n marquant au mausolée d'Al-Gardaia en Libye, le 25 août, la commémoration de la bataille italo-libyque de 1915,
le leader de Forza Italia faisait-il un pied de nez à son voisin transalpin, le président français qui
quelques jours plus tôt à Toulon commémorait le débarquement allié contre l'axe ?
Le calendrier s'effeuille au gré de la mémoire de chacun. Mais, ce soir-là, le président du Conseil italien avait
bien d'autres soucis en tête pour avoir précipitamment quitté sa résidence estivale de Sardaigne afin de s'envoler
vers Syrte après un déjeuner de travail avec son ministre de l'Intérieur, Giuseppe Pisanu, et que la veille 276
émigrants clandestins de plus, palestiniens pour l'essentiel, embarqués sur une chaloupe de 20 mètres de long,
s'échouaient sur l'île de Lampedusa avant de s'entasser dans un camp de rétention prévu pour moins de 200 personnes
et ayant déjà fait le plein.
Trop, ç'en était trop pour Silvio Berlusconi qui depuis de longs mois subit la pression xénophobe de ses amis de la
Ligue du Nord (extrême-droite) l'appelant à fermer les frontières à la forêt de « têtes laineuses », remontées
d'Afrique et surgies de Libye. Car Moammar l'Africain, paré de son boubou, leur ouvre sans visa son pays et,
profitant de cette immigration « menaçante » pour l'Europe de quelques 2 millions de désespérés, en fait, avec le
talent qu'on lui connaît, un moyen de chantage sur l'Europe.
L'Allemagne, victime d'un attentat libyen contre une boîte de nuit, reste opposée à toute suspension de l'embargo
européen contre la Libye. L'Italie y est plus favorable et Silvio Berlusconi a offert à Moammar Kadhafi une
solution intermédiaire : des patrouilles communes italo-libyennes arpenteront les quelques 2000 km de côte d'où
partent les clandestins. Toute une technologie de surveillance sera mise à leur disposition, contournement indirect
de l'embargo contre la Libye. De plus, des tentes et des préfabriqués construiront sur place des camps de rétention
en terre libyenne que les ONG des droits de l'homme baptisent déjà camps de concentration. À quelques kilomètres de
la Tunisie, comment les Tunisiens apprécieront-ils cette masse de miséreux faméliques, au milieu desquels
pourraient s'être glissés quelques incendiaires ? Déjà, à Sfax, la population, portée à un légendaire repli sur
soi, est exaspérée d'une présence africaine de « gueux » et de « barbares ». Une fois passé le
« seuil
de tolérance », le racisme, tapi, émerge.
Enfin, Kadhafi se fait promettre par Berlusconi la construction d'une route le long de la côte, de l'Égypte à la
Tunisie. Cette voie express peut ouvrir l'extension d'une riviera californienne qui dans 20 ans pourrait se
déployer d'Alexandrie à Djerba.
Déjà, pour des « raisons humanitaires », les Américains ouvrent à partir de la Libye jusqu'au Darfour une piste
pour convois lourds, une percée vers le centre de l'Afrique.
Dès lors, comment ne pas accorder crédit à l'accusation de manipulation du drame de l'émigration clandestine par le
pouvoir libyen. Cette affaire est tout bénéfice pour lui, d'autant que l'Europe songe même à délocaliser sur la
rive sud de la Méditerranée sa délivrance de droits d'asile !
Qui donc, d'Il cavaliere ou du Guide, mène l'autre ? De plus, le colonel Kadhafi répare une
vieille blessure. Tandis qu'il était en disgrâce auprès de l'Europe, n'est-ce pas à partir de l'Angleterre que la
Jamaâ islamiya al-mouqatila, protégée par les services de renseignements britanniques, tenta d'assassiner
en 1996 le chef de l'État libyen ? Celui-ci fit rechercher le premier par Interpol Oussama Ben Laden et son bras
droit Anès le Libyen (cf. La vérité interdite de Jean-Charles Brisard, paru aux éditions Denoël
en 2001).
Aujourd'hui, c'est celui qui fit pendre en place publique quelques islamistes qui prête désormais main forte à une
traque des terroristes dans le Sahel africain et qui fournit quelques renseignements utiles aux Européens.
Le chef des services secrets libyens, Moussa Kussa, est aussi l'artisan de la réconciliation de la Libye avec les
USA et la Grande-Bretagne. Depuis plus d'un an, Tony Blair, Silvio Berlusconi et William Burns, sous-secrétaire
d'État américain pour le Proche-Orient, ainsi que des cohortes de diplomates, se retrouvent en Libye. Car, en
dehors de la lutte contre le terrorisme, le pétrole que l'État libyen va mettre ce mois de septembre aux enchères
intéresse au premier chef l'Europe et les USA, d'autant qu'il est de bonne qualité et d'extraction facile. Avant
que Berlusconi ne s'y rende ce 25 août, Tony Blair était son invité en Sardaigne. La Libye s'offre comme une plaque
tournante de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais ce sont de ses côtes que sont probablement partis
pendant des mois de redoutables terroristes travestis en malheureux clandestins.
« Gardez chez vous ces Africains, terroristes ou les pauvres hères qui le deviendront aussi, et nous vous
fournirons la logistique pour les contenir » semble dire Berlusconi à Kadhafi, appelé désormais à faire le
nettoyage chez lui.