a y est, c'est parti. Sous « la forte pression de la
base destourienne », le Comité central du RCD a franchi le pas,
et de quelle manière ! Une session spéciale, très spéciale même,
s'est tenue le 26 septembre 2001 et a appelé le président Ben Ali
- qui le sera jusqu'en 2004 du fait de son élection en 1999 pour
un mandat de cinq ans - à se représenter à l'élection
présidentielle prévue pour 2004. Ce serait pour un quatrième mandat,
non prévu par la Constitution, qu'il faudrait donc réviser !
Rappelons quelques points de repères :
a) Dans la déclaration du 7 novembre, Ben Ali avait annoncé qu'il
mettait immédiatement fin au système de présidence à vie instauré un
peu plus de dix ans auparavant par Bourguiba. La présidence à vie de
Bourguiba avait donc permis à Bourguiba de gouverner, ou plutôt de
régner, entre 1976 et 1987, soit 11 ans...
b) Ben Ali a exercé le pouvoir présidentiel de 1987 à 1989, en tant
que successeur de Bourguiba (il était son Premier ministre), puis il a
été élu président pour un premier mandat (1989-1994), puis pour un
deuxième mandat (1994-1999), puis pour un troisième mandat
(1999-2004), en cours aujourd'hui. En 2004, Ben Ali aura été président
de la République durant 17 ans. En cas de nouveau mandat de cinq ans
(2004-2009), il aura occupé les fonctions de chef de l'État durant 22
ans...
c) La Constitution tunisienne, depuis l'accession de Ben Ali au
pouvoir en novembre 1987, a été révisée à plusieurs reprises,
notamment et en prévision de l'échéance électorale de 2004, par
l'introduction du référendum populaire comme moyen de réviser la
Constitution.
Voilà donc, les choses sont claires : l'introduction du
référendum préparait le terrain à l'échéance de 2004. Notre propos
n'est pas aujourd'hui de débattre sur le fond de la question de la
candidature de Ben Ali en 2004, ce sera fait en temps opportun. Ce que
nous nous contentons de dire ici et maintenant, c'est qu'il est
inadmissible, intolérable, qu'une élection présidentielle prévue dans
au moins 3 ans soit posée aujourd'hui. Le pays n'a-t-il pas
transformé le chef de l'État, dès maintenant, en candidat du
RCD ? Dans les trois années à venir, faudra-t-il le traiter en
président ou en candidat RCD à la prochaine présidentielle ? Et
lui, comment se comportera-t-il : en ceci ou en cela ?
Parlons toujours de décence, parce que c'est de cela que nous voulons
parler. Est-il normal qu'une campagne organisée (apparemment très mal)
pour appeler Ben Ali à se représenter en 2004, ne juge même pas utile
d'appeler d'abord à une révision constitutionnelle qui constitue un
préalable ? Comment se fait-il que la « société
civile » appelle Ben Ali à se représenter en 2004 sans même
prendre la peine de faire référence à une indispensable et préalable
révision constitutionnelle ? Qu'est-ce à dire ? La
« société civile » ignore-t-elle la Constitution et ses
dispositions ? Ou bien considère-t-elle que ces détails ne sont
que des détails, justement ? Tous ces « appels à la
candidature du président Ben Ali » qui ne font même pas allusion
à une révision constitutionnelle ne donnent-ils pas raison à celles et
ceux qui ont considéré ces appels ainsi énoncés comme des appels à la
violation de la Constitution et passibles de poursuites
judiciaires ?
Cette campagne est indécente. Elle soulève l'inquiétude mais aussi une
sorte d'écoeurement et de dégoût car enfin, on présente ces appels à
la candidature de Ben Ali en 2004 comme provenant de la « société
civile », de « toutes les couches sociales », de
« toutes les catégories socioprofessionnelles », de
« toutes les régions du pays »... Est-ce à dire que celles
et ceux qui n'ont pas lancé ou participé à ces appels ne font pas
partie de la « société civile » ? Est-ce que le
ridicule tue ? Heureusement que chez nous, en Tunisie, le
ridicule ne tue pas, sinon il n'y aurait plus de Tunisiennes et de
Tunisiens, et depuis belle lurette...
Dans un « chapeau » sur les « élections présidentielles
de 2004 », le quotidien tunisien Le Temps du vendredi
28 septembre croit pouvoir cultiver le ridicule en écrivant :
« pressé par une demande explicite de plus en plus large, le RCD
a fini par traduire la volonté de sa base et de ses structures en
désignant le Président Zine Abidine Ben Ali, Président du RCD et chef
de l'État, comme son candidat aux présidentielles de 2004 »... Le
« chapeau », dont l'auteur ne semble pas se distinguer pas
sa pertinence, ajoute que « cette décision du RCD prend les
proportions d'un événement national de premier ordre qui a relégué
au second plan l'actualité internationale qui secoue - depuis le
11 de ce mois - le monde entier »...
