Alternatives citoyennes Numéro 14 - 31 janvier 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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SMSI
Réflexions sur le SMSI à la veille de la PrepCom de Genève

 

L a deuxième réunion préparatoire (Prepcom2) du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) se tiendra à Genève du 18 au 25 février 2005, et il faut espérer que les organisateurs sauront éviter les dérapages qui ont marqué le déroulement de la première phase du SMSI à Genève de décembre 2003 et surtout la Prepcom1 de Hammamet de juin 2004 [NDLR. Voir le dossier consacré à cette PrepCom dans le numéro 9 d'Alternatives citoyennes]. Ces dérapages ont été pour l'essentiel le fait des nervis et des thuriféraires de l'État-RCD. Ce numéro d'Alternatives Citoyennes consacre un dossier à cette importante réunion et j'ai jugé utile d'y contribuer par les réflexions suivantes.

Pour commencer, « En route pour le SMSI de Tunis 2005 » est la formule-slogan de la propagande tunisienne. Le parcours est jalonné par une multitude d'initiatives budgétivores (billets d'avion, hôtels, interprètes, etc.) sur des thèmes « techniques », « économiques » et « commerciaux », à bien des égards redondants et « bidonnants ». Pour les connaisseurs, cela n'a rien d'impressionnant et le bilan concret de cette quête de légitimation est largement surévalué. Il en va tout autrement des conférences régionales. Celles-ci font partie intégrante du processus du SMSI et elles devraient, en principe, avoir une portée autrement plus grande que les symposium-gadgets organisés au gré de l'inspiration des lobbies politiques et affairistes. Après la première Conférence régionale (Asie de l'Ouest) pour la phase 2 du SMSI de 2005, qui s'est tenue à Damas en Syrie les 22 et 23 novembre 2004 (voir l'article d'Ahmed Galai dans ce même dossier), a lieu du 2 au 4 février à Accra (Ghana) la deuxième de ces Conférences, cette fois pour l'Afrique. La Tunisie y a déjà dépêché une importante délégation propagandiste qui a délibérément ignoré les associations tunisiennes indépendantes et les ONG des droits humains. Bien entendu, les conditions d'organisation et d'accréditation de cette Conférence régionale sont d'une opacité qui ne doit rien au hasard car, de Hammamet à Accra en passant par Damas, ce sont les mêmes nervi(e)s qui tiennent le haut du pavé... avec malheureusement pour feuille de vigne le sigle galvaudé de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT).

Deuxièmement, en effet, au coeur des tensions dont le processus de préparation du SMSI est l'objet, il y a la question des accréditations. Et, à l'évidence, le fait que l'Union internationale des télécommunications ait accepté qu'un fonctionnaire tunisien, collaborateur du Comité national d'organisation et notoirement connu de surcroît pour son zèle partisan, soit chargé à Genève des accréditations constitue une véritable provocation qui n'est pas de nature à apaiser les esprits. Espérons toutefois que ce singulier personnage saura raison garder et que l'octroi des accréditations se fera sans accrocs majeurs.

Troisièmement, les organisations autonomes de la société civile tunisienne ont fini par se mettre d'accord le 18 janvier 2005 sur une déclaration importante retenant le principe d'un regroupement en une Coordination de la Société Civile Tunisienne Indépendante [NDLR. Lire la déclaration reproduite dans ce dossier d'Alternatives citoyennes]. Ce texte constitue à mes yeux un acquis important, mais il est dommage que trois associations ne se soient pas jointes en définitive aux neuf signataires de la déclaration. Il s'agit en l'occurrence de l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD), de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et de la section tunisienne d'Amnesty International. Les trois, pourtant, sont apparemment acquises à la nécessité d'une telle coordination ainsi qu'à l'esprit et à la lettre de la déclaration du 18 Janvier. La raison, implicite ou explicite, de leur réticence est semble-t-il liée à la présence parmi les signataires d'une association - l'Association Internationale pour le Soutien aux Prisonniers Politiques (AISPP) pour la nommer - apparemment considérée comme « infréquentable » en raison de ses accointances islamistes présumées. Et, à tous égards, cette objection me paraît tout à fait inacceptable.

