Alternatives citoyennes Numéro 4 - 8 octobre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Dire non à la paresse de la pensée

 

Il n'est, pour menacer la paix et la démocratie, pas que le terrorisme. Il est d'autres maux qu'il faut savoir nommer avant qu'il ne soit trop tard, avant de mettre la main dans l'engrenage d'une violence qui ne demande qu'à se déchaîner ; qu'il aurait sans doute fallu savoir nommer plus tôt, ou plus fort, pour éviter ce qui s'est produit.

La bonne conscience d'abord : celle des États-Unis, mais aussi, plus largement, de l'Occident tout entier ; une bonne conscience que l'effondrement du bloc de l'Est a poussé à son comble, alors que cet effondrement, en fermant la voie à des espérances, même fallacieuses, l'ouvrait à de nouveaux périls, ceux résultant, en particulier, du retournement contre leurs parrains des forces de subversion suscitées contre le communisme.

L'ennui ensuite ; car il n'est, pour de larges couches de la population des pays développés, depuis longtemps dépourvus de vrais projets de société, d'autre perspective que de maintenir, ou d'accroître dans des proportions modestes, leur niveau de vie et de consommation. Or, entre la rancoeur des peuples à peine moins écrasés aujourd'hui qu'hier par l'échange inégal, en proie au mauvais gouvernement, de plus en plus confinés dans des espaces démographiquement saturés, économiquement et politiquement sinistrés, par les politiques migratoires des pays développés, et l'ennui, doublé d'un sentiment d'impasse, d'une fraction des peuples de ces derniers pays, il suffirait de peu pour que se développe une réaction détonante.

Le désir de guerre n'est vraisemblablement pas moins fort, avec le même degré d'inconscience, chez les uns et chez les autres. Pour des motifs différents. Parce que nul n'ignore, au Sud, la part qu'ont prise, et persistent à prendre les puissances occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis, à l'installation ou à la consolidation de régimes d'oppression. Parce qu'il ne manque, au Nord, ni d'hommes politiques en quête, soit à la veille d'échéances électorales incertaines, d'arguments pour fidéliser ou reconquérir leur électorat, soit, en toutes saisons, de motifs de légitimation de stratégies sécuritaires ; ni de visionnaires dévoyés pour rêver soit de nouvelles guerres de conquête en vue de s'assurer des approvisionnements stratégiques, soit de guerres préventives contre différentes catégories d'ennemis.

On ne manque, quand on cherche, pour passer à l'acte, des prétextes, jamais de Sarajevos ; ni de Pearl-Harbours. La nécessaire éradication du terrorisme ne passe pas par des ripostes, surtout disproportionnées, ou chargées de trop évidentes arrières-pensées. Elle appelle la mise en oeuvre, dans le cadre de rapports diplomatiques et économiques moins inégalitaires, de stratégies d'élimination de toutes les formes de violence, ouverte ou sourde ; la pacification de l'opinion, et non l'appel aux plus bas instincts qui l'animent ; l'encouragement, plutôt qu'aux amalgames haineux, au discernement (entre Islam et Islamisme, comme entre Christianisme et Inquisition, Révolution française et Terreur) ; la répression impitoyable des délits de presse, y compris audiovisuels, reposant sur la manipulation d'images d'archives ; le renoncement à traiter en aubaine ce qui est un effroyable drame humain.

Face à un tel drame, le respect et le recueillement ne doivent pas céder la place à une exaltation morbide. Comme celle dont participent les modalités de remise en vigueur, dans le métro, d'un plan Vigie Pirate dérisoirement hors d'échelle - par excès et par défaut - au regard des risques plausibles, ou l'obscène inflation des rodéos policiers. Il faut décidément dire non à la paresse de la pensée, rompre avec les automatismes et les simulacres, inventer. Car le cercle vicieux de l'échange de mauvais procédés ne pourra porter que les fruits qu'il a toujours portés.

NB. Le titre est de la rédaction.

 

Jean-Michel Belorgey
Conseiller d'État. Responsable de la cellule de coopération internationale du Conseil d'État. Paris.
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