Alternatives citoyennes Numéro 14 - 31 janvier 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Que valent des élections sous occupation ?
Une Palestine pacifiée et libérale pour une zone de libre-échange en 2010

 

L e vainqueur programmé des élections palestiniennes fait face à un double défi qu'il résume lui-même en ces deux mots-clefs de sa campagne : sécurité et prospérité. Car la stabilisation de la Palestine, que ce nouveau président bourgeois libéral commence par le déploiement d'une muraille vivante de soldats palestiniens en bouclier pour Israël, est la condition même de sa future prospérité promise dans le cas d'une zone de libre-échange proche-orientale prévue pour 2010. C'est le même objectif final que préparent des élections irakiennes sous occupation américaine (faisant pendant à l'occupation israélienne de la Palestine, bien que le cas de figure ne relève pas d'une même histoire). La démocratisation de l'Irak au pas de charge devrait assurer le redéploiement du capital financier au Moyen-Orient et l'essort du libéralisme sur l'un des sous-sols les plus riches au monde. Pour l'heure, cette démocratisation commence par une extension de la décapitation.

[NDLR. Au moment où nous mettons en ligne, on confirme une rencontre le 8 février entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon après laquelle l'armée israélienne devrait se redéployer en Cisjordanie (hors Ramallah) et « libérer » la bande de Gaza, sécurisée à l'avenir par la police palestinienne... Le processus de « paix » reprend son cours.]

« Les palestiniens méritent notre respect, notre estime et notre admiration », cette première déclaration du président Mahmoud Abbas à l'annonce de sa victoire, aux termes d'une journée électorale maîtrisée, fera au moins l'unanimité, si pour le reste, tout le reste, les opinions divergent. Alors qu'on s'apprête déjà à une conférence pour les réformes des institutions palestiniennes (les 1er et 2 mars à Londres), chacun relativise son jugement, loin de l'euphorie ou du dénigrement. Car, présenté comme un homme de paix, le candidat du Fatah et tout autant celui des américains ainsi que de l'Union européenne (après qu'il se fut mis d'accord avec le président Chirac à Paris, le débranchement de l'assistance vitale à Arafat ayant suivi), Mahmoud Abbas est seulement traité par Israël comme « un agent de sécurité ». Sommé de démilitariser les groupes armés, il se déploie en négociations avec la résistance islamiste qui marque les lignes rouges de la coopération avec lui. Jusqu'à présent une trêve n'est pas encore conclue.

De fait, le Hamas et le Djihad islamique considèrent que ces élections sous occupation qu'ils ont boycottées n'ont pas permis de mettre en compétition loyale d'autres expressions politiques de la société palestinienne. Certes, il y a eu d'autres candidats dont Mustapha Barghouti, soutenu par les indépendants et qui a recueilli près de 20% des suffrages. Mais un autre Barghouti, Marwan, qui a du fond de sa geôle israélienne fini par retirer sa propre candidature, n'a pas dit son dernier mot. Sans doute, entre lui et Mahmoud Abbas, un contrat a-t-il été passé, mais Marwan Barghouti, qui se porte en appel de sa condamnation à une centaine d'années de prison, demeure le challenger charismatique, candidat des masses, des militants, des malheureux, le porte-drapeau de la résistance palestinienne, délégitimant de fait son concurrent élu.

Aussi, Mahmoud Abbas n'assurera-t-il qu'une forme de transition. Il a 4 ans pour relever de nombreux défis et sera dès le 17 juillet 2005 flanqué d'un Parlement où probablement l'opposition islamiste ne lui ménagera pas les revers. Épreuve difficile, une vraie gageure que cette animation d'un laboratoire institutionnel démocratique dans un environnement arabe archaïque et contre l'alternative politique islamiste qui entend s'imposer par tous les canaux, fussent-ils ceux du terrorisme, en tout cas ceux de la résistance armée qu'au sein du Fatah et jusque dans le nouveau gouvernement palestinien, on considère comme l'autre option valide, la dernière carte des Palestiniens.

