élites politiques, amenées à se martyriser ; pauvres jeunes, euphoriques de lever le poing devant une
caméra ; pauvres femmes émancipées, servant d'alibi à un régime musclé ; pauvre société jusqu'ici si éduquée, si
entreprenante et si modernisée, désormais ouvrant des autoroutes de l'information aux cavaliers d'Ennahdha
que cheikh Rached Ghannouchi, grand stratège en sous-main de la grève de la faim et d'une alternance conservatrice
annoncée, lance contre une dictature présumée laïque et contre tous les apôtres du rationalisme, défenseurs de la
Tunisie moderne inaugurée à l'Indépendance.
Responsable de cette dérive vers une régression sociale et culturelle, le pouvoir tunisien prendra-t-il enfin garde
à ce que n'enflent pas les rangs de cette toute petite minorité hostile ?
La délégation du Président du Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales auprès de la
société civile et des mouvements d'opposition, et surtout le rappel (de Damas où il était ambassadeur) de Mhamed
Ali Ganzoui comme Secrétaire d'État en charge de la sûreté nationale, sont-elles des réponses à cette
redoutable éventualité ?