Alternatives citoyennes Numéro 10 - 15 septembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Autour du Sahara, salafisme, pétrole et chassé-croisé franco-américain

 

Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense, a beau se prendre pour une nouvelle sirène de l'île d'Ulysse, ce n'est pas à Djerba mais à Alger ou Djibouti qu'elle traite d'affaires sérieuses, celles qui relèvent de ses prérogatives ministérielles.

Car la priorité de la France en Afrique, où elle entretient une forte compétition traversée de quelques connivences avec les États-Unis, c'est d'abord la défense et la sécurité de ses anciennes colonies. Toutefois, de l'industrie de l'armement à l'exploration du pétrole et du gaz, ainsi que d'autres minerais, bien entendu c'est dans la perspective de profits économiques majeurs que se déploie cette très haute protection et que se joue une âpre rivalité.

Honorée par Jacques Chirac lors de la commémoration du débarquement allié en Afrique, la ville d'Alger est, depuis plusieurs mois, une étape privilégiée et renouvelée des responsables français. Outre le président de la République qui s'y sent comme chez lui et rend la même civilité lorsque le président Bouteflika se rend à Paris, ou plus récemment à Toulon, Michel Barnier et Nicolas Sarkozy y font des escales d'affaire, mais c'est à la Minerve française que va l'intérêt de la presse.

Il est vrai qu'à la mi-juillet, Michèle Alliot-Marie a signé à Alger, outre quelques conventions scientifiques, un très important accord de coopération. La France, qui forme déjà les hauts gradés de l'armée algérienne, assurera aussi le perfectionnement d'officiers de moindre grade et fournira à l'État algérien du matériel de défense de très haute technologie, « non offensif » - assure-t-on à Paris -, tout un matériel de surveillance et une logistique de défense. C'est une aubaine pour l'industrie française de l'armement, l'État algérien apparaissant aujourd'hui comme un client au mieux de sa trésorerie, du fait de la hausse des cours du pétrole.

La France, premier client de l'Algérie pour les exportations de cette dernière, y décroche près d'un quart des parts de marché. On comprend que, sitôt que madame Alliot-Marie, coiffée du chef de la diplomatie française y fit aussi son safari saharien en plein été, elle soit relayée par le ministre français de l'Économie Nicolas Sarkozy, de passage déjà à Alger en mai, et qui y peaufina des accords sur l'énergie.

Au-delà de la France, l'Europe se place à l'un des terminaux de l'or noir que représente le Sahara algérien, un oléoduc devant relier Alger au sud de l'Espagne. Du reste, c'est l'Europe du sud, Portugal, Espagne, Italie, France, qui se joindra aux 3 pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) dans un Sommet pour une défense commune dans le cadre de l'EUROFOR (Force opérationnelle rapide européenne) qui devrait se tenir fin septembre ou début octobre à Paris.

L'Algérie est une pièce maîtresse de l'échiquier en Méditerranée occidentale, le Maroc ayant tendance à flirter outre-Atlantique (il a paraphé récemment des accords commerciaux avec les USA) et la Tunisie ayant marqué par une absence de son président aux cérémonies de Toulon le 15 Août, un recul dans l'échelle des prédilections françaises.

D'Alger à Djibouti

La France place aussi ses guetteurs à Djibouti, pays auquel elle verse une redevance de 35 millions d'euros, pour l'entretien de sa base militaire. Celle-ci, forte de 2600 hommes, est en effet un observatoire unique, face au Yemen, sur la mer rouge. C'est de ce point de départ qu'est parti le commandement naval français dans le cadre de l'opération alliée contre le terrorisme, Enduring freedom, vers l'océan indien, d'autant que sur ce promontoire, face à la péninsule arabique et à quelques encablures de la base de Diego Garcia, les USA ont installé également une base de 1800 GI's.

Qui observe la géographie de cette moitié nord de l'Algérie méditerranéenne et subsaharienne dessine l'arc sécuritaire, de Djibouti au Tchad frontière du Darfour, puis remonte aux confins libyens, tunisiens, algériens, se recourbe vers le Niger, le Mali, longe la Mauritanie, à quelques hectomètres du Maroc !

