e ne dirai pas un seul mot sur les élections, car comme la plupart des jeunes de mon âge, n'étant pas inscrite sur
les listes électorales, j'ai procédé à un boycottage passif (et non actif). De plus, n'ayant pas eu la chance de
naître dans un milieu politisé (chez moi on parle plus volontiers du prix des pommes de terre et des tomates que
des alliances et mésalliances politiques), je n'ai jamais appris à faire la différence entre les partis
politiques.
Par mimétisme de l'habitus intellectuel, j'ai essayé de m'y intéresser et j'ai été surprise en découvrant
qu'il n'y avait pas de grandes divergences dans les discours (tout le monde promet liberté et prospérité en
commençant par le parti au pouvoir) ni dans le mode de fonctionnement (la plupart ignore la règle de roulement tout
comme le régime qu'ils critiquent). J'ai été très vite découragée d'autant plus, malgré mon effort, que je ne suis
jamais arrivée à comprendre tous ces concepts si abstraits et loin de mon champ de préoccupation. On parlait trop
de liberté, de droits de l'homme, de légitimité et de dignité, mais jamais du panier de la ménagère, du prix des
cours particuliers qui ruinent les parents ni de celui des pilules d'Artane et autres, devenues des
drogues pour les jeunes de certains quartiers populaires et faisant désormais partie du budget des familles (car dans
les quartiers plus huppés on consomme des substances plus raffinées), ni de la propagation de la délinquance
juvénile... C'est trop trivial, trop populaire !
Oui justement trop populaire ; c'est pourquoi le pouvoir s'en est emparé et en a fait son vrai cheval de
bataille. C'est pourquoi notre opposition a échoué.
Même si les dés n'étaient pas pipés d'avance, l'Initiative démocratique n'aurait pas récolté plus, car
les universitaires et les intellectuels (bien sūr ceux qui n'ont pas choisi d'autres voies) ne représentent pas
plus de 1% de la population. Quand on cherche l'élite, on se retrouve avec l'élite.
Mon propos n'est pas de critiquer l'Initiative démocratique ni de la dénigrer. Je veux seulement dire à
tous ceux qui nous ont oublié, les partis et le reste de la société civile, nos universitaires, nos intellectuels,
à ceux et à celles qui se sont barricadés dans leurs locaux ajoutant des portes en fer forgé (même si on sait
pourquoi), à ceux et celles dont les meetings et tables rondes ressemblent étrangement aux colloques de Beit
El Hekma (ils ont le sens de l'hospitalité là bas, avec du thé à la menthe et des petits fours), à ceux et
celles qui se sont autoproclamés porte-parole des opprimés, à ceux qui se sont rachetés une virginité en exhibant
leurs blessures (assez de victimisation !), à toutes ces personnes, je voudrais dire que pour bâtir une maison
il faut commencer par les fondements et non par le toit (on n'a pas besoin de faire des études pour comprendre
cela). Malheureusement vous vous êtes coupés de la base, de vos bases, vous avez oublié que le triomphe n'est pas
la présidence mais la confiance du peuple et il ne suffit pas, pour l'obtenir, de s'offrir des publireportages.
Comme l'a dit un jour l'un de mes professeurs, « le Tunisien est un enfant », or il n'y a pas plus
égoïste et plus méchant qu'un enfant, mais il n'y a pas plus perfectible et plus réceptif qu'un enfant. Un enfant
ça s'éduque et ça grandit mais il ne grandit pas seul. Alors aidez-nous à mūrir (je sais que ce n'est pas
facile) !