Alternatives citoyennes Numéro 17 - 24 novembre 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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SMSI
Mais qui donc conseille Ben Ali avant le SMSI ?

 

À
la veille de la troisième - et théoriquement dernière - conférence préparatoire du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI), qui se tiendra encore à Genève du 19 au 30 septembre 2005, Alternatives citoyennes s'interroge sur le nettoyage par le vide qui s'est accéléré ces derniers jours en Tunisie. La revue avait repris sa publication le 22 juin 2004, deux jours exactement avant les premiers pas de la phase de Tunis du Sommet, avec la prepcom de Hammamet. Dans notre message de reprise, intitulé « l'épreuve de vérité », nous affirmions « attendre des autorités tunisiennes de la cohérence » et, constatant que « le mode de fonctionnement habituel du pouvoir tunisien est de mettre en avant sa vitrine lustrée avec cet interdit opposé au regard porté sur son arrière-cour », nous disions « attendre que cesse sa schizophrénie, pour que transparence et vérité deviennent la règle ».

Les différentes missions d'enquête sur la situation des droits de l'homme et des libertés en Tunisie, en lien avec le SMSI, ont jusqu'ici laissé la voie à des possibilités de progrès, se refusant à proclamer par avance un boycott du Sommet. Mais voilà que, quelques semaines seulement avant le Sommet, la société civile internationale, de même que les gouvernements et les institutions internationales, se verront dans l'obligation de constater que non seulement les progrès espérés n'ont pas été au rendez-vous, mais que de surcroît, les quelques rares espaces qui demeuraient ont été utilisés pour reculer plus encore. Même les plus mous, les plus incrédules, ou les moins bien informés parmi les participants au SMSI savent maintenant de façon certaine ce qu'il en est, et prendront leurs décisions au cours de cette troisième prepcom et dans les jours précédant le Sommet lui-même. N'y a-t-il donc aucune vision politique, ni même stratégique, en Tunisie pour que cette formidable occasion que constitue le SMSI soit entièrement gâchée ?

4 milliards de nos millimes, voilà ce que le pouvoir va engager pour fleurir et paver le parcours des hôtes de la Tunisie lors du SMSI. Plus soucieux de « re-faire le trottoir sur 15000 m2 » et de planter le décor, attaché à présenter au monde une vitrine proprette du pays, il procède donc en vue de ce Novembre symbiotiquement benaliste et planétaire, à un nettoyage par le vide de tout ce qui ferait désordre.

Dans une conception tout à la fois hygiéniste et sécuritaire de l'espace public, l'autorité unique jette à la poubelle ses récentes promesses d'expression pluraliste et remise au congélateur une vie politique déjà en état d'hibernation. Il commence par les étudiants dont la turbulence pourrait bien ensoleiller la grisaille annoncée en mettant d'office en vacances les universités des rectorats de Tunis et de Nabeul : étrange conception d'un rigoureux travail universitaire !

Il cloue ensuite le bec au syndicat des journalistes dans son obsession de la devise forte du système Ben Ali : « tais-toi quand je parle ». Au milieu de toutes ses salades, il ne serait pas étonnant qu'il ramasse dans son panier tous les décrétés « illégaux » par ses oukases, jetant au cachot dans une même confusion (mentale) les malfaiteurs et les agités de la citoyenneté : une telle répression préventive, très en usage en Afrique à la veille de manifestations internationales, fait très « clean ».

Puis, au sein même du Palais de justice, il met les scellés au siège de la Magistrature autonome : il ne peut y avoir pire symbole.

Il lui reste alors à frapper le coeur battant de la société civile, la Ligue tunisienne des droits de l'homme. On ne commentera pas « l'habillage judiciaire d'une décision politique », selon les termes de Me Mokhtar Trifi, président de la LTDH dont vient d'être différé le Congrès en attendant un examen au fond par la justice d'une affaire « intérieure »(sic) à la Ligue.

On connaît la chanson !

