a deuxième réunion préparatoire (Prepcom2) du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) se tiendra
à Genève du 18 au 25 février 2005, et il faut espérer que les organisateurs sauront éviter les dérapages qui ont
marqué le déroulement de la première phase du SMSI à Genève de décembre 2003 et surtout la Prepcom1 de Hammamet de
juin 2004 [NDLR. Voir le dossier
consacré à cette PrepCom dans le numéro 9
d'Alternatives citoyennes].
Ces dérapages ont été pour l'essentiel le fait des nervis et des thuriféraires de l'État-RCD.
Ce numéro d'Alternatives Citoyennes consacre un dossier à cette importante réunion et j'ai jugé utile
d'y contribuer par les réflexions suivantes.
Pour commencer, « En route pour le SMSI de Tunis 2005 » est la formule-slogan de la
propagande tunisienne.
Le parcours est jalonné par une multitude d'initiatives budgétivores (billets d'avion, hôtels, interprètes, etc.)
sur des thèmes « techniques », « économiques » et « commerciaux », à bien des
égards redondants et « bidonnants ». Pour les
connaisseurs, cela n'a rien d'impressionnant et le bilan concret de cette quête de légitimation est largement
surévalué.
Il en va tout autrement des conférences régionales. Celles-ci font partie intégrante du processus du SMSI et elles
devraient, en principe, avoir une portée autrement plus grande que les symposium-gadgets organisés au gré de
l'inspiration des lobbies politiques et affairistes. Après la première Conférence régionale (Asie de l'Ouest)
pour la phase 2 du SMSI de 2005, qui s'est tenue à Damas en Syrie les 22 et 23 novembre 2004 (voir l'article
d'Ahmed Galai dans ce même dossier), a lieu du 2 au 4 février
à Accra (Ghana) la deuxième de ces Conférences, cette fois pour l'Afrique.
La Tunisie y a déjà dépêché une importante délégation propagandiste qui a délibérément ignoré les associations
tunisiennes indépendantes et les ONG des droits humains.
Bien entendu, les conditions d'organisation et d'accréditation de cette Conférence régionale sont d'une opacité qui
ne doit rien au hasard car, de Hammamet à Accra en passant par Damas, ce sont les mêmes nervi(e)s qui tiennent
le haut du pavé... avec
malheureusement pour feuille de vigne le sigle galvaudé de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT).
Deuxièmement, en effet, au coeur des tensions dont le processus de préparation du SMSI est l'objet, il y a la question des
accréditations. Et, à l'évidence, le fait que l'Union internationale des télécommunications ait accepté qu'un
fonctionnaire tunisien, collaborateur du Comité national d'organisation et notoirement connu de surcroît pour son
zèle partisan, soit chargé à Genève des accréditations constitue une véritable provocation qui n'est pas de nature
à apaiser les esprits. Espérons toutefois que ce singulier personnage saura raison garder et que l'octroi des
accréditations se fera sans accrocs majeurs.
Troisièmement, les organisations autonomes de la société civile tunisienne ont fini par se mettre d'accord le 18
janvier 2005 sur une déclaration importante retenant le principe d'un regroupement en une Coordination de la
Société Civile Tunisienne Indépendante [NDLR. Lire la déclaration reproduite dans ce dossier
d'Alternatives citoyennes]. Ce texte constitue à mes yeux un acquis important, mais il est dommage que trois
associations ne se soient pas jointes en définitive aux neuf signataires de la déclaration. Il s'agit en
l'occurrence de l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD), de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et de la section tunisienne d'Amnesty
International. Les trois, pourtant, sont apparemment acquises à la nécessité d'une telle coordination ainsi
qu'à l'esprit et à la lettre de la déclaration du 18 Janvier. La raison, implicite ou explicite, de leur réticence
est semble-t-il liée à la présence parmi les signataires d'une association - l'Association Internationale pour
le Soutien aux Prisonniers Politiques (AISPP) pour la nommer - apparemment considérée comme
« infréquentable » en raison de ses accointances islamistes présumées. Et, à tous égards, cette objection
me paraît tout à fait inacceptable.