Continuons dans le chapitre du ridicule qui, heureusement, ne tue
toujours pas. Dans le même numéro du quotidien Le Temps, on
a fait appel à un personnage quasiment inconnu en Tunisie mais qui est
président du Conseil supérieur de la communication (CSC) (dans les
pays démocratiques, il s'agit d'une autorité importante, respectable
et reconnue). Ce président donc, un certain Ridha Methnani, déclare
tout de go que « la Tunisie d'aujourd'hui a su faire son
choix »... Ce personnage ne manque pas d'audace : à le
croire, la Tunisie, et non pas la base du RCD, a déjà fait son
choix... C'est à penser qu'il n'y aurait même plus besoin d'appeler
les Tunisiennes et les Tunisiens à voter en 2004 puisque la Tunisie a
déjà fait son choix... Quand ce personnage, qui est un universitaire,
donne une interview de plus de soixante-dix lignes sur ce sujet, qui
semble le passionner ou pour lequel on l'a mobilisé, et ne croit pas
utile de dire un mot sur la nécessaire révision
constitutionnelle, on reste sans réaction... Pour le reste de ces
soixante-dix lignes, retenons que le sommet de la platitude, du
discours dithyrambique, n'est, semble-t-il, jamais atteint... Lisez
donc : « le Président Ben Ali, par son patriotisme, sa
sagesse, sa clairvoyance, sa compétence, sa détermination, son
efficacité, sa pondération, sa sensibilité, son humilité et par bien
d'autres qualités humaines, cristallise à merveille l'idée que les
Tunisiens se font de l'homme qui préside à leur destinée ». Neuf
très grandes qualités (qui dit mieux ?) sont énumérées, et on
ajoute (on ne sais jamais : on en a peut-être oublié une !)
« et bien d'autres qualités humaines »...
L'indécence n'a pas de limites : toute la Tunisie appelle Ben Ali
à se représenter en 2004 ? Mais enfin, à ce que je sache :
les partis de l'opposition légale (Ettajdid, l'UDU, le MDS, le PSL, le
PDP...) n'ont pas lancé d'appels à la candidature de Ben Ali en
2004... Les partis de l'opposition non reconnue, avec ses différentes
sensibilités, ne l'ont pas fait non plus... La centrale syndicale,
l'UGTT, qui occupe une place centrale dans l'échiquier sociopolitique
du pays, n'a pas lancé non plus d'appel en faveur de la candidature de
Ben Ali... Les associations indépendantes - l'Union Générale des
Étudiants de Tunisie (UGET), la Ligue tunisienne des droits de l'homme
(LTDH), l'Association des Femmes Démocrates (ATFD), les organisations
du Barreau de Tunis (Ordre des avocats, Association tunisienne des
jeunes avocats)... - ne participent en aucune manière à cette
campagne. Qu'est-ce à dire ? Que tout ce beau monde, qui est là,
présent, militant, actif, ne compte pas ? Qu'il ne fait pas
partie de la « société civile », de « la
Tunisie », pour reprendre les termes du peu fameux universitaire
interviewé par Le Temps ?
Soyons sérieux. Cette affaire, les élections de 2004, constitue une
étape extrêmement importante pour notre pays et ce, dans tous les cas de
figure. C'est une affaire qui ne doit pas être traitée à la légère, ni
du côté du pouvoir, ni du côté de l'opposition... La question centrale
qui devrait retenir l'attention de toutes et de tous, des démocrates
en tout cas, c'est celle de la transition démocratique, c'est la
nécessité du passage d'une situation où la vie publique et politique
est bloquée par des législations, des pratiques, des usages, bref un
système donné qui perdure depuis des années, à une situation nouvelle
qui libère les énergies, qui lève les obstacles et les contraintes à
la pensée libre, à la libre expression, au véritable pluralisme, à un
système démocratique d'information, au respect des libertés
individuelles et publiques et au respect des droits de l'homme.
Pour l'instant, revenons au ridicule qui ne tue pas, heureusement pour
tous... Les quotidiens tunisiens ont publié, tous ensemble comme il
leur a été ordonné, une première liste de cellules destouriennes,
d'associations locales ou régionales de ceci ou de cela, appelant Ben
Ali à la candidature. Cette liste, la première sans doute de dizaines
d'autres qui suivront, laisse rêveur. On découvre qu'à Tataouine, il y
a 25 cellules destouriennes... Voilà probablement un record pour une
petite ville ou même pour un petit gouvernorat. Parmi ces
organisations, notons « la chambre régionale des
professionnels » de Tataouine ! Combien d'adhérents, s'il
vous plaît ? De même, figurent sur la liste quelques
« associations pour la conservation du Coran » (mais
oui !), celles de Bembla, de Hammam-Sousse, et, pêle-mêle,
l'Association du club de football de M'Dhillla, la chambre régionale
des auto-écoles de la même localité, et pour revenir à Tataouine,
n'oublions pas - et c'est véritablement sciant - la chambre
régionale de menuiserie générale et, toujours à Tataouine, Ben Ali a
obtenu un soutien en or, celui de la chambre régionales des
bijoutiers...