es choses semblent bouger en Tunisie depuis quelque temps, en tout cas nous voulons bien le
croire. C'est que le blocage de la situation politique, la persistance du comportement du pouvoir
à l'égard des partis politiques et de la société civile, sa volonté de tout contrôler, de tout
régenter et, finalement, de (presque) tout interdire, ont atteint une telle dimension que les
choses ne pouvaient durer longtemps. Les résistances se multipliaient et se diversifiaient, le
noyau d'opposants actifs, militants politiques ou militants des droits de l'homme ne se réduisait
pas, bien au contraire. Des hommes et des femmes qui se taisaient depuis des années élevaient la voix. Des hommes anciennement proches du pouvoir, tels Mohamed Talbi, Mohamed Charfi et Mohamed Mouada, pour ne citer que les plus connus, exprimaient leur malaise, disaient leur colère, chacun à sa manière.
Le régime a-t-il décidé enfin d'entendre ces voix multiples et différentes ? Certains indices le
laisseraient penser, mais la politique est ainsi faite : les intentions ne comptent que très peu,
seuls les actes, les actes forts, comptent. Des actes qui contribuent à changer rapidement et
très significativement la situation.
Le gouvernement, par la voix du ministre de la Communication et des droits de l'homme, puis par
celle, plus autorisée encore, du chef de l'État dans l'interview accordée à Es-Sabah et
Ech-Chourouk, a, en tout cas, affirmé sa bonne volonté sur deux dossiers en particulier : celui de la
presse et celui du comportement de la police, notamment à l'égard des opposants et des militants
des droits de l'homme.
Changer l'état de notre information, changer le comportement de la police politique, voilà deux
revendications qui, si elles étaient réalisées, ouvriraient de larges brèches dans le système
politico-policier qui enchaîne la société, bloque les initiatives et terrorise les élites.
Cependant, il faut voir les choses en face. Dans la presse et les médias, des hommes (et
quasiment pas de femmes) qui tiennent le secteur depuis des années, que ce soit au palais de
Carthage ou à la tête de l'ERTT [Radio-Télévision-Tunisienne, gouvernementale, NDLR], de la TAP [Tunis-Afrique-Presse, agence de presse gouvernementale, NDLR], de la presse gouvernementale ou officielle écrite,
ou bien ceux qui exercent un contrôle tatillon à partir du ministère de l'Intérieur, ces
hommes-là ne savent pas « faire l'information autrement ». Le censeur ou l'autocenseur, qui sont
en eux constamment en éveil, les condamnent à être incapables de porter un message de libre
expression, encore moins à en être les initiateurs et ceux qui sont chargés de veiller à le
finaliser. À chaque politique ses hommes et ses femmes. Aujourd'hui, la libéralisation du
secteur de l'information de tous les carcans qui l'enserrent dans la médiocrité de l'alignement
passe nécessairement par le choix des hommes et des femmes capables, dans les différentes
structures du système médiatique, d'imposer une nouvelle ligne, une toute autre conception de
l'information, fondée sur la qualité du message, la pluralité et la diversité, « le dire et
l'écrire vrai »...
Il en va de même s'il s'agit de réformer la police : les hommes de la police politique, bien
connus des militants politiques et des activistes des droits de l'homme, ne savent pas « faire la
police autrement ». Ils ne savent faire que ce qu'ils font depuis des décennies :
regarder un opposant comme un rebelle auquel il faut, d'une manière ou d'une autre, briser les
reins. Interroger un suspect, c'est le battre, le violenter, puis le torturer. Le traduire en
justice, c'est fabriquer un dossier, le ficeler et le présenter au juge... pour condamnation.
Des hommes qui fonctionnent ainsi depuis des décennies, qui, de surcroît, ont fini par avoir tous
les pouvoirs, notamment celui de se considérer au-dessus de tous les pouvoirs, avec l'impunité
qui en découle ; à ces hommes-là, on ne peut pas demander de changer radicalement de comportement,
de conception en fait. Une conception d'une police au service d'une justice
indépendante, veillant à respecter scrupuleusement la loi avant de chercher à la faire respecter
par les autres, une telle conception exige d'être servie par d'autres hommes que ceux qui
peuplent aujourd'hui les étages de la rue Houcine Bouzeyène. À chaque politique ses hommes et ses femmes.