Quatrièmement, le mois de janvier qui vient de s'écouler a été marqué par la visite en Tunisie de deux importantes missions d'observation et d'investigation sur l'état de préparation du SMSI et le contexte politique qui prévaut en Tunisie sur le plan de la liberté d'expression et de la liberté d'information. L'une d'elles a déjà publié ses premières conclusions. Elles sont édifiantes et confirment le fait que le secteur de l'information est véritablement un secteur sinistré en Tunisie [NDLR. Lire les première conclusions de la mission IFEX reproduites dans ce dossier d'Alternatives citoyennes]. Faudrait-il pour autant conclure à la nécessité de se désintéresser du processus de préparation et de déroulement du SMSI sous le prétexte que la tenue de celui-ci constitue - ce qui n'est pas faux - une véritable imposture ? Hélène Flautre, députée européenne, expliquait le 10 décembre dernier à Tunis, sur le ton sarcastique dont elle a le secret, que la tenue du SMSI à Tunis équivaut en quelque sorte à l'organisation d'un Sommet mondial sur le développement durable en plein coeur d'une centrale nucléaire ! Elle concluait toutefois à l'utilité de l'implication des composantes autonomes de la société civile tunisienne pour saisir « cette opportunité de sensibiliser l'opinion nationale et internationale aux graves blocages imposés par les autorités tunisiennes à la vie démocratique ».

Cinquièmement, à présent que la première phase du SMSI a réaffirmé dans sa Déclaration de principes la centralité des droits de l'homme et de la liberté d'expression comme principes fondamentaux de la société de l'information, faut-il pour autant estimer qu'il s'agit là d'un acquis irréversible ? Oui et non. Oui dans la mesure où l'approche exclusivement économique et technologique sur la réduction de la fracture numérique est aujourd'hui dépassée. Non, en raison de la tentation du repli frileux à tout moment sur cette approche sous le prétexte d'éviter une politisation excessive. Aussi me paraît-il important de conforter le plaidoyer en faveur de l'approche fondée sur les libertés. Pour cela, il nous faut mettre en avant, outre la Déclaration de Genève à laquelle je viens de faire référence, quatre documents essentiels :

  • La Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle adoptée par la 31e Session de la Conférence générale de l'UNESCO à Paris le 2 novembre 2001. Et notamment l'article 6 intitulé « Vers une diversité culturelle accessible à tous » et les points 9, 10 et 11 du Plan d'action pour la mise en oeuvre de cette Déclaration (Déclaration CLT-2002/WS/09 disponible sur le site de l'Unesco). [NDLR. Une telle Déclaration n'étant pas contraignante pour les États, l'UNESCO a engagé un processus en vue de l'adoption d'une Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques. Ce processus en est actuellement au stade de la discussion intergouvernementale sur un projet de texte, dont la deuxième session aura lieu du 31 janvier au 12 février 2005 à Paris].
  • Les deux Déclarations de Windhoek (1991) et Sanaa (1996) sur la promotion des médias indépendants et pluralistes en Afrique et dans les États arabes.
  • La Déclaration et le Plan d'action de la Conférence internationale de suivi du SMSI de Marrakech (décembre 2004).

La consolidation de ces références à une approche internationale fondée sur les droits et les libertés, obtenues de haute lutte durant la phase de Genève par les organisations de la société civile participant au SMSI, est d'autant plus nécessaire qu'aux plans nationaux et régionaux c'est toujours une vision marchande de la société de l'information qui prévaut. C'est ce que l'on a pu par exemple observer encore récemment avec le plan d'action national Tunisie de l'Union européenne, élaboré dans le cadre de la Nouvelle politique de voisinage de l'Union (voir encadré en fin d'article).