Quatrièmement, le mois de janvier qui vient de s'écouler a été marqué par la visite en Tunisie de deux importantes
missions d'observation et d'investigation sur l'état de préparation du SMSI et le contexte politique qui prévaut en
Tunisie sur le plan de la liberté d'expression et de la liberté d'information. L'une d'elles a
déjà publié ses premières conclusions. Elles sont édifiantes et confirment le fait que le secteur de l'information
est véritablement un secteur sinistré en Tunisie [NDLR. Lire les première conclusions de la mission
IFEX reproduites dans ce
dossier
d'Alternatives citoyennes].
Faudrait-il pour autant conclure à la nécessité de se désintéresser
du processus de préparation et de déroulement du SMSI sous le prétexte que la tenue de celui-ci constitue - ce
qui n'est pas faux - une véritable imposture ? Hélène Flautre, députée européenne, expliquait le 10
décembre dernier à Tunis, sur le ton sarcastique dont elle a le secret, que la tenue du SMSI à Tunis équivaut en
quelque sorte à l'organisation d'un Sommet mondial sur le développement durable en plein coeur d'une centrale
nucléaire ! Elle concluait toutefois à l'utilité de l'implication des composantes autonomes de la société
civile tunisienne pour saisir « cette opportunité de sensibiliser l'opinion nationale et internationale aux
graves blocages imposés par les autorités tunisiennes à la vie démocratique ».
Cinquièmement, à présent que la première phase du SMSI a réaffirmé dans sa Déclaration de principes la centralité
des droits de l'homme et de la liberté d'expression comme principes fondamentaux de la société de l'information,
faut-il pour autant estimer qu'il s'agit là d'un acquis irréversible ? Oui et non. Oui dans la mesure où
l'approche exclusivement économique et technologique sur la réduction de la fracture numérique est aujourd'hui
dépassée. Non, en raison de la tentation du repli frileux à tout moment sur cette approche sous le prétexte
d'éviter une politisation excessive. Aussi me paraît-il important de conforter le plaidoyer en faveur de l'approche
fondée sur les libertés. Pour cela, il nous faut mettre en avant, outre la Déclaration de Genève à laquelle je
viens de faire référence, quatre documents essentiels :
- La Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle adoptée par la 31e
Session de la Conférence générale de l'UNESCO à Paris le 2 novembre 2001. Et notamment l'article 6 intitulé
« Vers une diversité culturelle accessible à tous » et les points 9, 10 et 11 du Plan d'action pour la
mise en oeuvre de cette Déclaration (Déclaration CLT-2002/WS/09 disponible sur le site de
l'Unesco). [NDLR. Une telle Déclaration n'étant pas contraignante pour les États, l'UNESCO a engagé un processus en
vue de l'adoption d'une Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions
artistiques. Ce processus en est actuellement au stade de la discussion intergouvernementale sur un projet de
texte, dont la deuxième session aura lieu du 31 janvier au 12 février 2005 à Paris].
- Les deux Déclarations de Windhoek (1991) et Sanaa (1996) sur la promotion des
médias indépendants et pluralistes en Afrique et dans les États arabes.
- La Déclaration et le Plan d'action de la
Conférence internationale de suivi du SMSI de Marrakech (décembre 2004).
La consolidation de ces références à une approche internationale fondée sur les droits et les libertés,
obtenues de haute lutte durant la phase de Genève par les organisations de la société civile participant au
SMSI, est d'autant plus nécessaire qu'aux plans nationaux et régionaux c'est toujours une vision marchande de la
société de l'information qui prévaut. C'est ce que l'on a pu par exemple observer encore récemment avec le plan
d'action national Tunisie de l'Union européenne, élaboré dans le cadre de la Nouvelle politique de
voisinage de l'Union (voir encadré en fin d'article).
Sixièmement, enfin, une ultime réflexion sur la place des femmes dans les médias. Ce débat est d'importance,
surtout en Tunisie où on instrumentalise à tour de bras autour du thème des acquis essentiels des femmes, dans les
textes mais pas forcément dans la réalité et dans les mentalités. Là aussi, l'approche transversale fondée sur le
genre est nécessaire, car au-delà de quelques « élues » qu'on met systématiquement en avant, le rôle des
femmes et leur pouvoir effectif dans les médias et dans la société de l'information demeure assez marginal. Comment
ne pas souscrire, dans ces conditions, au commentaire si pertinent de la journaliste marocaine Narjess Rerhaye,
rappelant à Marrakech que « dans nos pays, les femmes sont au mieux des autostoppeuses sans bagages au bord
des autoroutes de l'information ». No comment...