Les grandes organisations des droits de l'homme et de la presse, du barreau et de la magistrature, ne s'y sont pas trompées, qui ont apporté tout leur soutien à la LTDH, première institution arabo-africaine du genre.

Autour d'elle, pour qu'« elle tienne bon » selon l'encouragement du président de la FIDH, M. Sidiki Kaba, toutes les composantes de la société civile tunisienne ont fait bloc, quelles que soient leurs approches ou leurs obédiences. Bien entendu, la rédaction d'Alternatives citoyennes participe aussi de cette solidarité, vécue comme un impératif catégorique, toute discussion, toue division, cessante.

La Ligue, notre patrimoine à tous, est le commun combat du cercle de résistants résolus. Cependant, l'épreuve de la Ligue n'a atteint ni les élites démotivées, ni les corps de métiers occupés à leurs projets, ni le citoyen lambda dans les affres de la rentrée. Elle n'a pas eu de grands échos dans les médias internationaux, pas plus qu'elle n'a suscité de réaction politique à l'étranger car c'est à peine si la Tunisie existe dans les questions actuelles de géopolitique, tout juste effleurée par la menace du GSPC .

L'évolution bruyante de la Libye, la Mauritanie, de l'Algérie et du Maroc engloutissent sous leurs intéressantes perspectives - au regard des grandes puissances - notre petit pays assoupi, banal, sans histoires ni grandes passions. Aussi la société civile tunisienne, encore peu structurée et autodéfinie, devrait prendre garde à ne pas trop anticiper sur le crépuscule d'une autorité flageolante mais qui tient encore debout, avec un bilan économique apprécié par les organisations internationales.

Voilà que même le PNUD décourage toute attente des démocrates, en la personne de son complaisant représentant à Tunis, M. Francis Dubois, qui rappelait le jour du huis-clos solidaire autour de la LTDH (le 7 septembre), les remarquables indicateurs du développement humain de la Tunisie et ses appréciables droits sociaux (à l'aune de l'Afrique !).

Qualifiée de « bibine et de pipi de chat », cette rhétorique habituelle est démontée pièce par pièce par des économistes et des sociologues de terrain, qui opposent le réel à la supercherie des moyennes statistiques. Ils objectent à la béatitude ambiante l'effondrement progressif des assises de notre économie. Ils soulignent que porteuse d'incidences négatives, la crise de l'énergie fonctionne surtout comme un révélateur du mauvais état de nos finances publiques, avertissant même qu'on pourrait s'acheminer tranquillement vers une banqueroute. Au-delà de l'ensemble d'une mauvaise gouvernance, ils pointent l'endettement des ménages et de l'État, tout un mode de vie « à crédit », un semblant de prospérité et de bien-être dont la facture sera lourde à terme.

Autour d'un président qu'on dit malade, un système d'État fatigué et ramené aux proches et aux caciques attentifs au seul retentissement immédiat, soigne la vitrine et tire sa légitimité de l'indulgence de partenaires européens et américains qui ferment les yeux sur une tyrannie molle, encore consentie par sa population très consumériste et montant la garde contre le jihadisme: elle tourne encore la petite Tunisie !

Aux hôtes du SMSI, on ouvrira un parcours d'allée parfumée dans une capitale mondiale promue « ville jardin ». Mais quand se seront tues les trompettes de la renommée et que les fleurs se seront fanées, c'est à la poubelle de l'histoire que finira un pouvoir dépassé et qui n'aura rien vu venir à force de traiter d'antipatriotes les voix qui avertissent, telles celle du juge Mokhtar Yahyaoui, que « la Tunisie est un pays sinistré ». « Chacun trahit son pays à sa manière » proclamait avant de mourir un résistant français : qui, au juste, trahit aujourd'hui la Tunisie ?

Le SMSI aura bien du mal à redorer les oripeaux du régime. Avec le dernier exemple de la Mauritanie, cette question vient à l'esprit : qui donc conseille Ben Ali et le pousse ainsi vers la sortie ?

 

La rédaction
(Article diffusé le 16 septembre 2005)
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