Alternatives citoyennes
Numéro 4 - 8 octobre 2001
Champ libre
Tribune
Course effrénée vers Londres...

 

Nous rappelons que l'espace Champ libre n'engage pas notre ligne éditoriale. À propos de l'article suivant, nous tenons à souligner que - sans partager ni la stratégie de la chaîne Mustaqila ni l'idée que cette chaîne se fait du journalisme - nous considérons que cette TV a brisé certains tabous et apporté une somme d'informations, notamment sur la souffrance des sympathisants islamistes que beaucoup ignoraient jusque là. Nous citons particulièrement la dernière émission du 7 octobre traitant de l'affaire Abdallah Kallel, contre lequel une plainte pour torture avait été déposée en Suisse, ainsi que la séquence francophone dévolue à Reporters Sans Frontières, qui finance semble-t-il par ce temps d'antenne Mustaqila, et qui donna ce dimanche une première émission de bonne tenue.

La rédaction

Nombreux sont ceux qui ont pris l'avion pour Londres. Ils sont beaucoup plus nombreux ceux qui, à partir de l'étranger, sont passés sur la chaîne de Hechmi Hamdi, appelée El Mustaqila. Il est vrai que cette chaîne est devenue, par les programmes qu'elle dispense, un îlot de liberté d'expression pour nos compatriotes et pour d'autres personnes intéressées par le cas de la Tunisie. Ce que l'on ne sait pas encore, c'est l'impact réel de cette chaîne sur les problèmes réels de notre pays.

Car il ne suffit pas de voir des figures interdites sur une chaîne de télévision pour dire qu'elle joue un rôle important dans la lutte pour la démocratie en Tunisie. Ce qui est clair déjà, c'est que cette chaîne est le porte-parole de ceux qui veulent à tout prix le pouvoir en 2004. Je n'ai rien contre, mais plusieurs questions se posent à moi :

1) Qui se tient derrière cette chaîne, qui investit son argent pour cela ? Ce n'est sûrement pas le peuple tunisien.

2) Cette chaîne essaie de jouer un rôle dans la lutte pour le pouvoir. Satellisée parfois pour défendre Mohamed Mzali, parfois les intégristes, parfois les deux à la fois.

3) La lutte pour la démocratie est un combat de tous les jours et elle doit être menée par les Tunisiens sur leur propre terrain et par leur propres moyens. Notre peuple est assez grand, majeur et suffisamment vacciné pour refuser le parrainage français, afghan ou autre.

4) Nos amis de tout bord, ONG, partis politiques, organisations diverses de droits de l'homme, ont envers nous un devoir de soutien et non un droit de regard. Quand on écoute Robert Ménard [Directeur de l'ONG Reporters Sans Frontières, NDLR] parler de la Tunisie, du pouvoir politique, de la lutte démocratique, on a l'impression que ce monsieur est un internationaliste prolétarien ou un Tunisien. Or il n'est ni l'un ni l'autre. Les problèmes de la Tunisie l'intéressent comme devraient l'intéresser les problèmes de tout le reste du monde.

Robert Ménard s'investit en Tunisie comme si nous étions incapables de gérer nos crises, et de trouver les soutiens qui s'imposent à nos problèmes. Nous sollicitons son soutien mais nous refusons son ingérence. 1956 est déjà fait, même incomplet, même à la manière des Destouriens, mais c'est déjà de l'histoire.

J'attends que RSF aille occuper les locaux de l'ambassade israélienne et crier contre les atrocités de l'État d'Israël. Les journalistes algériens ont quand même droit à plus d'égard de la part de Robert Ménard, surtout qu'une cinquantaine d'entre eux ont été égorgés vivants par les intégristes du FIS et du GIA, couverts en cela par les services français. Le dernier journaliste géorgien assassiné a eu droit à une indignation (sic) de la part de Robert Ménard. 32 journalistes blessés par balles en Palestine occupée ont eu droit à un texte de protestation.

Que ce monsieur oublie ses frontières seulement quand il s'agit de la Tunisie me pose un problème. Il y a sûrement de bons français, amis, démocrates, mais il y a aussi ceux qui n'ont pas oublié leur départ de colons. Sihem Ben Sedrine sortira sans l'apport de ces gens-là. Cela pue le vinaigre. Quand ces gens-là arrivent à déclarer la guerre à l'économie nationale sur une chaîne qui se dit tunisienne, nous ne pouvons plus nous taire. L'économie, le tourisme, les produits tunisiens exportés, cela n'a rien à voir avec Ben Ali et le RCD. C'est notre gagne-pain, c'est notre avenir face aux colonialistes et la mondialisation.

En donnant la parole à ces séquelles de colons, Hechmi Hamdi démontre qu'il n'a rien à voir avec la politique, avec le peuple pauvre et avec Sidi Bouzid même. Robert Ménard est un ennemi de la Tunisie, rien d'autre.

5) Le mouvement démocratique en Tunisie est ancien, majeur, suffisamment mûr pour faire la différence entre un pouvoir destourien répressif et le projet intégriste retardataire et sanguinaire. Entre ces deux pôles, il y a un autre choix, une autre voie vers le progrès et la démocratie. C'est notre voie, celle des démocrates antifascistes. Nous ne pourrons jamais, jamais, jamais croire en une alliance avec un fasciste contre un autre. La démocratie ne peut jamais être l'oeuvre des anti-démocrates.

6) Cette chaîne, dirigée par Hechmi Hamdi, appelle quelques interrogations :

- Combien de fois a-t-elle fait allusion à ce que font les intégristes en Algérie, au Soudan, en Afghanistan... ?

- Comment Hechmi Hamdi a-t-il changé de cap après avoir défendu le régime « démocratique » de Ben Ali, après avoir été l'ami intime du président ?

- Quels sont les véritables rapports de Hechmi Hamdi avec les services secrets, les médias, les banques et l'État soudanais ?

- Quand verra-t-on Rachid Gannouchi à l'antenne, et quand ce jeu de cache-cache finira-t-il ?

- Quand verra-t-on les relevés de ses comptes bancaires pour savoir quelque chose au moins sur l'origine des fonds mis entre les mains d'un petit journaliste sans renommée pour fonder une chaîne de télévision à Londres même ? Cela est important, et le dire clairement est un devoir pour un journaliste. Dans la déontologie, l'origine de l'information est un secret, mais l'origine de l'argent investi n'en n'est pas un. Pourquoi laisser libre cours à des supputations du genre soudanais, saoudien, koweïtien, afghan, français... ? D'aucuns disent - et ce n'est pas impossible - qu'il s'agit de l'argent du palais. De toutes façons, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une collecte à Sidi Bouzid.

7) L'histoire n'est pas un mort qu'on oublie vite, et l'histoire de ceux qui sont derrière cette chaîne, et derrière Hechmi Hamdi plus précisément, et qui se veulent les défenseurs de la démocratie, est l'histoire de la violence, de la terreur, du fascisme. Hechmi Hamdi a prononcé des condamnations à mort contre des dizaines de militants marxistes à l'université de Tunis. Il était l'émir, le dirigeant des équipes de la mort qui circulaient dans les couloirs du campus à la recherche des athées, des ennemis d'Allah... Cela, nous ne pouvons pas l'oublier facilement. Devenir aujourd'hui un porte-étendard de la démocratie et des droits de l'homme est assez grotesque, assez déplacé, assez...

NB. Ce texte a été envoyé par courrier électronique à la chaîne de télévision Mustaqila dimanche 29 juillet 2001.

 

Bouraoui Zeghidi
Cadre du secteur bancaire. Jbeniana.
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