Israël, de son côté, continue d'enfermer la minuscule autorité palestinienne dans son cercle de représailles. Dès qu'un cocktail explosif tente de dégager une brèche dans l'enfermement (car c'est là, avant toute chose, la signification de l'attentat-suicide), l'État sioniste conforte le blocus et gèle tout dialogue. Les Palestiniens, qui ont fini par se résoudre à 22% de la terre ancestrale, la voient ceinte d'un mur, rongée de colonies. Une soixantaine de petites villes et de bourgs sont minés de 140 colonies qui pompent 75% des réserves aquifères des Palestiniens et barrent toutes les routes de check-points. Dans le détail de la vie quotidienne, tous les observateurs, dont le chef de la mission européenne pour les élections, Michel Rocard, rapportent la honte jetée par les colons sur leurs voisins palestiniens.

Mais bien sūr, c'est l'accès au travail, à l'élection, à la santé, à l'approvisionnement qui fait problème. Selon le plus récent rapport d'ATTAC, au bout de 2 ans d'Intifadha, le chômage des Palestiniens a été porté à plus de 60%, chiffre que le FMI réduit de moitié, à une conférence de la Banque Mondiale à Dubaï en 2003. En dehors de ce chômage de masse, la destruction de l'infrastructure, celle de milliers de maisons, le déracinement de milliers de pieds d'oliviers et citronniers, l'expropriation de 20 000m2, soit 2 hectares, de terres arables à des fins militaires ou de colonisation, la chute du commerce pour 90% des exportations palestiniennes, tout concourt à une paupérisation grandissante des Palestiniens dont le revenu mensuel moyen a chuté de moitié (322 euros).

Le FMI pourtant nuance beaucoup les rapports alarmistes, y compris ceux de l'ONU faisant état de graves dommages de santé et de sous-alimentation. L'institution internationale préfère rappeler l'aide internationale et souligner la corruption, particulièrement du fait de l'establishment politique qui dilapiderait l'argent public. Au moment de la mort d'Arafat est ressorti un rapport en date de 2003 accusant l'ancien leader d'un détournement de 900 millions de dollars, réinvestis dans des entreprises patrimoniales ou ayant filé dans des banques étrangères. Rapporté par Michel Rocard, un audit lancé par le nouveau ministre des Finances devrait faire grand bruit. C'est en tout état de cause cette économie moribonde à redresser qui est le principal challenge de Mahmoud Abbas, au moment où se projette pour 2010 une zone de libre-échange autour d'Israël et incluant l'Égypte, la Jordanie, et d'ici là, peut-être le Liban, la Syrie et l'Irak pacifié.

Car l'autre noeud de ces élections sous occupation, c'est aussi la stabilisation de l'Irak, au coeur d'un énorme marché moyen-oriental. Le redéploiement du capitalisme financier dans cette zone, l'extérieur du libéralisme au Proche et Moyen-Orient, commandent au moins un semblant de démocratisation. Mahmoud Abbas en est l'un des médiateurs. Bourgeois libéral, préférant le costume civil au treillis, il est appelé à remettre de l'ordre dans la maison Palestine pour que les investisseurs étrangers (dont les Israéliens) et les richissimes patrons de la diaspora palestinienne exilés en Europe et aux USA, ou dans les Émirats, puissent vaquer à leurs affaires : en plein coeur de Ramallah, un immense shopping center américanise les fantasmes de la jeunesse et s'offre en emblème du business, première marque de quelques success stories d'entrepreneurs palestiniens.

Voilà à quoi servent aussi des élections sous occupation. C'est, pour Israël comme pour une Palestine embourgeoisée et libérale, un pari gagnant-gagnant. Mais si Israël rechigne encore à jeter du lest et continue ses chicanes, faisant feu des dernières explosions de ressentiment, c'est que jusqu'au bout l'État hébreu essaiera de conquérir plus, toujours plus, mordant davantage de la Palestine, dans un expansionnisme que lui aura ouvert la mauvaise conscience occidentale.

 

C. Fourati
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