e bureau Démocratie et Droit de l'Homme du Département d'État américain a rendu public le 4
mars 2002 son rapport sur l'état des libertés et des droits en Tunisie. À considérer la manière
frappante, sans nuances et impériale dont l'État-shérif américain impose au pas de charge
certaines références, valeurs et principes de bonne gouvernance à travers le monde, on est
toujours très embarrassé de s'en remettre à l'administration américaine pour faire
reconnaître la désolante condition de la citoyenneté républicaine en Tunisie. Cependant,
compte tenu d'une observation lucide de la préséance de la position américaine dans les
affaires de ce monde et surtout après considération de la hâte et de la disponibilité avec
lesquelles nos gouvernants cherchent à se mettre dans les bonnes grâces de Washington, il est
bon de faire savoir que le maître à penser et à diriger américain met une très mauvaise note
au « bon élève » que cherche à être auprès de lui le gouvernement tunisien.
Enfin, ce rapport reprend quasiment comme un duplicata les conclusions d'enquêtes et de
témoignages des défenseurs tunisiens des droits humains ainsi que de différentes ONG telles la
Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et le Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT), accréditant ainsi le bien fondé de ces
pièces à charge contre la gestion politique des autorités tunisiennes. Ce sont donc là quelques
vérités toujours bonnes à dire.
Ce rapport de 27 pages démarre sur l'affirmation que la Tunisie est une république dominée
par un seul parti politique et que cette tutelle s'exerce sur le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif. C'est déjà tout dire (bien que le rapport n'en montre pas dans le détail les
mécanismes) et le reste s'ensuit.
Un état des lieux rappelle que le chef de l'État a été précédemment réélu avec 99,4% des
suffrages et que, bien qu'il n'ait droit qu'à trois mandats consécutifs déjà accomplis, il se
représentera en 2004 selon les appels du RCD et de certaines organisations professionnelles,
telles l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA), à un quatrième mandat, au prix d'un amendement constitutionnel. Le rapport souligne aussi que l'exécutif exerce son influence sur la magistrature, en particulier dans les cas politiques sensibles. Quelques paragraphes sont consacrés à la police et à la Garde nationale para-militaire. Les forces de sécurité ont continué, souligne le rapport, à commettre des abus contre les droits de l'homme.
Le préambule sévère fait quelques concessions à une prise en charge sociale (51% du budget
vont à la gestion sociale) dont un des acquis aurait été de ramener à 4,2% la population vivant
en dessous du seuil de pauvreté. Toutefois, restent pauvres tous les autres aspects de la
démocratie et des droits de l'homme.
Ainsi, en dehors de l'extrême limitation de l'exercice par les citoyens de leurs droits civils et
politiques, des faits plus graves sont longuement rapportés : la torture et autres formes de
traitements dégradants dans les locaux de la police ainsi que « quatre meurtres
extrajudiciaires ». Toutefois, le rapport informe aussi que le gouvernement se dit disposé à
sanctionner ces graves abus et qu'aussi, en juillet 2001, des auteurs de ce type de méfaits ont
été sanctionnés.
Le rapport étend la dénonciation de ces abus à l'intimidation, au harcèlement ou aux agressions
dont sont aussi victimes, en dehors des locaux de la police, des citoyens portés à la critique.
De même, le rapport révèle les conditions dégradantes de la prison pour nombre de détenus,
confondus dans un même statut de prisonniers de droit commun même quand, à l'évidence, il
s'agit de prisonniers d'opinion ou ayant tenté d'exercer pacifiquement leurs droits politiques.
Ainsi le rapport évoque une multiplicité de sanctions concrètes, noms à l'appui. Aussi, sur
plusieurs pages, défilent les identités de défenseurs des droits humains ou d'acteurs et
d'actrices de la société civile ayant tenté d'exercer une parole critique (comme Sihem Ben
Sedrine, présidente du CNLT) ou un droit à l'association. Parmi les noms connus on retrouve
le professeur Moncef Marzouki, l'avocat Néjib Hosni ainsi que quelques détenus islamistes ou
considérés comme appartenant au PCOT (mouvement de Hamma Hammami alors en
clandestinité, le rapport étant clos en 2001). Il est toutefois mentionné que certaines réformes
de la garde à vue et détention préventive devaient être apportées, au moins dans les textes,
et que certaines prérogatives devaient être transférées du ministère de l'Intérieur à celui de
la Justice. Mais les observateurs indépendants n'ont pas eu accès à enquête dans les prisons.
La détention au secret continue à poser problème, selon le rapport, autant que les droits des
détenus à un traitement digne et aux visites.
L'expression et la communication sont un autre volet du document qui en souligne les
« restrictions considérables ». L'état lamentable de la liberté de presse sur laquelle pèsent des
contraintes multiformes sont bien entendu rappelées ainsi que la censure sur Internet, les
écoutes et la violation du secret de la correspondance. Le rapport se permet l'ironie sur les
« changements cosmétiques » du code de la presse en avril 2001 et il insiste sur les formes de
pression exercées sur les journalistes.
Parmi l'arsenal moins brutal de la répression, il y a le « contrôle du voyage » c'est-à-dire
toutes les formes de déni de passeport, interdiction de voyager et jusqu'à l'intérieur du pays,
les assignations à résidence.
De longs paragraphes font état de la tutelle exercée sur la magistrature particulièrement dans
les affaires politiques. Il va de soi que l'affaire du juge Mokhtar Yahiaoui qui a subi une
déposition de son statut de magistrat pour avoir dénoncé la non indépendance de la justice est
au coeur du rapport.
L'interdiction imposée aux observateurs étrangers, militants d'ONG des droits de l'homme,
journalistes, etc., de porter leurs regards et leurs critiques sur ce qui se passe en Tunisie
s'inscrit comme complément de ce rapport sur la fermeture du régime tunisien à l'exercice de
pratiques démocratiques.
En revanche, le rapport fait état, avec quelques nuances et réserves, des acquis en matière de
droits des femmes ou des enfants ainsi que de l'exercice des cultes autres que musulmans. Les
réserves portent sur la discrimination dans l'héritage, le travail des « petites bonnes » ainsi que
les tracasseries imposées de temps à autre aux bahaïs ou même aux catholiques.
D'une façon générale, toutefois, le rapport reste positif quant à ces dimensions là des droits
humains et libertés de conscience et de culte, ainsi que sur les aspects sociaux des droits de
l'homme comme du développement humain (éducation, santé...) qui sont les atouts du régime
tunisien et son alibi démocratique.
En définitive, ce rapport plein de redondances, mal construit, sans véritable recul ni analyse,
apparaît comme un brouillon de ce qu'on pourrait attendre d'une véritable analyse de l'état de
la démocratie en Tunisie. On reste perplexe devant le simplisme, le manque de rigueur et
d'ordonnancement, le caractère hâtif, souvent sommaire, de certaines affirmations. Ce rapport
qui apparaît comme une prise de notes décousues, répétitives et sans le moindre surplomb, ne
vaut que par quelques vérités déjà connues mais toujours bonnes à rappeler.
Référence :
Rapport annuel du Département d'État américain, section Tunisie :
http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/nea/8303.htm