Nombreux sont ceux qui ont pris l'avion pour Londres. Ils sont
beaucoup plus nombreux ceux qui, à partir de l'étranger, sont passés
sur la chaîne de Hechmi Hamdi, appelée El Mustaqila. Il est vrai que
cette chaîne est devenue, par les programmes qu'elle dispense, un îlot
de liberté d'expression pour nos compatriotes et pour d'autres
personnes intéressées par le cas de la Tunisie. Ce que l'on ne sait pas
encore, c'est l'impact réel de cette chaîne sur les problèmes réels de
notre pays.
Car il ne suffit pas de voir des figures interdites sur une chaîne de
télévision pour dire qu'elle joue un rôle important dans la lutte
pour la démocratie en Tunisie. Ce qui est clair déjà, c'est que cette
chaîne est le porte-parole de ceux qui veulent à tout prix le pouvoir
en 2004. Je n'ai rien contre, mais plusieurs questions se posent à moi :
1) Qui se tient derrière cette chaîne, qui investit son argent pour
cela ? Ce n'est sûrement pas le peuple tunisien.
2) Cette chaîne essaie de jouer un rôle dans la lutte pour le pouvoir.
Satellisée parfois pour défendre Mohamed Mzali, parfois les
intégristes, parfois les deux à la fois.
3) La lutte pour la démocratie est un combat de tous les jours et elle
doit être menée par les Tunisiens sur leur propre terrain et par leur
propres moyens. Notre peuple est assez grand, majeur et
suffisamment vacciné pour refuser le parrainage français, afghan ou
autre.
4) Nos amis de tout bord, ONG, partis politiques, organisations
diverses de droits de l'homme, ont envers nous un devoir de soutien et
non un droit de regard.
Quand on écoute Robert Ménard [Directeur
de l'ONG Reporters Sans Frontières, NDLR] parler de la Tunisie,
du pouvoir politique, de la lutte démocratique, on a l'impression que
ce monsieur est un internationaliste prolétarien ou un Tunisien. Or il
n'est ni l'un ni l'autre. Les problèmes de la Tunisie l'intéressent
comme devraient l'intéresser les problèmes de tout le reste du monde.
Robert Ménard s'investit en Tunisie comme si nous étions incapables de
gérer nos crises, et de trouver les soutiens qui s'imposent à nos
problèmes. Nous sollicitons son soutien mais nous refusons son
ingérence. 1956 est déjà fait, même incomplet, même à la manière des
Destouriens, mais c'est déjà de l'histoire.
J'attends que RSF aille
occuper les locaux de l'ambassade israélienne et crier contre les
atrocités de l'État d'Israël. Les journalistes algériens ont quand
même droit à plus d'égard de la part de Robert Ménard, surtout qu'une
cinquantaine d'entre eux ont été égorgés vivants par les intégristes
du FIS et du GIA, couverts en cela par les services français. Le dernier
journaliste géorgien assassiné a eu droit à une indignation
(sic) de la part de Robert Ménard. 32 journalistes blessés par balles
en Palestine occupée ont eu droit à un texte de protestation.
Que ce monsieur oublie ses frontières seulement quand il s'agit de la Tunisie
me pose un problème. Il y a sûrement de bons français, amis,
démocrates, mais il y a aussi ceux qui n'ont pas oublié leur départ de
colons. Sihem Ben Sedrine sortira sans l'apport de ces gens-là. Cela
pue le vinaigre. Quand ces gens-là arrivent à déclarer la guerre à
l'économie nationale sur une chaîne qui se dit tunisienne, nous ne
pouvons plus nous taire. L'économie, le tourisme, les produits
tunisiens exportés, cela n'a rien à voir avec Ben Ali et le RCD. C'est
notre gagne-pain, c'est notre avenir face aux colonialistes et la
mondialisation.
En donnant la parole à ces séquelles de colons, Hechmi Hamdi démontre
qu'il n'a rien à voir avec la politique, avec le peuple pauvre et avec
Sidi Bouzid même. Robert Ménard est un ennemi de la Tunisie, rien
d'autre.
5) Le mouvement démocratique en Tunisie est ancien, majeur,
suffisamment mûr pour faire la différence entre un pouvoir destourien
répressif et le projet intégriste retardataire et sanguinaire. Entre
ces deux pôles, il y a un autre choix, une autre voie vers le progrès
et la démocratie. C'est notre voie, celle des démocrates
antifascistes. Nous ne pourrons jamais, jamais, jamais croire en une
alliance avec un fasciste contre un autre. La démocratie ne peut
jamais être l'oeuvre des anti-démocrates.
6) Cette chaîne, dirigée par Hechmi Hamdi, appelle quelques interrogations :
- Combien de fois a-t-elle fait allusion à ce que font les
intégristes en Algérie, au Soudan, en Afghanistan... ?
- Comment Hechmi Hamdi a-t-il changé de cap après avoir défendu
le régime « démocratique » de Ben Ali, après avoir été l'ami intime du
président ?
- Quels sont les véritables rapports de Hechmi Hamdi avec les services
secrets, les médias, les banques et l'État soudanais ?
- Quand verra-t-on Rachid Gannouchi à l'antenne, et quand ce jeu de
cache-cache finira-t-il ?
- Quand verra-t-on les relevés de ses comptes bancaires pour
savoir quelque chose au moins sur l'origine des fonds mis entre les
mains d'un petit journaliste sans renommée pour fonder une chaîne de
télévision à Londres même ? Cela est important, et le dire
clairement est un devoir pour un journaliste. Dans la déontologie,
l'origine de l'information est un secret, mais l'origine de l'argent
investi n'en n'est pas un. Pourquoi laisser libre cours à des
supputations du genre soudanais, saoudien, koweïtien, afghan,
français... ? D'aucuns disent - et ce n'est pas
impossible - qu'il s'agit de l'argent du palais. De toutes
façons, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une collecte à Sidi Bouzid.
7) L'histoire n'est pas un mort qu'on oublie vite, et l'histoire de
ceux qui sont derrière cette chaîne, et derrière Hechmi Hamdi plus
précisément, et qui se veulent les défenseurs de la démocratie, est
l'histoire de la violence, de la terreur, du fascisme. Hechmi Hamdi a
prononcé des condamnations à mort contre des dizaines de militants
marxistes à l'université de Tunis. Il était l'émir, le dirigeant des
équipes de la mort qui circulaient dans les couloirs du campus à la
recherche des athées, des ennemis d'Allah... Cela, nous ne pouvons pas
l'oublier facilement. Devenir aujourd'hui un porte-étendard de la
démocratie et des droits de l'homme est assez grotesque, assez
déplacé, assez...
NB. Ce texte a été envoyé par courrier électronique à
la chaîne de télévision Mustaqila dimanche 29 juillet 2001.