e régime tunisien de la presse a connu un nombre considérable de réglementations destinées essentiellement à mieux contrôler la parole et l'écrit pour servir, en fin de compte, les gouvernants du moment.
Depuis le 7 novembre 1859, date de promulgation d'un décret beylical autorisant la fondation d'une imprimerie à Tunis, des générations d'écrivains et de journalistes ont souffert de dispositions draconiennes imposées à leurs talents par plus de vingt-cinq textes législatifs ou réglementaires sans compter ceux relatifs à la publicité, à l'ERTT, à la TAP et à l'ATCE [Radio-télévision tunisienne, Agence Tunis-Afrique-Presse, Agence tunisienne de communication extérieure, trois organismes gouvernementaux, NDLR].
Au cours des cent quarante et une dernières années, ces textes ont toujours constitué une arme redoutable pour paralyser l'exercice des libertés publiques, traduire en justice des citoyens ayant exprimé une opinion dissidente et les voir condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement pour
« faits diffamatoires ou injures ».
Ainsi, pendant dix-neuf ans, les secteurs de la presse et de l'édition ont été régis sans ménagement par un décret datant du 9 février 1956, donc antérieur à l'instauration de la République (1957) et à l'adoption de la Constitution (1959).
Avec la loi du 28 avril 1975, portant promulgation du Code de la presse, la situation a sensiblement régressé. Paraissant dans un contexte défavorable à l'épanouissement des libertés, le nouveau Code a vite donné le ton. Il alourdit les peines d'emprisonnement, augmente le taux des amendes pénales, crée de nouvelles mesures contraignantes aussi bien pour les journalistes que pour les entreprises de presse. Il vient surtout saper définitivement le seul principe libéral émis par l'article 1er du défunt décret de 1956. Désormais, l'imprimerie, la presse et la librairie ne sont « libres » que dans les conditions définies par le nouveau Code.
Dans la pratique, les dispositions répressives ont servi de support juridique pour interdire et confisquer des journaux, intimider et licencier des journalistes, malmener et expulser des correspondants étrangers. Les récépissés prévus par l'art.13 du Code et l'art.12 du décret du 8 juin 1977 fixant les modalités du dépôt légal ne sont plus délivrés par les administrations concernées. Résultat : plusieurs promoteurs de journaux sont de ce fait et depuis des années empêchés de publier leurs périodiques. De nombreux ouvrages sont, pour la même raison, en souffrance dans les imprimeries et certains centres de la Douane.
Le Code de la presse a connu certes quelques révisions et ajouts depuis sa promulgation en 1975. Ces retouches successives n'ont en rien atténué son caractère répressif. La censure et son corollaire, l'autocensure, sont de rigueur.
Le dernier amendement, présenté par d'intrépides thuriféraires comme « une avancée vers plus de libéralisation » n'est qu'un leurre. En supprimant le délit de diffamation de « l'ordre public » (notion imprécise tant décriée par les juristes) et en rattachant six dispositions répressives au Code pénal et un seul article au Code de la poste (connu pour être contraire au principe de l'inviolabilité de la correspondance), le législateur de 2001 n'a fait que donner un coup d'épée dans l'eau. En témoignent les déceptions exprimées par les journalistes dont certains ont même regretté que la date du 3 mai, jour de fête pour célébrer la liberté de la presse, ait été choisie pour son nième enterrement.
Le Code reste, malgré les divers amendements, le Code pénal tunisien de la presse.
Pour que cesse la castration des talents, pour que la presse soit crédible, une refonte globale du système de l'information est indispensable. Sa situation est tributaire de la mobilisation concertée et raisonnée des professionnels du secteur et des militants des droits de l'homme.