es composantes de la société civile tunisienne indépendante, associations, syndicats, journalistes, universitaires,
militants individuels, mais aussi des officiels ou assimilés, ont reçu coup sur coup en ce mois de janvier 2005 des
observateurs internationaux. Ils se sont rendus en Tunisie dans le cadre de deux missions d'observations, en lien
avec le Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI).
La première mission a été organisée par l'Échange international de la liberté d'expression (International
Freedom of Expression Exchange ou IFEX), un réseau de plus de 60 organisations, principalement de défense de
la liberté de la presse et de l'édition. Elle s'est déroulée du 14 au 19 janvier 2005. 8 personnes la composaient,
dont un consultant tunisien, et représentaient le « groupe de surveillance de la Tunisie », formé par l'IFEX
en vue du SMSI. Certains membres de l'IFEX font partie du caucus médias du SMSI. Cette première mission a déjà
publié un communiqué de presse, avec des premières conclusions confirmant qu'il y a de « sérieuses raisons de
s'inquiéter » de la situation actuelle de la liberté d'expression et des libertés civiles dans le pays, notamment
de graves restrictions à la liberté de la presse, des médias, de l'édition et de l'Internet.
La deuxième mission a été organisée par trois organisations agissant au niveau international : la Fédération
internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH, bien connue des ONG indépendantes tunisiennes mais aussi des
officiels tunisiens et de leurs proches, bien qu'appréciée différemment par les premières et les seconds...) ;
l'organisation canadienne Droits et Démocratie (plus exactement le Centre international des droits de la personne
et du développement démocratique, une organisation créée par le Parlement canadien) et l'Organisation mondiale
contre la torture (OMCT, basée à Genève et bien connue également de la Tunisie). Ces trois organisations sont
membres du caucus des droits de l'homme, qui soutient cette mission et a contribué à son organisation, à
la demande d'un autre de ses membres, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH). En effet, cette demande
avait été exprimée publiquement par Souhayr Belhassen, vice-présidente de la LTDH, lors de la conférence de
presse organisée par le caucus pendant la première phase du SMSI, en décembre 2003 à Genève. Cette mission s'est
déroulée du 25 au 28 janvier 2005.
Chacune des deux missions présentera ses conclusions détaillées lors de la prochaine PrepCom de Genève, et assurera
un suivi ultérieurement.
Bien que coordonnant évidemment leurs travaux, les deux missions conservent chacune ses spécificités. La première
spécificité réside dans la personnalité des délégués. Si la mission IFEX était essentiellement composée de
représentants des organisations membres du réseau, c'est-à-dire principalement des représentants de la presse et de
l'édition, la mission FIDH a choisi de diversifier ses délégués. En plus du représentant de la FIDH et de celui du
syndicat de la presse marocaine, cette mission comptait Jean-Louis Roy, président de Droits et Démocratie, et
ancien diplomate, et Deborah Hurley, professeur à l'Université de Harvard, et auteur du rapport intitulé
« L'étoile polaire : les droits humains dans la société de l'information », présenté à la PrepCom de
septembre 2003 à Genève au cours d'une manifestation publique organisée par le caucus des droits de l'homme. Ce
rapport, existant en Français, Anglais et Arabe, a été largement diffusé ensuite, notamment en Tunisie par la LTDH.
La mission FIDH avait demandé des rendez-vous à des responsables de très haut niveau. Celui avec le ministre chargé
des technologies de la communication était confirmé, mais, au dernier moment, les délégués ont dû déplorer son
absence, due semble-t-il à sa participation à la Conférence régionale africaine pour le SMSI, à Accra au Ghana.
Les travaux de cette conférence ne commencent que début février, mais la route de Tunis à Accra est sans doute bien longue...
Cette différence de composition des missions s'explique par les objectifs complémentaires assignés à chacune
d'entre elle. La mission IFEX s'intéresse naturellement en premier lieu, mais non exclusivement, à la liberté
d'expression et à la liberté de la presse. L'objectif de la mission FIDH est plus large, puisqu'elle vise à
produire un état des lieux de la situation en Tunisie, dans le but de fournir à tous les participants au
SMSI (gouvernements, secteur privé, société civile, organisations internationales) un outil d'évaluation du
degré de développement d'une société de l'information basée sur le respect des droits de l'homme en Tunisie.
Il était donc demandé aux délégués de s'attacher particulièrement : d'une part au caractère indépendant
et objectif de la production de cet outil d'évaluation, conformément aux souhaits des organisateurs de la
mission ; d'autre part à une conception globale des droits de l'homme respectant leur caractère universel
et indivisible, dans un contexte d'État de droit garantissant leur application effective. Il s'agit donc, dans la
lignée des positions du caucus des droits de l'homme, de considérer tout autant les droits civils et politiques
que les droits économiques, sociaux et culturels comme critères pertinents pour l'évaluation.
Sans aucunement préjuger de la position que chacun des participants au processus du SMSI
(gouvernements, secteur privé, société civile
internationale, organisations internationales) prendra en novembre 2005, à la veille du Sommet lui-même,
ces deux missions contribueront donc, chacune à sa manière, à fournir matière à se déterminer en toute connaissance
de cause, et à assumer ses choix.
Ces missions étaient apparemment bien attendues, notamment par l'Agence tunisienne de communication extérieure
(ATCE), qui leur a obligeamment fourni un dossier répondant point par point (par avance et sans même qu'il soit
demandé !) à toutes les
questions qu'elles pourraient se poser. L'ATCE fait son travail, il n'y a aucun doute...
Mais il y a eu également une troisième mission, dont La Presse s'est abondamment fait l'écho dans son
édition du samedi 22 janvier 2005 (les deux autres missions n'ont pas eu droit à tant d'égard). Il s'agit d'une
mission conduite par un groupe d'éditeurs de journaux américains, qui a trouvé que « le modèle de
développement tunisien [était] un exemple de réussite » et que « ce [qu'ils ont] vu en Tunisie en
matière d'éducation, de croissance économique, de liberté, de progrès des femmes est un exemple pour le monde ».
On connaît la chanson : mission et contre-mission...
C'est exactement la raison pour laquelle la mission FIDH est d'autant plus cruciale qu'elle traite de l'ensemble
de ces questions, et non uniquement de la liberté d'expression. Car les droits de l'homme sont indivisibles et
indissociables, nous refusons de choisir entre être libre ou manger et d'opérer une hiérarchie entre les droits de
l'homme.