Sixièmement, enfin, une ultime réflexion sur la place des femmes dans les médias. Ce débat est d'importance, surtout en Tunisie où on instrumentalise à tour de bras autour du thème des acquis essentiels des femmes, dans les textes mais pas forcément dans la réalité et dans les mentalités. Là aussi, l'approche transversale fondée sur le genre est nécessaire, car au-delà de quelques « élues » qu'on met systématiquement en avant, le rôle des femmes et leur pouvoir effectif dans les médias et dans la société de l'information demeure assez marginal. Comment ne pas souscrire, dans ces conditions, au commentaire si pertinent de la journaliste marocaine Narjess Rerhaye, rappelant à Marrakech que « dans nos pays, les femmes sont au mieux des autostoppeuses sans bagages au bord des autoroutes de l'information ». No comment...

 

Khemaïs Chammari
Chargé de Mission de la FIDH
Membre du Comité Exécutif de la Fondation Euroméditerranéenne de Soutien aux Défenseurs des Droits de l'Homme

Le plan d'action national Tunisie de l'Union européenne et la société de l'information

Conformément aux décisions prises par les instances de l'UE dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage (NPV), des plans d'actions nationaux ont été élaborés avec dix des pays tiers concernés. Ces projets de plans ont été définitivement adoptés pour plusieurs de ces pays, dont le Maroc. Pour la Tunisie, le projet, mis en ligne il y a quelques semaines, a suscité une réaction très négative des autorités tunisiennes qui n'ont pas hésité, à la veille du Conseil d'association de la fin de ce mois de janvier 2005, à considérer que ce document ne constitue pas une base de discussion valable, le considérant comme « gelé ». Première victime de cette crispation, le Haut fonctionnaire tunisien du ministère des Affaires étrangères, désigné comme consultant pour suivre l'élaboration du projet, a été sérieusement sermonné et il ferait l'objet lui aussi d'une mesure de « gel » administratif.

Ce document n'est pourtant pas révolutionnaire. S'il comporte des avancées importantes en matière de promotion des droits de l'homme et de la démocratie, préconisant à court terme la mise en place d'un sous-comité pour les droits de l'homme, et s'il y est question d'un sujet tabou, en l'occurrence la lutte contre la corruption, il n'en demeure pas moins, sur l'essentiel des sujets, d'une grande prudence technocratique. À preuve, les deux paragraphes consacrés à la société de l'information, qui reflètent une vision économico-commerciale faisant fi de la centralité de la question des libertés d'information et d'expression dans la réalisation de l'objectif de la réduction de la fracture numérique. Au lecteur de juger :

Société de l'information (§65 et §66 de la proposition de plan d'action national Tunisie)

(65) Progresser dans les domaines de la politique et la réglementation des communications électroniques en vue de développer un marché régional des communications électroniques :

  • libéraliser le marché de la téléphonie fixe ;
  • poursuivre la libéralisation de la téléphonie mobile ;
  • poursuivre la mise en place du cadre réglementaire pour encourager les investissements dans le secteur, notamment, des régimes de licences, d'interconnexion, de numérotation, de service universel et garantissant l'usage étendu et sécurisé des communications électroniques ;
  • améliorer l'efficacité de l'autorité réglementaire (INT) par l'octroi de compétences et de ressources supplémentaires ;
  • encourager la coopération de l'INT avec d'autres régulateurs dans la région méditerranéenne et dans les Etats membres de l'UE.

(66) Progresser dans la politique de développement des services de la société de l'information et dans le dialogue et la coopération scientifique :

  • mettre en oeuvre les orientations en matière de société de l'information dans le plan national de développement 2002-2006 ;
  • promouvoir l'utilisation des nouvelles technologies de communication par les milieux d'affaires, l'administration publique, les citoyens et dans les secteurs de la santé et de l'enseignement (e-Business, e-Gouvernement, e-Santé, e-Learning) par l'introduction de projets pilotes, la mise en place des infrastructure avancées et le développement des contenus (par exemple : des sites thématiques sur l'économie, la recherche, la culture) ;
  • améliorer l'utilisation par les citoyens de l'Internet et des services en ligne par le biais de programmes de formation informatique destinés au grand public ;
  • promouvoir la participation de la Tunisie au volet IST du 6ème programme cadre de recherche de l'UE et au programme régional EU-MEDIS ;
  • intensifier la coopération de la Tunisie aux stratégies régionales et mondiales, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l'information (préparation de WSISII à Tunis en 2005).

 

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