rois ans avant 2004, les jeux sont-ils
déjà faits ? Fin septembre, à
la suite d'interminables listes, souvent cocasses,
affichées dans la presse officielle et en
appelant à une nouvelle candidature de Ben Ali
à la magistrature suprême, le RCD, avec
toute l'arrogance de son statut de parti-État,
décrétait la présidentiabilité de l'actuel chef de l'État, son candidat pour 2004 et, par extension, le candidat de la nation, au mépris des dispositions actuelles de l'article 39 de la Constitution, limitant à trois mandats l'exercice de la fonction présidentielle.
Le 7 novembre, pourtant, le président de la République déconcerte une assistance toute entière dans son allégeance et venue lui faire un triomphe anticipé. Tout en marquant ses remerciements pour une confiance renouvelée, le chef de l'État se place au-dessus de préoccupations directement électoralistes touchant à sa personne et n'évoque la fonction présidentielle qu'à propos de l'âge limite de 70 ans imposé à tout candidat, lequel sera maintenu, ce qui semble tout à la fois lui donner la latitude d'un prochain mandat, mais qui serait aussi le dernier.
L'essentiel de son discours cependant s'élève à la nécessité de réformes fondamentales pour garantir certaines dispositions constitutionnelles actuelles ou introduire des amendements estimables de nature à consolider, à ses yeux, la transition démocratique.
Le président de la République
aurait-il entendu la forte contestation exprimée contre
la démarche précipitée du RCD, contestation
mettant en avant d'autres urgences que celles de
désigner avec trois ans d'avance l'homme
providentiel à la magistrature suprême ?
En réponse, les partis légaux soulignent le caractère positif de ces prochaines innovations mais en appellent à un large débat national qui donnerait une dimension plus consensuelle à ces réformes. De fait une modification en profondeur de la loi fondamentale du pays ne peut procéder que de larges assises pluralistes, une sorte d'Assemblée nationale constituante.
Dans l'opposition au régime actuel, un front démocratique formé du PDP de Najib Chebbi, du Forum Démocratique de Mustapha Ben Jaafar, du CPR de Moncef Marzouki et du MDS de Mohamed Moadda, se méfie des effets d'annonce des initiatives envisagées par le discours du 7 novembre dernier. Tout en préparant un Congrès en vue de constituer avec d'autres forces un large Front Démocratique, cette nouvelle synergie consensuelle (Wifak) rappelle les fondements d'une République démocratique, sur lesquels l'ensemble de l'opposition semble s'accorder aujourd'hui.
Dans une ambiance politique assez atone ces derniers
temps et pour certains portée à de
drôles d'ambiguïtés
- référence faite à
l'arrestation de Kamel Ltaïef (aujourd'hui en
liberté provisoire), ancienne éminence
grise du président Ben Ali mais qui fut
également très influent dans l'ombre de
l'ancien Premier ministre Mzali -, la majorité de l'opposition tunisienne préfère recentrer le débat.
La très dérangeante interview de Kamel
Ltaief au Monde, pour assener quelques
vérités toujours bonnes à
rappeler, ne lui paraît en effet qu'une querelle de
sérail. À proprement parler, cette affaire n'est pas son problème. Car face à toutes les confiscations, à toutes les régressions qui la guettent, l'urgence est à une réhabilitation de la République sur des assises constitutionnelles garantissant une vie politique pluraliste et démocratique, la plénitude des droits humains et ceux de l'individu qui ne sauraient s'éclipser sous la volonté de la majorité.
Aussi, les points de vue que nous publions d'un universitaire tunisien, de l'ancien ministre Mohamed Charfi, de Sadri Khari, et en marge de ce dossier [voir rubrique Démocratie], de Hédi Cammoun, vont tous dans cette direction. Il faut sauver la République.
La République et les amendements constitutionnels, par un universitaire tunisien
Un Sénat, pour quoi faire ?, par Mohamed Charfi
La « réforme constitutionnelle fondamentale » : la forêt qui cache l'arbre, par Sadri Khiari