'information a été donnée il y a plusieurs mois et jusqu'ici elle n'a pas été démentie : Tarek Ben Amar,
producteur de cinéma et tout dernièrement distributeur du film La Passion du Christ, devrait être le
président de la prochaine session des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), qui se tiendront fin octobre,
à peu près concomitamment aux élections présidentielle et législatives. Si la nouvelle se confirme, on peut
s'attendre à du beau monde et à une belle fête, à telle enseigne qu'il y a des risques pour qu'un président en
éclipse un autre. Faut-il d'ailleurs pousser très loin l'imagination si l'on ébauche ce scénario pour une future
mandature, celui de Tarek Ben Amar porté au sommet de l'État ?
Car le nouveau prince de la Com, coqueluche des médias, l'emporterait au casting sur tous les postulants,
tant il a les atouts et le profil de l'emploi. Dans un monde arabe où les présidences, quasi-monarchiques, se
transmettent par filiation, Tarek Ben Amar (T.B.A.) peut, dans la généalogie de Bourguiba (dont il est le neveu),
en tirer une première légitimité. L'énorme appareil du parti qui depuis 17 ans (im)mobilise la Tunisie, s'en
trouverait rassuré : il sort de ses entrailles, il reste du sérail.
De Bourguiba, T.B.A. porte aussi l'héritage spirituel relooké : nous sommes en 2004 et non en 1934. Ouvert aux
influences occidentales - lui-même est franco-tunisien, beaucoup italien et un zeste américain -, il veut aussi
faire de la Tunisie une grande terre de tolérance mettant un peuple festif, bon vivant, jouisseur, au spectacle du
foot et du cinéma. On le connaît déjà pour sa production de grands films de Rossellini, Spielberg, Brian de Palma,
etc., et d'autres alimentaires, moins haut de gamme. Voilà que sur ses immenses plateaux de l'Empire
Studio de Hammamet, il produira péplums, films d'action et peut-être quelques premiers films de cinéastes du
tiers-monde tandis qu'à Gammarth, dans son complexe technico-numérique, se feront les finitions en effets spéciaux
de superproductions.
Quant à sa chaîne de télévision, au terme de quelques acrobaties, des bouquets satellitaires de Berlusconi et ceux
de Rupert Murdoch, il finit par partager avec TF1 le capital de Sport Italia et aurait, dans son futur
panel plein de promesses, une télé aux couleurs nationales. On verra, car T.B.A. vole à des pieds au-dessus de
cette poussière-là.
Il a en effet dans son carnet d'adresses, Rupert Murdoch, le pote à Bush, de la Twentieth Century Fox, de
la Fox News qui nous raconta si joliment la guerre contre l'Irak et de quelques titres de tabloïds orduriers mais
qui font trembler les grands de ce monde. Le Français Le Lay ou le Saoudien Khalid Ibn Walid, autrefois l'immense
Léo Kirsch. Mais son intime est Silvio Berlusconi. L'important n'est pas de savoir le détail de ses affaires avec
Il Cavaliere (voir Ettarik Eljedid de mars 2004) mais de reconnaître combien la stratégie du
président du Conseil italien est essentielle dans cette jonction de la botte italienne au Cap Africa que
représente la Tunisie appuyée sur le contrefort libyen. Une enjambée lie ce bout de Maghreb à l'Italie : deux
hommes déjà y croisent leurs pas, Silvio Berlusconi et Seif Al Islam Gueddafi. Tarek Ben Amar est au mieux pour
jeter ce pont de l'avenir.
Car c'est là qu'il se fera. Les trois hommes se ressemblent, tous trois séducteurs, aimant les belles femmes
- the must dans des pays méditerranéens au sang chaud (pour ne pas dire machistes) - avec des oeillades pour
Miss Liban du côté libyen, et entre les deux autres si l'on en croit une interview printanière de T.B.A. dans Le
Figaro, des renvois de belles manières, chacun ramenant à Hammamet les plus jolies courtisanes de son pays, pour
des soirées parfumées. De quoi rêver ! La quintessence de cette dolce vita trouve dans les trois chaînes
TV de Berlusconi ses formes déshabillées.
La prédilection pour le foot est aussi en partage, qu'ils achètent une équipe dans sa totalité ou juste les droits
de retransmission à la télé. Mais les affaires sont aussi les affaires et tous trois y mettent un talent auquel il
ne faut pas être très regardant. Mais nos businessmen et tous les jeunes en start-up qui rêvent de success
story les regarderont comme les modèles de la génération qui réussit dans la production de valeur ajoutée par
tant d'effets très spéciaux, du montage financier au matraquage d'images, en artificiers des réseaux satellitaires
autant que des médiations boursières, vaste connexion de la finance et de la Com avec dribbles et
crocs-en-jambe, autant de passes et tours de passe-passe contre le fisc et la loi.
Mais qu'importe, leur ingéniosité acrobatique paie, leur talent d'illusionniste fascine, ils plaisent. Au cavalier
de Forza Italia, déjà le petit prince de La Marsa emboîte le pas. Dans un autre projet visionnaire,
l'héritier du désert ne tardera peut-être pas à « tuer le père ». Imaginaire, ce scénario ? Mais cohérent d'autant
que tonton Georges Walker y veillera. Berlusconi n'ouvre-t-il pas déjà une voie, une autoroute de 2000 km du Caire
à Djerba ? T.B.A. président, pourquoi pas ? Avec Ardisson dans la poche, se pâmant à Hammamet, tout le monde en
parlera.