la question : pourquoi j'ai décidé de retourner en Tunisie, la réponse la plus spontanée
est : parce que...
Mais cette question n'étant pas un Koan bouddhiste, je vous dois ainsi qu'à vos lecteurs de plus amples
explications.
Tout d'abord j'aimerais rappeler que je ne me suis pas enfui en 2001, que je n'ai fait aucune demande d'exil
politique dans aucun pays. Je ne suis parti que pour répondre à l'invitation de l'université de Paris 13 à venir
y enseigner la santé publique, après avoir été exclu de celle de Sousse pour les raisons que l'on sait. Donc le
retour dès le départ était l'option choisie.
J'ai été, comme chacun le sait, le premier à avoir appelé au boycott actif de ces pseudo-élections qui se
préparent pour le 24 octobre et qui n'auront pour conséquences que de déposséder, encore une fois et un peu
plus, le peuple de sa souveraineté, le citoyen de sa dignité et la démocratie de sa fonction réelle. Je ne
pouvais décemment pas lancer un mot d'ordre de l'étranger et me soustraire à en assumer la responsabilité sur le
terrain.
Ayant été depuis le début des années 90 de tous les combats pour les libertés privées et publiques, et ce au
centre de la première ligne, j'ai estimé que cette fois-ci aussi je devais être là où les choses se passent.
Cette bataille a une spécificité par rapport à toutes celles qui ont eu lieu depuis 1990. Elle est d'abord et
essentiellement psychologique. Il faut sortir le pays de cette léthargie désespérée à laquelle pousse une classe
politique en faillite avancée.
Certes ce n'est qu'une bataille de plus. Ce n'est pas elle forcément qui décidera du sort de la Tunisie. Mais je
suis convaincu que si elle est bien menée, elle pourrait constituer un pas en avant vers un État légitime, une
société civile légale et un peuple enfin sorti de l'arbitraire.
La génération de nos pères a dévolu sa vie à la première indépendance : la libération du peuple de l'oppression
de l'État colonial et étranger. La mission de la nôtre est de réaliser la seconde indépendance : la libération
du peuple de l'oppression de l'État dictatorial, dit national.
Ce combat pour la deuxième indépendance est un long et souvent épuisant processus. Il peut s'ensabler, tourner
en rond, mais il est impossible à bloquer indéfiniment.
À chacun de lui donner, qui une chiquenaude, qui une franche poussée, et le temps de notre indignité collective
n'en sera que plus écourté.