Abderrazak le Para

Voilà aussi le territoire du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), cette formation dite dans l'orbite d'Al Quaïda, mais fonctionnant de manière autonome, dirigée par Sahraoui, abattu près d'Oran il y a quelques semaines par les forces algériennes et dont le numéro deux, Abderrazak Essaifi, dit « le Para », ancien bras droit de Hassan Al-Hattab l'islamiste algérien disparu il y a quelques années, serait actuellement détenu au Tchad, depuis plusieurs mois. L'histoire se suit comme un roman d'espionnage.

Le GSPC a véritablement émergé à l'information occidentale avec la prise en otage entre le Niger et l'Algérie de 32 touristes allemands libérés après le versement d'une énorme rançon (mais les autorités allemandes s'en défendent). Deux touristes français, également en goguette dans cette région malgré les avertissements du quai d'Orsay, ont été libérés de ces « coupeurs de chemin » par une intervention franco-américaine. Car Français et Américains, le cas échéant, échangent leurs renseignements et collaborent. Sur cet axe de tous les dangers, des troupes autochtones évoluent dans le Sahara plus agilement, et mouillent leurs chemises plus sûrement que les observateurs étrangers lointains derrière leurs radars et leurs lunettes infrarouges. Comme par le passé colonial, les indigènes forment la troupe et tous les pays riverains de ce Sahara sont mis à contribution. L'encadrement étranger est très structuré. Les USA particulièrement, dans leur initiative PANSAHEL, ont équipé et formé des unités pilote dont les chefs ont été informés des grandes lignes à Stuttgart, il y a plusieurs mois déjà.

Ces forces apprennent l'usage et les codes d'un armement, matériel d'écoute et de surveillance de la plus récente technologie. En un mot, une élite militaire de ces États qui bordent le Sahara est formatée aux normes du lobby militaro-industriel américain et se retrouve désormais, pour son équipement militaire, prise en otage de ces marchands d'armes modernes. Voilà une des clés du redéploiement du capitalisme financier.

Certes, telles sont les obligations de la lutte contre le terrorisme « afghan » replié dans le désert africain. Le Sahara serait la base arrière d'Al Quaïda, particulièrement le Tibesti. C'est là que se déroule l'imbroglio de l'alliance et du retournement du mouvement tchadien pour la démocratie et la justice (MDJT) avec, puis contre, les hommes d'Abderrazak le Para.

Dans le détail, chaque épisode implique un pays tiers : la Libye, dont le jeu au Tchad n'est pas clair et qui aurait contribué à l'arrestation d'hommes du GSPC [NDLR. voir aussi dans ce numéro l'article consacré à la Libye] ; la Mauritanie très troublée, où les américains ont installé un observatoire unique ; le Mali, voie de passage pour les salafistes ; le Niger, qui fait l'entremise entre les rebelles du Tchad et l'État algérien pour la récupération d'Abderrazak le Para, une mine d'information pour tous.

Tout cela doit s'observer et s'analyser dans le détail. Mais globalement, l'enjeu est ailleurs que dans le démantèlement d'une formation terroriste. Au-delà, ce sont les richesses énergétiques de cette région qui sont à contrôler. C'est bien sûr l'immense gisement du Nigeria voisin qu'il faut protéger au moment où le nord musulman du Nigeria semble porté à plus d'excès que le salafisme. Autour de Tamanrasset, en Algérie, les Américains et les Français, en concurrence pour l'énergie, s'accordent à un protocole de défense et une base américaine y serait à l'ouvrage. La Libye, ouverte aux Anglo-saxons et à son ancien tuteur italien, ne dissimule pas dans son Sahara que des vestiges préhistoriques. Au Mali, au Niger, des compagnies nouvelles, australiennes par exemple, explorent de petites poches pétrolifères qui augurent de beaux jours.

Mais des minerais précieux comme le manganèse, le cobalt, des métaux d'alliage pour l'aéronautique meublent aussi le sable du désert.

L'Afrique est riche et l'humanitaire saisi d'émotion devant le martyre du Darfour rappelle ces missions évangéliques qui, de l'Amérique latine au Congo, ont débroussaillé la voie à la colonisation. La mondialisation financière ne pouvait ignorer l'aubaine africaine. La réplique terroriste est un bond dans un passé sinistre. Il reste aux forces de progrès l'alternative d'un « autre monde possible ».

 

C. Fourati
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