insi, donc, « Dieu habite la Maison blanche ». C'est du moins, au lendemain des élections américaines,
ce qu'assure le président George W. Bush, confirmant que la plus grande démocratie laïque au monde peut s'établir
en dispensatrice et garante d'une religion civile, édictrice du Bien et au principe des normes et des
pratiques sociales et politiques. Voilà qui vérifie aussi que le protestantisme qui a peuplé de ses élus les
premiers États de la fédération américaine peut lui aussi, comme tout autre religion, dans son fondamentalisme
évangéliste, se loger dans l'esprit de la puissance publique et se donner vocation à en infléchir la conduite.
En tout cas, la sanction des urnes profite aux hommes politiques qui ont compris le bénéfice à tirer d'une forme de
désaveu de la laïcité. Est-ce une telle leçon qu'enregistre le futur candidat à la Présidentielle française de
2007, Nicolas Sarkozy ? Auteur d'un pavé dans la mare laïcarde ou même seulement laïque, le politicien le plus séducteur
et le plus redoutable des compétiteurs à la candidature suprême, et néanmoins ancien ministre de l'Intérieur,
semble chercher à assigner à l'islam de France un statut de précepteur autant que de gendarme des banlieues
troubles, pour un redressement à la citoyenneté. C'est que, sans doute, Nicolas Sarkozy présume que pour 6 millions
de Français de religion et de culture musulmane, le lien religieux fonctionne avec d'autant plus de prégnance que
le lien social fait défaut. Ce replâtrage d'une mal intégration dans une éventuelle modification de la loi de
séparation des Églises et de l'État (loi de 1905) fait frémir le rigorisme laïque français.
Telle est la question : comment peut-on être musulman en pays laïque ? À laquelle répond sur l'autre
rive, du côté de chez nous, cette interrogation : comment peut-on être laïque en pays musulman ? La
tension politique autour de la séparation de la religion et de l'État exaspère depuis plusieurs années les
brouilles au sein du mouvement démocratique tunisien. Avec Bourguiba, pendant 30 ans, nous avions fait de la
laïcité sans le savoir et de manière si audacieuse, si admirée à l'étranger mais aussi si révulsive dans la Tunisie
profonde qu'elle ne manqua pas de provoquer une congestion islamiste.
La deuxième République du président Ben Ali apposa à cette fièvre les deux pires traitements que pouvait souffrir
l'aspiration démocratique : un régime sécuritaire à tout va et la politique dite « du retrait du tapis
aux islamistes » : tapis de prière exhibé au sommet de l'État, de pèlerinage en mosquée de Carthage, et
islamité tapie dans le calendrier, les usages et tout le rituel publique d'un pays somme toute musulman. La société
ne se le fit pas dire deux fois, qui mit le voile dans ce sens-là, en dépit de quelques gesticulations
institutionnelles rappelant les acquis républicains avec lesquels, nécessairement, la religiosité ambiante compose,
dans une éclectique réforme du dogme, un pragmatisme bien tunisien.
Une société à son rythme, avertit l'historien Hichem Jaït, qui diffère à plusieurs décennies, au moins à deux
générations, après un « long travail de soi sur soi », notre avancée vers la modernité
rationnelle, démocratique, nécessairement laïque...
À moins que, dans une démarche volontariste mettant au pas de charge la puissance publique dans l'obligation d'un
schisme historique avec la religion, une avant-garde résolue, cohérente et populaire ne force le cours d'une
évolution, aidée en cela par quelques richissimes parrainages, désamorçant les risques de la mondialisation, mais
d'une telle façon que le libéralisme laïque ne se développe pas au seul bénéfice des privilégiés de la qualité de
la vie mais qu'il soit aussi vécu sereinement par les paumés de la vie sans qualité.